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samedi 8 novembre 2014

Installation du maire de Brest.

Installation du maire de Brest
            au dix-septième siècle.



Singulier cérémonial.

La ville de Brest, avant le règne de Henri IV, avait déjà une mairie; mais cette mairie n'avait pas grande puissance, la ville étant soumise à l'autorité du gouverneur. Henri IV, pour récompenser les Brestois de leur fidélité à sa cause, leur octroya droit de bourgeoisie, "à l'instar de ceux de Bourdeaux", et leur permit d'élire, pour assister le maire, deux échevins, qui devaient rester en place deux années. Le maire, qui primitivement avait été annuel, fut ensuite nommé pour trois ans, et installé avec un pompeux cérémonial. Ce cérémonial fut définitivement réglé et arrêté par un pacte passé le 6 décembre 1618, au rapport de maître Théaud, notaire royal, entre le gouverneur du château et les notables bourgeois de Brest.
Tous les trois ans, le premier dimanche de décembre, une grand'messe solennelle était célébrée en présence du gouverneur, et, "à l'endroit du prosne", deux bourgeois venaient au nom de leurs concitoyens supplier monsieur le gouverneur de leur permettre d'élire un nouveau maire. Le gouverneur accordait la permission et assistait à l'élection. Quand il l'avait approuvée, le choix était irrévocable, et l'élu ne pouvait refuser, quand même il eût été déjà maire; et le gouverneur se chargeait de lui faire annoncer sa nouvelle dignité et de l'en complimenter. On préparait alors la cérémonie de la réception, qui se faisait le premier jour de l'an.


La procession.

Ce jour-là, l'ancien maire, avec douze des principaux habitants, tous parés de leur plus beaux vêtements, se réunissaient à l'église des Sept-Saints. Ils partaient de là en procession, le maire seul en avant, les autres deux à deux derrière lui, et ils s'en allaient chercher le nouveau maire en son logis. Ils le ramenaient à l'église, toujours en procession, les deux maires marchant les premiers et se donnant la main, en "soutane de soie, robe de velours à manches pendantes, toque de velours, et cordon d'or enrichi de pierreries". Les compagnies des milices suivaient, et le cortège marchait au son des tambours, des trompettes et des violons. A la porte  de l'église, le clergé en ornements de fête, attendait le nouveau maire pour lui offrir l'eau bénite; le Te Deum était chanté, suivi d'une messe solennelle; puis le vieux maire conduisait le nouveau devant le portail.

La pierre de la Mairerie.

Là se trouvait une grande pierre plate et ronde, dite pierre de la Mairerie, et au milieu de cette pierre était un trou. Le nouveau maire mettait son talon dans ce trou, et restait ainsi, le bout du pied en l'air, pendant que l'ancien maire lui promettait obéissance au nom des habitants de la ville. Le nouveau promettait de bien servir la ville et le roi, et les deux maires s'embrassaient.

La chasse du roi Bertrand.

Voilà le maire intronisé, quant à la ville; mais il lui fallait aussi l'investiture royale, et il se mettait en devoir d'aller la chercher. Pour commencer, le maire, et semblablement toute la compagnie, s'en allaient à la chasse du "Bérichot ou roy Brethaud", qui n'était autre qu'un roitelet, "lequel, par eux pris, à force et à course, suivant les anciennes coutumes", était porté prisonnier dans une cage, sur deux piques, par quatre des principaux habitants de la ville, jusqu'à le première porte du château.
Là, le gouverneur attendait le nouveau maire et sa harangue. Le maire, après une humble révérence, disait:
"Monseigneur, comme très-humbles et très- fidèles sujets du roy, nous sommes ici venus, suivant les anciens devoirs, jurer à Sa Majesté, entre vos mains, la continuation de votre obéissance, et à vous, Monseigneur, qui commandez en son absence, vous suppliant de nous faire l'honneur de nous maintenir et conserver en nos anciens droits et privilèges, et recevoir en hommage ce prisonnier qui, comme nous, attend la liberté telle qu'il vous plaira de nous donner."
Le gouverneur répondait au nom du roi, recevait la soumission de la ville, et promettait de lui conserver ses droits et libertés; et il ouvrait la cage et donnait la liberté à l'oiseau. En même temps, on tirait un coup de canon en signe d'applaudissement. Puis les principaux habitants s'en allaient dîner avec le nouveau maire, et chacun payant sa part du festin, "un quart d'écu, valant seize sous tournois."

Les sauteurs.

Le dîner fini, raconte le Mercure galant de décembre 1678, qui rend compte de l'élection d'un maire de Brest, "le dîner finy, on va à la mer jouir du divertissement des sauteurs: tous ceux qui sont mariez depuis trois ans, ou qui ont non-seulement fait bastir une maison, mais élever un pignon ou dresser quelque muraille, sont obligez de sauter trois fois à la mer. Il n'y a personne qui en soit exempt. Les plus considérables d'entre les bourgeois payent des gens qui sautent pour eux. Il a beau geler, comme il gèle ordinairement ce jour-là, les sauteurs ne laissent pas d'être en caleçons et en chemise, avec des escarpins blancs et des bas de toile. Celuy qui saute pour le roy a une couronne sur la teste. Le nouveau maire, suivy des échevins et de plusieurs autres officiers, se promène tout le jour par les rues avec des trompettes et des violons. L'heure de sauter estant venue, M. le gouverneur entre dans un des plus beau navire du port. Les deux maires et le corps de ville l'accompagnent. Il y trouve les sauteurs qui s'y sont rendus auparavant. Le nouveau maire a un rôle, et, dans le mesme temps qu'il nomme ceux qui doivent sauter, on les voit qui s'élancent du navire. Il y a toujours quinze ou vingt chaloupes prestes pour les secourir, si quelqu'un d'eux setoit en péril de se noyer? Ces sauteurs sont quelquefois au nombre de cinquante ou soixante, et ce jeu attire les curieux de toutes parts. Après qu'ils ont tous sauté trois fois, ils se mettent dans les chaloupes? Elles sont armées de dix ou douze hommes, et vont viste comme un esclair. Il y a un rond au bout d'une perche qui sort par un sabord du navire. Cette perche est de douze ou quinze pieds, et c'est entre eux à qui pourra attraper ce rond. Les chaloupes vont si viste que la plupart tombent dans la mer. Celuy qui a ou plus d'adresse, ou plus de bonheur que les autres dans cette espèce de course, est récompensé d'un prix. Le rond emporté en décide."
Le soir, souper et bal, qui se renouvelaient pendant trois jours: on passait une partie de la nuit à danser.
Telles étaient les cérémonies prescrites par acte notarié pour l'installation du maire de Brest. Pendant les trois années qu'il était en charge, il devait porter, aux fêtes et cérémonies publiques, un habit particulier: "accoutrement noir avec un court manteau à manche, et grand collet à rabats, et une toque ou bonnet de velours noir à la mode des autres maîtres des comptes. Il se plaçait, à l'église, au "banc de la mairerie", et faisait peindre ses armes "au devant du dit banc, pour mémoire de la dignité qu'il aura possédée." On lui portait le pain bénit le premier; il avait le premier rang partout, et il était exempté de toutes taxes et levées de deniers. Ce n'est pas tout: de "rigoureuses et exemplaires punitions" menaçaient quiconque serait assez hardi pour lui désobéir ou l'offenser.

Le magasin pittoresque, décembre 1876.

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