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vendredi 28 novembre 2014

Coutumes du moyen âge.

Coutumes du moyen âge.
     Les combats judiciaires II.


Nous avons dit, dans notre premier article, que les combats judiciaires ne paraissaient avoir été d'usage général en France que sous Louis-le-Jeune: ce qui n'empêche pas qu'on ne trouve antérieurement à ce prince quelques exemples de ce genre barbare de procédure.
Nous en citerons un assez remarquable, que nous fournit l'histoire de ces temps reculés. Sous Louis-le-Bègue, la comtesse de Gastinois fut accusée d'avoir empoisonné son mari; les indices contre elle étaient si forts, et Gontran, son accusateur, cousin-germain de ce mari, passait pour un guerrier si redoutable, qu'elle se voyait abandonnée de tous ses parens et amis, lorsqu'un jeune inconnu, âgé de dix-sept ans et nommé Ingelger, se présenta pour soutenir qu'elle était innocente. Les juges ayant ordonné le champ-clos, il tua Gontran, et la comtesse, de l'avis et du consentement de ses barons et vassaux, le fit son héritier. L'archevêque de Tours lui donna sa nièce en mariage, avec les châteaux d'Amboise, de Buzençay et de Châtillon. Ingerger fut la tige des comtes d'Anjou qui montèrent sur le trône d'Angleterre. Ce fait nous semble curieux, surtout en ce qu'il caractérise parfaitement l'esprit aventureux de nos ancêtres dans ces temps de chevalerie, où la moindre circonstance heureuse offrait les moyens d'acquérir une brillante réputation, et même de faire fortune en un instant.
Vers la fin du Xe siècle, on fit décider, par le combat judiciaire, un point de droit qui alors était vivement controversé. Il s'agissait de savoir si, en matière de succession, la représentation pouvait avoir lieu en ligne directe. Deux braves furent chargés de défendre en champ-clos, l'un l'affirmative, l'autre la négative: et celui qui combattait pour la représentation, ayant eu l'avantage, il fut ordonné qu'à l'avenir elle aurait lieu, c'est à dire que le petit-fils succéderait aux biens de son aïeul ou aïeule, concurremment avec ses oncles et tantes, et de la même manière que ses père et mère eussent eux-mêmes succédé.
Sous le règne de Louis VII, les religieux de Sainte-Geneviève offrirent de prouver par le duel que les habitans d'un petit village auprès de Paris étaient hommes de corps de leur abbaye. Sous le même règne, les religieux de Saint-Germain-des-Près, ayant demandé le combat pour prouver qu'Etienne de Maci avait eu tort d'emprisonner un de leurs serfs, les deux champions combattirent long-temps avec un égal avantage; mais enfin, à l'aide de Dieu, dit l'historien, le champion de l'abbaye emporta l’œil de son adversaire, et l'obligea de confesser qu'il était vaincu.
Quoique ces prétendus jugemens de Dieu fussent fondés sur une présomption, que le Ciel ne pouvait accorder la victoire qu'à l'innocence (comme s'il était donné aux hommes de pénétrer les desseins secrets de la Providence) , on peut citer une foule de faits qui prouvent que l'issue du combat ne favorisa pas toujours le bon droit. Aussi, combien d'infortunés furent punis pour des crimes dont ils n'étaient pas coupables? Combien de criminels parvinrent à se soustraire aux justes châtimens qui leur étaient dus? En voici un exemple bien frappant, raconté par tous les historiens, et dont on peut par conséquent contester l'authenticité.
L'an 1386, Jacques Legris, chevalier au service du duc d'Alençon, était accusé devant la cour du parlement, de violences et d'outrages  commis envers la dame de Carrouges: la cour ne trouvant pas les preuves suffisantes, ordonna qu'un combat à outrance aurait lieu, en présence de cette dame, entre son mari et l'accusé, et que, si le sieur de Carrouges était vaincu, sa femme, comme accusatrice, subirait la peine réservée aux calomniateurs.
Au jour fixé pour le combat, les lices furent dressées à Paris, auprès de Saint-Martin-des-Champs. La dame de Carrouges y fut conduite, dans un char de deuil, couverte de vêtemens noirs. Son mari s'approcha d'elle, et lui dit:
"Dame, par votre information et sur votre querelle, je vais aventurer ma vie et combattre Jacques Legris. Vous savez si ma cause est juste et loyale."
"Monseigneur, dit la dame, il est ainsi; et vous combattrez tout sûrement, car la cause est bonne."
Carrouges embrassa son épouse, se signa, et quoiqu'il fut alors tourmenté par la fièvre, il se disposa au combat. Les deux champions luttèrent d'abord à cheval avec un égal avantage; puis ils mirent pied à terre, et, s'étant élancés l'un contre l'autre, ils engagèrent ensemble une attaque des plus vives. Legris porta à son adversaire un violent coup d'épée, qui lui fit à la cuisse une grave blessure. On se figure aisément quelles durent être, en cet instant fatal, les transes cruelles de la dame de Carrouges; car si Legris était vainqueur, son mari était attaché à la potence, et elle était condamnée au feu. Le combat cependant continua avec acharnement; mais l'infortuné Legris ayant eu le malheur de faire un faux pas, Carrouges en profita pour se précipiter sur lui et le terrasser. Vainement il s'efforça de lui faire avouer son crime: il ne put lui arracher que des protestations d'innocence. Usant alors de toute la rigueur de sa victoire, il lui passa son épée au travers du corps.
Telle fut l'issue de ce combat, qui ne laissa aucun doute sur la culpabilité du vaincu. Le corps de ce malheureux fut abandonné au bourreau, qui le pendit, selon l'usage, et le jeta ensuite à la voirie. Carrouges fut comblé de faveur et devint chambellan du roi: de plus, le parlement, par un arrêt du 9 février 1387, lui adjugea une somme de 6.000 livres sur les biens de son adversaire.
Quelques années s'étaient écoulées; l'opinion publique était bien fixée sur cet événement, et la famille de Legris avait perdu à la fois la fortune et l'honneur. Enfin le véritable auteur du crime fut découvert: c'était un écuyer qui avait quelque ressemblance avec Legris. Carrouges apprit cette nouvelle alors qu'il était en Afrique, et on ne le revit plus. Quant à sa femme, en proie au désespoir et décidée à racheter par la pénitence son imprudente accusation, elle entra dans un couvent et se fit religieuse.
Ce combat ne contribua pas peu à montrer combien une pareille jurisprudence était absurde, et ce fut à peu près à cette époque que cesse en France la coutume des duels judiciaires.
En Angleterre, cet abus à subsisté beaucoup plus long-temps. En 1571, un combat judiciaire fut ordonné sous l'instruction des juges du tribunal des plaids communs; mais il n'eut pas lieu, parce que la reine Elisabeth, interposant son autorité dans cette affaire, ordonna aux parties de terminer à l'amiable leurs différens. Cependant, afin que leur honneur fut intact, la lice fut fixée et ouverte, et l'on observa avec beaucoup de cérémonie toutes les formalités préliminaires d'un combat. En 1631, un duel judiciaire fut partiellement ordonné, sous l'autorité du grand connétable et du grand maréchal d'Angleterre, entre Donald lord Réa et David Ramsay; mais cette querelle se termina comme l'autre, sans effusion de sang, grâce à la médiation de Charle 1er.
Au moyen-âge, il existait encore d'autres moyens de rendre la justice, non moins ridicules que les combats: c'étaient les épreuves judiciaires, qu'on appelait de même jugemens de Dieu. Il nous reste à en dire un mot.
L'épreuve ou le jugement de Dieu par l'eau froide, consistait à jeter celui qui était accusé d'un crime, dans une grande et profonde cuve, peine d'eau, après lui avoir lié la main droite au pied gauche et la main gauche au pied droit: s'il enfonçait, il était déclaré innocent; s'il surnageait, c'était une preuve que l'eau, qu'on avait eu la précaution de bénir, le rejetait de son sein, étant trop pure pour y recevoir un coupable.
Celui que l'on condamnait à l'épreuve par le feu, était obligé de porter pendant quelques instants une barre de fer rouge pesant environ trois livres. Cette épreuve se faisait aussi en mettant la main dans un gantelet de fer sortant d'une fournaise, ou bien en la plongeant dans un vase rempli d'eau bouillante, pour y prendre un anneau béni: on enveloppait ensuite la main du patient dans un linge, sur lequel le juge et la parte adverse apposaient leurs sceaux. Au bout de trois jours, l'appareil était levé, et s'il n'apparaissait pas de marque de brûlure, l'accusé était absous (1).
Quand deux hommes s'accusaient mutuellement, on les soumettait quelquefois à l'épreuve de la croix, ce qui se faisait ainsi. On les plaçait vis à vis l'un de l'autre, et chacun d'eux devait étendre les bras horizontalement. Celui qui, fatigué le premier, laissait retomber ses bras, perdait son procès.
En Allemagne, l'épreuve par le cercueil fut long-temps en usage. Lorsqu'un assassin, malgré les informations, restait inconnu, on dépouillait entièrement le corps de l'assassiné, on le mettait dans un cercueil, et tous ceux qui étaient soupçonnés d'avoir eu part à l'assassinat, étaient obligés de le toucher. Si l'on remarquait quelque mouvement, quelque changement dans les yeux, la bouche, les mains ou les pieds, ou bien si la plaie venait à saigner, celui qui le touchait au même instant était regardé comme le vrai coupable.
Pour terminer la série de toutes ces extravagances et faire diversion aux horreurs que ces temps d'ignorance nous rappellent, nous citerons un usage analogue, mais fort plaisant, que les voyageurs attribuent aux Siamois. Pour connaître de quel côté est le bon droit dans les affaires civiles ou criminelles, ils se servent de pilules purgatives, qu'il font avaler aux deux parties; celle qui les garde le plus long-temps dans son estomac, obtient gain de cause;

(1) L'épreuve par le feu était en usage chez les païens. dans l'Antigone de Sophocle, des gardes offrent de prouver leur innocence en maniant le fer chaud, et en marchant à travers les flammes. Du reste il paraît qu'on connaissait le moyen de se préserver des brûlures, car Strabon parle des prêtresses de Diane, qui marchaient sans se brûler, sur des charbons ardens; et saint Epiphane rapporte que des prêtres d'Egypte se frottaient le visage avec certaines drogues, et le plongeaient ensuite dans des chaudières d'eau bouillante, sans paraître ressentir la moindre douleur.
Nos charlatans modernes ne sont pas moins adroits que ceux de l'antiquité. Madame de Sévigné cite, dans une de ses lettres, un homme qui se versait sur la langue de la cire d'Espagne enflammée; et Sainte-Foix dit que de son temps on a vu, dans les provinces, un homme qui se frottait les mains avec du plomb fondu. Il n'est personne de nous qui n'ait assisté au moins une fois à quelque scène semblable de charlatanisme. Tout le monde se rappelle l'homme incombustible, qui se montrait, il y a quelques années, à Paris, et qui malgré l'épithète attachée à son nom, fut rôti dans un four, par la maladresse de son compère.

Magasin universel, 1834.

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