Recherche historique sur les enseignes. 1ère partie
Chez les anciens, chaque marchand, pour attirer les regards sur sa boutique et la faire mieux connaître, plaçait une enseigne composée, pour l'ordinaire, d'un tableau grossièrement peint avec de la cire rouge, et représentant un combat, une figure hideuse, ou les marchandises elles-mêmes. Quelques enseignes étaient sculptées.
Les villes d'Herculanum et de Pompéi, sorties de leur ensevelissement nous ont transmis des types curieux et significatifs.
Les mêmes intérêts ont donné lieu aux mêmes usages dans les temps modernes.
Les archives municipales, et surtout les actes du tabellionage, révéleraient une longue série d'enseignes.
Sous le titre de : Échantillons curieux de statistique, Ch. Nodier, dans une de ses notices publiées en 1835, et réunies en un volume in-8, rappelle un certain nombre d'enseignes des tavernes de la ville de Rouen, dont un édit du parlement de Normandie, de la fin du seizième siècle, avait interdit l'entrée aux habitants de la ville, défendant à ceux qui les tenaient ouvertes d'asseoir désormais aucun homme du lieu.
"Il y avait, dit-il, au bout du pont: le Croissant, la Lune, l'Ange, les Degrés, les Flacons, et l'image de saint François.
"Sur les quais: l’Épée, le Baril d'or, le Trou du Grédil, le Perrenet (ou Pavillon) , l’Éléphant, l'Agnus Dei, le Hable, le Cerf, le gros Denier, le Moustier, l'Esturgeon, le Daulphin, le Chauderon, le Holà du Bœuf, la Chasse-Marée, le Grand Moulin, et la Fontaine Bouillante.
"Au port du salut: le Salut d'or, la Pensée, la Teste sarrazine, la Verte maison et les Pelotes.
"Au pied du mont Sainte-Catherine ou aux environs: l'Image sainte Catherine, le Petit lion, la Salamandre, et le Chaperon.
"Près de la halle: la Teste-Dieu, la Croix verte, les Saulciers, l'Ours, le Coulomb (ou Pigeon) , la Coupe, la Fleur de lys, la Barge (1), l’Écu de France, le grand Grédil, le Loup, la Hache, et la Hure.
"Sur Robec: la Pelle, les Avirons, le Chaperon saint Nicaise, le Coq, les Balances, la Petite taverne, qui était particulièrement fréquentée par des jeunes gens de mauvaise conduite; l'Escu de sable, l'Agnelet, le Pot d'étain; le Rosier, la Rose, le Moulinet, la Chèvre, les Maillots, les Signots, saint-Martin, la Cloche et l'Arbre d'or.
"Sur Robec: la Pelle, les Avirons, le Chaperon saint Nicaise, le Coq, les Balances, la Petite taverne, qui était particulièrement fréquentée par des jeunes gens de mauvaise conduite; l'Escu de sable, l'Agnelet, le Pot d'étain; le Rosier, la Rose, le Moulinet, la Chèvre, les Maillots, les Signots, saint-Martin, la Cloche et l'Arbre d'or.
"Au Marché-Neuf: les Coquilles, le Petit pot, le Pèlerin, la Tour pierrée, et la Croix blanche.
"Près de Beauvoisins; le Chapeau rouge, la Bonne foi, les Trois Mores, le Lièvre, l'Estrieu, le Barillet, et la Pierre.
"Il y avait encore la Pomme d'or près de la porte Cauchoise, et on avait laissé ouvertes aux Cauchois les tavernes de saint Gervais
"Quand à l'Image saint Jacques, elle fut privilégiée. Il paraît qu'elle a eu le précieux monopole des Trimballes (2)."
Dans la même notice se trouve mentionnées quelques enseignes de la ville de Paris, dont l'indication trouve naturellement sa place ici:
"La Pomme de pin, le Petit diable, la Grosse tête, les Trois maillots, saint Martin, l'Aigle royal, le Riche laboureur, le Grand cornu, la Table du valeureux Roland, la Galerie, l’Échiquier, les Trois entonnoirs, l'Escu, la Bastille, l'Escharpe, l'Hôtel du Petit saint Antoine, les Torches, les Trois quilliers."
Un fou de cabaretier de la rue Montmartre avait pour enseigne la Tête-Dieu; le curé de Sainte-Eustache eut bien de la peine à la lui faire ôter. Il fallut une condamnation pour cela (Tallement des Reaux.)
Tallement raconte aussi l'histoire d'une enseigne de Notre-Dame, sur le pont Notre-Dame, que le peuple croyait avoir vu pleurer et jeter du sang. L'archevêque la fit ôter.
Le même auteur raconte qu'un commis borgne ayant exigé d'un cabaretier des droits qu'il ne devait pas, le cabaretier, pour s'en venger, fit représenter le portrait du commis à son enseigne, sous la forme d'un voleur, avec cette inscription: "Au Borgne qui prend." Le commis s'en trouvant offensé, vint trouver le cabaretier et lui rendit l'argent des droits en question, à la charge qu'il ferait réformer son enseigne. Le cabaretier, pour satisfaire à cette condition, fit seulement ôter le P; si bien qu'il resta: "Au borgne qui rend", au lieu du "Borgne qui prend".
Il y avait un éveillé de cordonnier de la rue Saint-Antoine, à l'enseigne du Pantalon, qui, quand il voyait passer un arracheur de dents, faisait semblant d'avoir une dent gâtée, puis le mordait bien serré, et criait: Au renard! Un arracheur de dents qui savait cela cacha une petite tenaille dans sa main, et lui arracha la première dent qu'il put attraper; puis il se mit à crier: Au renard!
Du reste, ce n'étaient pas seulement les marchands seuls qui plaçaient des signes particuliers sur la façade de leurs maisons.
Pierre Costar, historiographe célèbre, né à Paris en 1603, mort le 13 mai 1660, était fils d'un chapelier de Paris, qui demeurait sur le pont Notre-Dame, à l’Âne rayé (zèbre) . Son père le fit étudier; il réussit, et ne manquant pas de vanité, non plus que d'esprit, il se voulut dépayser et demeura presque toujours dans la province; de sorte que la première fois qu'il revint à Paris, il se voulu faire passer pour un provincial; mais quelqu'un lui dit joliment qu'il ferait tort à Paris de lui ôter la gloire d'avoir produit un si honnête homme, et que quand il le nierait, Notre-Dame pourrait fournir de quoi le convaincre. Il faisait allusion à la boutique du père Costar.
Cottier, médecin de Louis XI, que celui-ci voulait faire périr un jour, se bâtit une maison à Paris avec cette enseigne-rébus: "à l'Abri-Cotier".
Jacques Androuet, célèbre architecte, né à Paris, et auteur de l'ouvrage intitulé: Les plus excellents bastiments de France, avait pris pour enseigne de sa maison, qui était située à l'entrée du petit Pré au Clercs, près de la porte de Nesle, un cerceau ou cercle qui était appendu au-devant de son habitation. De ce cerceau, il fit une appellation qu'il ajouta à son nom de famille, comme une espèce de titre seigneurial fort à la mode en ce temps-là, et qui l'est encore de nos jours.
A Paris, l'imprimerie et le commerce de la librairie s'étaient établis dans le quartier latin; toutefois ils étaient descendus jusque dans la Cité, où demeurait Simon Vostre, si connu pour ses livres d'Heures, à l'usage des différents diocèses de France, imprimés à la fin du quinzième siècle et au commencement du seizième. Simon Vostre demeurait rue Neuve-Notre-Dame, et sa boutique portait pour enseigne saint Jean-Baptiste.
Thielmann Kerveo, autre imprimeur libraire en 1525, avait pris pour enseigne la Licorne, il demeurait rue Saint-Jacques.
Nicolas Bonfons, annotateur des Antiquités de Paris, de Gilles Corrozet, dont une nouvelle édition parut en 1536, demeurait rue Neuve-Notre-Dame, et avait adopté comme enseigne saint Jean-Baptiste.
Au coin de la rue Charretière et de la rue Fromontel, il existe une ancienne maison à la façade de laquelle se voyaient plusieurs inscriptions, dont l'une indiquait la date de sa construction, 1606. Le propriétaire avait pris pour enseigne le roi régnant, Henri IV, sous le patronage duquel cette maison a été connue jusqu'à ce jour; et comme il voulait consacrer cette désignation par un signe durable, il fit sculpter la statue en pied du monarque, laquelle est restée sur son support jusqu'à l'année 1792, où elle fut détruite. Ce n'est qu'à la restauration de la maison des Bourbons, que cette enseigne fut rétablie, non en pierre comme l'ancienne, mais en peinture à l'huile, et couronnée d'un auvent avec l'inscription: "Au grand Henri."
Afin de rabattre un peu l'orgueil de ceux qui croient le monde plus spirituel qu'il y a trois siècles, et se figure que le moderne charlatanisme surpasse tout, il convient de faire observer que certaines enseignes burlesques dont l'étymologie semble bizarre à plus d'un négociant parisien, sont les tableaux morts de vivants tableaux, à l'aide desquels nos ancêtres, fins matois, réussissaient à amener les chalands dans leurs maisons. Ainsi la Truie qui file, le Coq-Héron, le Singe vert, etc. , furent des animaux en cage dont l'adresse émerveillait les passants, et dont l'éducation prouvait la patience de l'industriel au quinzième siècle. De semblables curiosités enrichissaient plus vite leurs heureux possesseurs que les enseignes dévotes, telles que la Providence, la grâce de Dieu, la Bonne Foi, la Décollation de saint Jean-Baptiste, le Signe de la Croix, que l'on voit encore rue Saint-Denis et dans d'autres vieux quartiers.
Jacques Androuet, célèbre architecte, né à Paris, et auteur de l'ouvrage intitulé: Les plus excellents bastiments de France, avait pris pour enseigne de sa maison, qui était située à l'entrée du petit Pré au Clercs, près de la porte de Nesle, un cerceau ou cercle qui était appendu au-devant de son habitation. De ce cerceau, il fit une appellation qu'il ajouta à son nom de famille, comme une espèce de titre seigneurial fort à la mode en ce temps-là, et qui l'est encore de nos jours.
A Paris, l'imprimerie et le commerce de la librairie s'étaient établis dans le quartier latin; toutefois ils étaient descendus jusque dans la Cité, où demeurait Simon Vostre, si connu pour ses livres d'Heures, à l'usage des différents diocèses de France, imprimés à la fin du quinzième siècle et au commencement du seizième. Simon Vostre demeurait rue Neuve-Notre-Dame, et sa boutique portait pour enseigne saint Jean-Baptiste.
Thielmann Kerveo, autre imprimeur libraire en 1525, avait pris pour enseigne la Licorne, il demeurait rue Saint-Jacques.
Nicolas Bonfons, annotateur des Antiquités de Paris, de Gilles Corrozet, dont une nouvelle édition parut en 1536, demeurait rue Neuve-Notre-Dame, et avait adopté comme enseigne saint Jean-Baptiste.
Au coin de la rue Charretière et de la rue Fromontel, il existe une ancienne maison à la façade de laquelle se voyaient plusieurs inscriptions, dont l'une indiquait la date de sa construction, 1606. Le propriétaire avait pris pour enseigne le roi régnant, Henri IV, sous le patronage duquel cette maison a été connue jusqu'à ce jour; et comme il voulait consacrer cette désignation par un signe durable, il fit sculpter la statue en pied du monarque, laquelle est restée sur son support jusqu'à l'année 1792, où elle fut détruite. Ce n'est qu'à la restauration de la maison des Bourbons, que cette enseigne fut rétablie, non en pierre comme l'ancienne, mais en peinture à l'huile, et couronnée d'un auvent avec l'inscription: "Au grand Henri."
Afin de rabattre un peu l'orgueil de ceux qui croient le monde plus spirituel qu'il y a trois siècles, et se figure que le moderne charlatanisme surpasse tout, il convient de faire observer que certaines enseignes burlesques dont l'étymologie semble bizarre à plus d'un négociant parisien, sont les tableaux morts de vivants tableaux, à l'aide desquels nos ancêtres, fins matois, réussissaient à amener les chalands dans leurs maisons. Ainsi la Truie qui file, le Coq-Héron, le Singe vert, etc. , furent des animaux en cage dont l'adresse émerveillait les passants, et dont l'éducation prouvait la patience de l'industriel au quinzième siècle. De semblables curiosités enrichissaient plus vite leurs heureux possesseurs que les enseignes dévotes, telles que la Providence, la grâce de Dieu, la Bonne Foi, la Décollation de saint Jean-Baptiste, le Signe de la Croix, que l'on voit encore rue Saint-Denis et dans d'autres vieux quartiers.
(1) La maison de la Barge (barque) existe encore rue Grand-Pont; elle porte le numéro 36. L'enseigne en relief a été transportée au Musée d'antiquités de département. Elle avait été montée à l'entrée de la maison, sur le pignon de la porte surbaissée en moulures gothiques du quinzième siècle. Elle représente une barque, la voile enflée et voguant sur des flots agités. Voy. la gravure.
(2) Trimballe ou triballe, du vieux verbe trimballer, traîner, rouler, conduire après soi.
Le magasin pittoresque, mars 1851.
Le magasin pittoresque, mars 1851.
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