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dimanche 30 novembre 2014

Variétés médicales.

Variétés médicales.


Les anciens employaient de préférence le mot morticina pour exprimer un cadavre, parce qu'il leur paraissait moins dur et moins épouvantable que ce dernier mot, et qu'il ne leur inspirait pas, comme lui, du dégoût et de l'horreur. Nous nous bornerons à citer l'exemple pris sur le verset II du psaume 78 (1). Ce mot rendrait bien aussi l'état de pâleur extrême qui suit les longs jeûnes, les pertes abondantes de sang, les effets de la peur. "Je n'avais plus une goutte de sang dans les veines," dit-on communément, pour exprimé l'effroi qu'on a éprouvé; et, en effet, le sang se retire au-dedans, la face devient pâle: il y a morticine.
Des écrivains dignes de foi rapportent beaucoup d'histoires de personnes qui avaient la faculté de suspendre à volonté tous les mouvemens de la vie, qui restaient, pendant un certain temps, sans respiration, sans pouls, roides et refroidies, et qui pouvaient ensuite d'elles-même reprendre l'exercice de leurs sens. Saint Augustin raconte, dans son livre de Civitate Dei, qu'un prêtre appelé Restitute, de la paroisse de Calame, savait, à son gré, se mettre dans un état si voisin de la mort, qu'il n'était sensible ni aux brûlures, ni aux piqûres, ni à aucune des plus fortes épreuves qu'on pût faire sur son corps, et qu'il ne présentait aucun signe de respiration, aucun battement de cœur ni de pouls, en un mot, qu'il y avait chez lui suspension complète de la vie et de l'exercice des sens, et véritablement morticine. Chegue a été témoin  d'un fait semblable, et la mort lui paraissait tellement certaine, qu'il allait se retirer, lorsque, cet état extatique cessant tout à coup, le pouls et la respiration se ranimèrent par degrés. Cette espèce de jonglerie a été commune à une époque où l'exaltation religieuse était portée au plus haut degré, et il arrivait quelquefois que ceux qui la pratiquaient finissaient par payer de leur vie les essais trop réitérés ou trop prolongés d'un état de mort apparente, qui les faisait regarder comme des saints par la multitude, de tout temps amie de ce qui parait tenir du merveilleux.
Certains philosophes de l'antiquité usaient d'un régime si sobre et si peu réparateur, qu'ils étaient d'une pâleur extrême, et d'une maigreur telle, que leur peau paraissait, comme on dit vulgairement, collée sur les os. On rapporte que les disciples de Porcius Latro buvaient du cumin pour se rendre aussi pâle que leur maître. 
Le cumin aurait-il la propriété de rendre pâle? Nous laissons aux expérimentateurs bénévoles le soin de cette vérification peu importante. Mais si par ce moyen les disciples se rendaient aussi pâles que leur maître, il leur était impossible de devenir maigres et transparens comme lui, à moins d'adopter entièrement son régime; nous n'entrerons dans aucun détail sur les causes qui peuvent produire cet état de diaphanéité, quoique nous sachions que Malebranche était diaphane, et que, nous en trouvions encore plusieurs autres exemples dans des ouvrages de médecine fort estimés.
Parmi les nombreuses maladies dont les suites entretiennent cet état de pâleur extrême, que nous désignons par le mot morticine, nous nous bornerons à citer la chlorose, l'hydropisie, et les hémorragies fréquentes et abondantes. Pauline, femme de Sénèque, resta pâle toute sa vie, s'étant fait ouvrir les veines pour mourir avec son mari; on sait aussi que Constance Chlore, grand-oncle de l'empereur Constantin, ne dut ce surnom qu'à son extrême pâleur. Les religieux qui habitent des cloîtres sombres, humides et peu aérés, et en général toutes les personnes qui, par leur état, se trouvent placées dans des lieux privés de l'heureuse influence de la lumière et de l'air, deviennent étiolées et présentent cet aspect cadavéreux qui contraste singulièrement avec la vie. Les élèves en médecine, qu'un amour ardent de l'étude retient trop-longtemps dans les amphithéâtres de dissection, finissent par pâlir sur le cadavre, et c'est alors le cas de dire, avec Lamettrie, qu'ils semblent leur avoir dérobé leur lividité.
Il fut un temps, en France, où, croyant paraître plus belles, ou inspirer plus d'intérêt, les femmes employaient tous les moyens pour devenir d'une pâleur extrême. Chez les anciens, au contraire, comme de nos jours, elles aimaient à paraître d'une fraîcheur éclatante, et savaient à merveille imiter la nature lorsqu'elle leur avait refusé cet aimable incarnat, signe certain d'une belle santé, ou lorsque des circonstances particulières la leur avait fait perdre avant le temps.
L'art des cosmétiques est aujourd'hui porté au plus haut degré de perfection, et telle femme, qui le matin était d'une pâleur extrême, sort de sa toilette avec un teint de lys et de rose, va dans le monde briller d'un éclat imposteur, puis en rentrant, dépose sur un mouchoir sa fraîcheur devenue inutile. Quelques historiens rapportent que le cardinal Mazarin, et avant lui Philippe II, s'étaient, au lit de mort, et pour feindre de tromper jusqu'au bout, fait mettre du rouge. hélas! pauvre humanité, on peut tromper les hommes, même les courtisans, mais la mort!...


(1) Posuerunt morticina servorum tuorum esoces volitilibus cocle, carnes sanctorum tuorum bestiis terra.

Magasin universel, 1834.

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