Chronique de la Corse.
Le baron de Neuhof.
Le baron de Neuhof.
A l'époque où les Corses luttaient pour leur indépendance contre les Génois, il se présenta un homme qui se fit fort d'intéresser les puissances de l'Europe à leur cause, de leur fournir tous les moyens d'affranchissement, de sûreté, de prospérité. Pour cela, il ne demandait que le trône, il l'obtint.
Né à Metz vers 1690, fils d'un noble Westphalien qui s'était brouillé avec toute sa famille, il vint en France réclamer la protection de la duchesse d'Orléans. Elevé par les soins de cette princesse, Théodore de Neuhof fit partie de ses pages, et entra au service de France, qu'il quitta pour celui de Suède. Plus intrigant que soldat, il reçut du baron de Gœrtz une mission secrète pour Albéroni, et la remplit à la satisfaction des deux ministres. Mais la mort de l'un, la disgrâce de l'autre, ayant trompé son espoir, ne sachant comment fuir les créanciers que lui avaient fait ses spéculations malheureuses sur le système de Law, il se rendit à Florence, avec le caractère de résident pour l'empereur Charles VI. C'est alors que la royauté lui apparut comme dernière ressource; il séduisit, il éblouit les Corses, qui, en retour de ses promesses magnifiques, lui promirent tout ce qu'il voulût. Rebuté par les cours d'Europe, dont il sollicita l'appui; mieux accueilli en Turquie, il réussit bien mieux encore à Tunis, dont la régence lui accorda un vaisseau, des armes, des munitions et de l'argent.
Les Corses venaient de placer leur île sous l'égide de la Sainte-Vierge, lorsque Théodore Neuhof débarqua au port d'Aléria (15 mars 1736), vêtu à la turque et coiffé d'un turban, s'intitulant grand d'Espagne, pair de France, baron d'Angleterre, chevalier de l'ordre teutonique et prince de l'état de l'Eglise.
"Il débuta, dit Voltaire, par déclarer qu'il arrivait avec des trésors immenses, et, pour preuve, il répandit parmi le peuple une cinquantaine de séquins en monnaie de billon. Les fusils, la poudre qu'il distribua, furent les preuves de sa puissance. Il donna des souliers de bon cuir, magnificence ignorée en Corse; il aposta des courriers qui venaient de Livourne sur des barques, et qui lui apportaient de prétendus paquets des puissances de l'Europe et d'Afrique."
Peu de jours après (15 avril 1736), il fut proclamé roi dans une assemblée générale tenue à Alezani. Une armée nombreuse se leva, et Théodore remporta d'abord quelques avantages: mais bientôt les Génois le repoussèrent au-delà des monts, et il s'établit à Sartène, où le baron de Drosth, son parent, le rejoignit avec de l'argent et des munitions. Huit mois ne s'étaient écoulés que des murmures se faisaient entendre, que l'autorité du nouveau roi était méconnue et sa vie menacée. Théodore convoqua les députés de toutes les pièves (paroisses), et leur déclara qu'il allait se séparer d'eux pour hâter les secours fastueusement annoncés; il désigna vingt-huit citoyens pour former un conseil de régence, et partit pour Livourne, cherchant partout des dupes; il en trouva quelques unes à Rome, à Turin; à Paris la police voulut le jeter à For-l'Evêque; à Amsterdam, un de ses créanciers le fit mettre en prison, et plusieurs autres l'y écrouèrent; mais un juif paya ses dettes, et lui avança cinq millions pour équiper trois vaisseaux marchands et une frégate. Ce juif convoitait le monopole du commerce avec l'île de Corse; on soupçonna d'ailleurs les états généraux d'être de moitié dans le marché.
Théodore reparut en vue de son royaume; mais contenu par la présence des troupes françaises, ses sujets restèrent dans l'inaction; un coup de vent poussa le baron-roi dans le port de Naples; on l'arrêta, et la forteresse de Gaëte lui servit de palais. Mis en liberté, il recommença sa vie errante: son parti n'existait plus qu'à peine; en 1742, il revint encore, amené par un vaisseau anglais; aucune piève ne répondit à son appel; néanmoins les Génois mirent sa tête à prix.
"Un dernier revers, dit un biographe, attendait à Londres ce jouet de la fortune. Lorsqu'il se flattait de provoquer encore un armement en sa faveur, ses créanciers lui firent subir le même sort qu'en Hollande. Il sortit enfin de prison, où il avait langui pendant sept ans dans la misère et le mépris, et déclara préalablement qu'il abandonnait son royaume pour hypothèque à ses créanciers. Horace Walpole ouvrit en sa faveur une souscription qui lui assura les moyens de subsister jusqu'à sa mort. Théodore fut enterré sans distinction dans le cimetière commun de Sainte-Anne de Westminster, et Walpole chargea sa tombe d'une épitaphe qui finissait par ces mots:" la fortune lui donna son royaume, et lui refusa du pain."
Magasin universel, 1834.
Les Corses venaient de placer leur île sous l'égide de la Sainte-Vierge, lorsque Théodore Neuhof débarqua au port d'Aléria (15 mars 1736), vêtu à la turque et coiffé d'un turban, s'intitulant grand d'Espagne, pair de France, baron d'Angleterre, chevalier de l'ordre teutonique et prince de l'état de l'Eglise.
"Il débuta, dit Voltaire, par déclarer qu'il arrivait avec des trésors immenses, et, pour preuve, il répandit parmi le peuple une cinquantaine de séquins en monnaie de billon. Les fusils, la poudre qu'il distribua, furent les preuves de sa puissance. Il donna des souliers de bon cuir, magnificence ignorée en Corse; il aposta des courriers qui venaient de Livourne sur des barques, et qui lui apportaient de prétendus paquets des puissances de l'Europe et d'Afrique."
Peu de jours après (15 avril 1736), il fut proclamé roi dans une assemblée générale tenue à Alezani. Une armée nombreuse se leva, et Théodore remporta d'abord quelques avantages: mais bientôt les Génois le repoussèrent au-delà des monts, et il s'établit à Sartène, où le baron de Drosth, son parent, le rejoignit avec de l'argent et des munitions. Huit mois ne s'étaient écoulés que des murmures se faisaient entendre, que l'autorité du nouveau roi était méconnue et sa vie menacée. Théodore convoqua les députés de toutes les pièves (paroisses), et leur déclara qu'il allait se séparer d'eux pour hâter les secours fastueusement annoncés; il désigna vingt-huit citoyens pour former un conseil de régence, et partit pour Livourne, cherchant partout des dupes; il en trouva quelques unes à Rome, à Turin; à Paris la police voulut le jeter à For-l'Evêque; à Amsterdam, un de ses créanciers le fit mettre en prison, et plusieurs autres l'y écrouèrent; mais un juif paya ses dettes, et lui avança cinq millions pour équiper trois vaisseaux marchands et une frégate. Ce juif convoitait le monopole du commerce avec l'île de Corse; on soupçonna d'ailleurs les états généraux d'être de moitié dans le marché.
Théodore reparut en vue de son royaume; mais contenu par la présence des troupes françaises, ses sujets restèrent dans l'inaction; un coup de vent poussa le baron-roi dans le port de Naples; on l'arrêta, et la forteresse de Gaëte lui servit de palais. Mis en liberté, il recommença sa vie errante: son parti n'existait plus qu'à peine; en 1742, il revint encore, amené par un vaisseau anglais; aucune piève ne répondit à son appel; néanmoins les Génois mirent sa tête à prix.
"Un dernier revers, dit un biographe, attendait à Londres ce jouet de la fortune. Lorsqu'il se flattait de provoquer encore un armement en sa faveur, ses créanciers lui firent subir le même sort qu'en Hollande. Il sortit enfin de prison, où il avait langui pendant sept ans dans la misère et le mépris, et déclara préalablement qu'il abandonnait son royaume pour hypothèque à ses créanciers. Horace Walpole ouvrit en sa faveur une souscription qui lui assura les moyens de subsister jusqu'à sa mort. Théodore fut enterré sans distinction dans le cimetière commun de Sainte-Anne de Westminster, et Walpole chargea sa tombe d'une épitaphe qui finissait par ces mots:" la fortune lui donna son royaume, et lui refusa du pain."
Magasin universel, 1834.
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