Chronique.
Au moment où nous mettons sous presse, un grand deuil national vient de frapper la France. Béranger est mort. Nous consacrerons, dans un de nos prochains numéros, un article à ce populaire génie.
Les chaleurs de cette année font faire d'étranges choses en fait d'immersion; tous les hommes courent à l'eau avec le même instinct qui conduit les petits canards, à peine sortis de leur coquille, au sein de la mare; et chacun se plonge dans l'élément limpide là où il peut le trouver.
Il y a quelques jours, un inspecteur de la salubrité publique traversait de grand matin la place de la Concorde. Il vit avec surprise des vêtements militaires au pied d'une des fontaines.
Ayant été faire part de cet incident au poste voisin (ministère de la marine), un caporal et deux hommes revinrent avec lui savoir de quoi il s'agissait.
En examinant le fontaine, l'inspecteur et les trois hommes virent un homme nu comme la main, barbu et moustachu, qui, droit contre la colonne, derrière la nappe d'eau, avait l'air le plus heureux en se sentant délicieusement enveloppé par ce globe de cristal humide.
S'il eût pris cette fantaisie un peu plus tard, les passants de la place auraient trouvé qu'il y avait là un singulier ornement ajouté à la fontaine.
Inutile de dire qu'on a fait de suite descendre le vieux sergent, car telle était sa qualité, en lui faisant promettre de ne plus y retourner, et en ajoutant sans doute quelques jours de salle de police, pour qu'il se souvint mieux de sa parole.
C'est à peu près ainsi que trois sous-officiers de chasseurs, casernés à Vincennes, étant allés se promener à Saint-Maur, eurent tout d'abord la pensée de se jeter à la rivière.
L'un d'eux, nommé Vicaire, et excellent nageur, raillait beaucoup ses camarades de leur maladresse à plonger et à faire la planche. Fendant les flots avec une agilité extraordinaire, il s'arrêta cependant, et dit à ceux qui le suivaient de venir à son aide, parce qu'il était saisi d'une crampe. Ses compagnons s'en gardèrent bien, pensant que c'était une nouvelle manière de se moquer de leur infériorité. Mais, quelques instants après, le corps du malheureux sous-officier était au fond de l'eau, où il avait trouvé la mort.
Une perte encore plus douloureuse a frappé les officiers attachés à l'école normale de gymnastique.
Deux d'entre eux, à la suite d'une légère altercation, ont cru de leur honneur de terminer le différend par un duel. L'arme choisie a été le sabre; et sa lame est si meurtrière, que les deux adversaires, par un fait aussi étrange que funeste, ont succombé l'un et l'autre. On les a portés au Val de Grâce, atteints de blessures si graves que chacun d'eux avait fait à son l'adversaire avant de lâcher le fer, qu'ils ont bientôt expiré.
Nous ne parlerons pas de suicides: il faudrait des pages entières pour enregistrer le nom de ceux que possède cette manie de la corde, du fourneau à charbon ou de la rivière, depuis la jeune fille de seize ans que tourmente un chagrin d'amour, jusqu'au vieillard mécontent de la vie et qui la traite comme une maîtresse avec laquelle on se brouille, et qu'on veut quitter avant qu'elle vous quitte.
M. B... , homme très-riche et très-haut placé, s'est fait conduire en cabriolet de place sur le parvis Notre-Dame; il a demandé au gardien de monter aux tours, et, aussitôt là, il s'est précipité sur le pavé. On a trouvé sur lui que cinquante centimes que le cocher de cabriolet lui avait rendus. Mais ces cinquante centimes sont le secret de sa mort. Cet homme si riche avait tant perdu à la Bourse, qu'il ne lui restait plus rien au monde que quelque monnaie pour aller, en voiture, chercher la mort.
Mais les suicidés, maintenant, ont un caractère particulier; ils entrent en fureur quand on les interrompt avant le dénouement. Le nommé Jules C... , menuisier, qui s'était jeté dans le canal Saint-Martin, à la hauteur de la rue Grange-aux Belles, a été saisi d'une telle colère contre le sergent de ville S... , qui le retirait de l'eau, qu'en luttant avec violence contre son sauveur, il a lancé celui-ci dans le canal.
Ces malheureux soutiennent avec quelque raison que, puisqu'ils se tuent, c'est qu'ils ne veulent plus vivre; et que, lorsqu'on a passé ce moment si pénible et si difficile d'exécuter un tel dessein, il est infiniment désagréable d'être obligé de recommencer.
Mais tout cela n'est rien en fait des cruelles aberrations humaines; en voici une qui dépasse toute croyance.
Nous ne dirons pas en quel endroit le fait s'est produit, pour l'honneur du pays.
Un vieillard, appartenant à une famille pauvre, était depuis longtemps dans un état d'idiotisme qui le rendait un lourd fardeau pour ses enfants.
Un seul de ses fils habitait près de lui et en avait toute la charge. L'embonpoint dont jouissait son père lui fit naître une horrible idée: il proposa à un de ses voisins, trafiquant de graisse, de lui vendre son père, qu'il ferait fondre, et dont il tirerait une bonne somme. Le marché fut conclu au prix de 210 fr. 50 centimes.
Mais il paraît que l'acheteur commit quelques indiscrétions sur l'opération qu'il allait faire; la justice fut avertie, et elle épia le moment de saisir ces deux horribles malfaiteurs lorsque leur projet serait avéré, et non encore exécuté.
Tous deux maintenant sont en prison, et n'en sortiront que pour expier leur crime.
Paul de Couder.
Journal du Dimanche, 9 août 1857.
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