Automobiles contre voitures.
Si la France, selon la pittoresque expression d'un journaliste New-yorkais, est devenue le recreation-ground du monde civilisé, elle ne le doit pas uniquement à l'état de ses routes, qui sont, sans contredit, les plus belles du monde.
Elle le doit aussi à l'humeur endurante de nos paysans, qui ont appris déjà à faire la distinction entre "chauffeurs" et "chauffards", et ne considèrent pas comme leur ennemi-né toute personne qu'ils aperçoivent à l'avant, ou à l'extérieur, d'une automobile.
Elle le doit enfin à l'aménité de ses lois, si paternellement indulgentes envers les passionnés d'excessive vitesse.
Aux Etats-Unis, au contraire, l'essor de l'automobile se voit arrêté par d'innombrables obstacles. Notons les plus importants: l'absence presque complète de bonnes routes, le manque de chauffeurs expérimentés, l'antagonisme des populations rurales, les tracasseries administratives.
Nous seulement un motor-car doit payer patente dans chaque Etat qu'il traverse; mais il lui faut changer son numéro et sa plaque dès qu'il passe, par exemple, du New-York dans le New-Jersey. Enfin, certaines municipalités imposent des maxima de vitesse ridiculement bas: quinze, vingt kilomètres à l'heure.
Exaspérés par une persécution qui se fait d'année en année moins supportable, les automobiles-club américains ont ouvert une campagne pour obtenir l'abrogation de ces règlements. Voici l'un des procédés qu'ils emploient. On conviendra qu'il fait honneur à l'ingéniosité de l'inventeur.
Ils ont fait construire plusieurs véhicules semblables à celui que représente notre photographie.
L'auto-meter porte au sommet de son coffre un énorme cadran, qui enregistre la vitesse acquise en chiffre si gros, si apparents, que le passant le plus distrait peut les lire d'un coup d’œil. A plus forte raison le vigilant policeman!
L'automètre s'engage innocemment sur la promenade la plus fréquentée. Le chauffeur guette la "voiture-à-chevaux" qui lui paraît aller le plus vite; il l'a rejoint et lui emboîte le pas. Tous les passants, les défenseurs de l'ordre y compris, feraient preuve de la mauvaise volonté la plus notoire s'ils ne constataient pas, grâce au cadran de l'automobile, que ladite voiture dépasse la vitesse permise et enfreint les règlements officiels.
Et c'est précisément le but que se propose l'inventeur: montrer que les lois américaines ont deux poids deux mesures, que les mesures vexatoires ne sont appliquées qu'aux automobilistes, et que les véhicules à traction animale marchent fréquemment à une vitesse interdite, sans qu'il leur en coûte la moindre contravention.
Ces automètres sont expédiées successivement dans les grandes villes de l'Union, et il se pourrait qu'une aussi ingénieuse campagne portât avant peu ses fruits.
V. Forbin.
La Nature, deuxième semestre 1907.
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