Chronique.
Tous les faits tendant à signaler les lumières et l'intelligence qui s'introduisent en ce temps-ci dans la classe des ouvriers, sont véritablement une satisfaction et un honneur national, et, d'après cela, infiniment intéressants à constater.
Voici un ouvrier typographe, M. Léon Lesueur, qui vient de présenter à l'autorité le plan d'un travail d'amélioration qui serait des plus agréables pour la ville.
On a depuis longtemps le projet de jeter un pont entre la rue Bellechasse et le quai de Tuileries, pour faciliter la communication entre le dixième arrondissement et la rive droite de la Seine. Les habitants des deux bords éprouvent de longs retards dans leur marche en prenant le pont Royal, surtout lorsque le jardin des Tuileries est fermé, et réclament vivement ce passage. Comme complément de ce plan, M. Lesueur vient de soumettre à l'administration le dessin d'un tunnel qui serait percé sous le jardin des Tuileries, prenant naissance sous la terrasse du bord de l'eau, vis à vis le Conseil d'Etat et aboutissant en face de la rue d'Alger. Quatre corbeilles de fleurs dissimuleraient les puits placés dans le jardin pour donner de l'air au tunnel.
Mais ce qui est bien plus important, l'auteur propose de percer un autre tunnel sous les Champs-Elysées, pour mettre en communication les deux côtés de l'avenue, sans être obligé de traverser la grande allée, si prodigieusement sillonnés de voitures.
Si ces plans s'exécutent, combien d'actions de grâces ne devront pas à l'auteur ceux qui auraient été destinés à être écrasés sous les pieds des chevaux dans les années suivantes, puisque aucune saison ne s'écoule sans qu'on ait à signaler de semblables malheurs.
En parlant des travaux de l'édilité, disons un mot de la place Saint-André-des-Arts, puisqu'elle est la voisine du Dimanche.
Le boulevard de Sébastopol, rive gauche, commence vers l'entrée de cette place, sur l'espace où se continuait la rue du même nom. Cette partie se nommait, au quinzième siècle, rue de la Clef, en raison de Perrinet Leclerc, qui habitait dans l'une de ses maisons, et qui, après avoir dérobé les clefs de la ville sous le chevet de son père endormi, les jeta par-dessus de la porte de Buci, pour favoriser l'entrée des bourguignons dans Paris, où le seigneur de l'Isle-Adam pénétra à la tête de huit cents soldats du duc de Bourgogne.
On sait qu'il s'en suivi des massacres sans nombre, et que le corps du connétable d'Armagnac, dépecé, resta longtemps exposé aux insultes du peuple.
Mais, puisque le dernier souvenir de Perrinet Leclerc va disparaître avec cette rue qui tombe, nous rappellerons à ceux qui l'appelleraient traître que ce d'Armagnac, si méchamment tué, venait, à ce moment même, d'organiser un plan d'égorgement en grand, qui, sous prétexte de frapper les Bourguignons, allait faire baigner dans le sang plus de la moitié de la ville.
Dans le temps, on érigea à Perrinet Leclerc une statue au pied du pont Saint-Michel. Elle fut renversée à la rentrée de Charles VII. Par un destin bizarre, le tronc de cette statue de pierre mutilée servit longtemps de borne à l'angle des rues Saint-André-des-Arts et de la Harpe.
Observons en passant combien l'esprit parisien devient de jour en jour moins hospitalier. Autrefois, on mettait des bancs devant toutes les grandes maisons, qui offraient ainsi poliment au passant de s'asseoir. Ensuite on y a mis des bornes, ce qui était un peu plus dur, mais enfin présentait encore un siège au besoin. A présent, on n'y met plus rien du tout, et le piéton, harassé de fatigue, peut bien, s'il lui plait, se reposer sur le pavé.
Il n'y a pas de bien dont il n'arrive un mal; on sait tout ce que les allumettes chimiques, fort commodes pour donner de la lumière, ont causé d'incendies en outre-passant de beaucoup leur pouvoir. Maintenant qu'on prend des voyageurs sur l'impériale des omnibus, voici que les malheurs commencent. On se rappelle que M. Simart, statuaire, a péri en tombant du haut de ces voitures, et cette semaine, dans la grande rue de Passy, un monsieur d'une soixantaine d'années s'est cassé la jambe en descendant sans que l'omnibus fût arrêté.
De tels événements sont utiles à rapporter, afin qu'ils servent d'exemple.
On constate toujours un grand nombre de suicides. Dans la campagne de Fontainebleau, le nommé Pierre Maison, frappé sans doute d'un coup de soleil, s'est pendu aux branches d'un ingrat cerisier qui ne lui avait pas donné de fruits. A Paris, un honnête Auvergnat s'est jeté dans la Seine, après avoir perdu en jouant à la Bourse, tout le fruit de ses seaux d'eau. Cette eau, qui avait fait sa petite fortune, ne lui a plus donné qu'une tombe. Un gendarme de faction s'est fait sauter la cervelle par suite de chagrin d'amour.
Paul de Couder.
Journal du Dimanche, 26 juillet 1857.
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