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mercredi 12 novembre 2014

A l'agence matrimoniale.

A l'agence matrimoniale.


C'est toujours avec peine que je réprime un certain effarement sur une annonce d'agence matrimoniale où quelque héritière est offerte aux aventuriers, à moins que ce ne soit le dernier rejeton d'une vieille race ruinée qui soit mis à l'encan.
Des opinions, peut-être désuètes au début du XXe siècle, me laissent croire encore que le mariage est quelque chose de saint et de sacré, puisqu'il est basé sur le plus beau des sentiments.
Nous ne sommes pas en Orient chez les polygames, où le propriétaire économe va au marché acheter une femme nouvelle, comme la Parisienne élégante va, chaque semaine ou chaque mois, chez sa couturière faire renouveler ses toilettes et le boulevardier snob chez son chapelier faire donner si possible, un neuvième reflet à son haut de forme. Or, comment se fait-il que, ne vivant pas sous les cieux rutilants favorables aux éditions exagérées du mariage, nous copiions, nous pastichions encore ces peuples presque barbares qui voient, dans le renouvellement des libres noces, une sorte de négoce utile ou luxueux?


Mariages d'aujourd'hui.

Si un jeune homme ne rencontre pas, dans le cercle de ses relations, la jeune fille dotée selon ses désirs, il se propose comme fiancé à la quatrième, ou à la douzième, page d'un journal, entre une réclame de poudre à punaises et un cliché de pâte épilatoire. Quant à la jeune fille ambitieuse qui ne connait aucun homme digne d'elle, si elle n'a pas l'audace de s'insérer vivante dans les colonnes d'un quotidien, elle aura recours à ces matrones nouveau jeu, qui se chargent de mettre en rapport épouseurs et épouseuses, moyennant une petite provision versée d'avance et un tant pour cent sur la dot dès le contrat signé.
Longtemps je n'y ai pas cru: les agences matrimoniales me paraissaient chimériques à l'instar des boutiques où l'on débite, avec des balances, les joies et les sourires, et où les enfants ont tous rêvé de se rendre un jour.
J'ai été convaincue au mariage d'une de mes amies de pension. Nous ne nous étions pas vues depuis quelques années, quand cette bonne camarade vint me faire part de ses prochaines épousailles et me prier d'y assister. Ah! de ma vie je ne verrai pareil cortège! Le marié, un sphinx; la famille du marié, un poème! Lui se tenait assez bien, mais elle! Et les invités!
Une seule personne avait un peu d'allure: c'était une dame à cheveux gris qui se présenta à moi comme la veuve d'un officier de marine. J'ai su depuis que c'était elle qui avait fait le mariage; mieux, elle avait fourni l'assistance: les invités n'était qu'en location. 



Ma pauvre camarade avait été prise de l'ambition d'être appelée madame; elle s'est adressée à une agence spéciale qui, il faut le dire, ne l'avait guère "estampée". Quelle est son existence dans ce singulier mariage, sur quelle estime  a-t-il pu être basé? Je l'ignore. J'ai su vaguement qu'on avait parlé de divorce quelques mois après la cérémonie. C'est tout, et je n'ai jamais rencontré aucun des personnages de ce cortège.
Pourtant le souvenir de la veuve d'officier de marine passée intermédiaire conjugale, magicienne en justes noces et organisatrice de nouvelles familles, revenait parfois à ma mémoire et il est certain que, si son adresse m'eût été révélée, je me fusse permis, depuis longtemps, d'aller lui présenter mes respects, quitte, pour la disposer aux confidences, à me déclarer mûre pour un mariage dont elle aurait eu la mission, puis le bénéfice.

Le coup de l'annonce.

Mais, à défaut de cette charmante et bienveillante matrone, je pouvais me documenter chez quelques uns de ses confrères. Justement, ces jours derniers, cette annonce me tomba sous les yeux:

Dame du monde désire marier un de ses parents, fonctionnaire aisé, avec dame veuve ou demoiselle ayant dot. Ecrire: L. M.. 43, bureau central.

Quelques mots à Mme L. M. 43 pour me présenter comme jeune personne mûre pour le bonheur conjugal. Deux jours après, j'avais cette réponse:

               Madame,
Voulez-vous passer me voir demain vers trois heures, hôtel B*** , rue du Louvre, n°....
                                                                                     Mme Malvert.

Ce rendez-vous d'affaires, ce style de circulaire me donnaient bon espoir. Bien dans la peau du rôle, la main gauche ornée du porte-monnaie oblong et gigantesque, receleur indiscutable de nombreux billets à l'effigie de la Banque de France, représentés, en l'occasion, par quelques feuilles de papier écolier étroitement pliées, je me présentai, à l'heure fixée, à l'hôtel de la rue du Louvre.



- Mme Malvert?
- Si madame veut prendre la peine d'attendre un instant dans le salon, je vais prevenir Mme Malvert.
Et le chasseur stylé m'introduit dans un salon en velours d'Utrecht pareil à tous ses confrères d'hôtels.
Je n'avais pas fini d'examiner les gravures pendues aux murs qu'une dame assez élégante et d'allure respectable s'avançait vers moi. Son sourire était accueillant et sa mine aimable. Tout de suite, elle me félicita pour mon exactitude, politesse des rois, et comme elle était désireuse, me dit-elle, d'aller droit au but, notre conversation roula immédiatement sur le mariage et le parent à marier.
Grand, brun, joli garçon, trente-quatre ans, employé d'un ministère qu'elle me révélerait plus tard, possesseur de quelques mille livres de rente, ce jeune apprenti fiancé miroita devant moi par la magie de la "blague" facile. Mme Malvert avait ce qu'on nomme, en langage faubourien, le grelot bien attaché.
Après qu'elle eut énuméré les différentes qualités et séductions de son parent, mon interlocutrice attaqua, avant que je lui en fisse la demande, la question de la présentation.

L'entrevue.

Chez elle, chez moi, au musée, au théâtre, nous parurent des décors bien exploités, que nous rejetâmes avec mépris. Ce fut naturellement Mme Malvert qui trouva la solution sage et voici comment elle me l'exposa:
- Mon cousin prend ses repas dans une pension de famille très correcte où, de mon côté, je dîne quelquefois. Voulez-vous y venir demain soir? Ainsi, clients l'un et l'autre, vous aurez toute votre indépendance, tout votre sang-froid, si j'ose m'exprimer pareillement, pour vous étudier et vous connaître. Inutile d'ajouter, n'est-ce pas, que vous êtes mon invitée et que l'addition me reviendra. Cette pension se trouve rue Jean-Jacques Rousseau. Vous y demanderez la pièce où dîne M. Maury.
Je n'insiste pas sur les préparatifs du lendemain et mes artifices de coquetterie pour séduire le fonctionnaire à marier, bref, à sept heures dix, ayant retrouvé Mme Malvert, nous nous mettions à table. Son jeune cousin avait assez l'air d'un calicot bien pommadé. Les autres clients, installés dans cette même salle, échangeaient des poignées de main affectueuses en se retrouvant. Moi seule était étrangère, mais, après un potage printanier, des radis et une cervelle au beurre noir, la glace paraissait rompue, car la conversation se généralisait, avec Mme Malvert et son parent comme entraîneurs. Au gigot bretonne on interprétait différemment le voyage d'Edouard VII et un peu avant la salade de laitue on discutait sur le procès Humbert. Pendant le café Mme Malvert émit joyeusement cette proposition:
- Et si l'on faisait un petit rams?
Puis , s'adressant à moi:
- Vous savez jouer, chère madame?
- Un peu.
On sonna le garçon pour ranger les tasses et glisser un tapis. 



En moins de cinq minutes la partie était engagée et marchait avec la férocité du bac à Monaco.
Par une guigne inexplicable, je perdais constamment; mes mains pleines d'atouts trouvaient des phalanges plus fécondes. A neuf heures, exactement, j'avais perdu les 17 fr. 75 composant ma fortune. Discrètement, Mme Malvert me proposa l'hospitalité de son porte-monnaie. Très digne, très détachée de l'ensorcellement du vil métal, je refusai. Mais mon abstention avait ralenti la belle ardeur des adversaires; moi en dehors de la partie, on parla vite de remiser Pallas jusqu'au lendemain. A ce moment je parlai de me retirer et on ne me retint pas. Ce fut Mme Malvert qui m'accompagna pour recueillir mon impression sur mon fiancé. Elle n'écouta d'ailleurs que distraitement ma réponse, et me promit une lettre qui m'exprimerait l'effet produit par ma bonne tenue.
J'ai attendu et j'attends encore cette épître de consolation...
Depuis j'ai pensé que mes 17 fr. 75 ne valaient guère une réponse: ma fortune était mince. Et qui sait si une malencontreuse pièce du pape ne s'y trouvait pas glissée?
N'importe, aux jeunes personnes à marier qui auraient besoin de quelques leçons de "filage" pour gagner, à défaut de la confiance, les économies de leurs "prétendus", je conseille un stage à la pension de famille sus-dite. On vous y paie votre addition, mais on vous y soulage de votre porte-monnaie: c'est le record matrimonial de la roublardise.

                                                                                                                  Jeanne Landre.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 août 1903.

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