Jeux gymnastiques.
L'un saute, l'autre court; tous se meuvent, s'excitent.
De tant de mouvement que résulte-t-il? Rien!
Que de graves mortels souvent ainsi s'agitent,
Toujours fort empressés, sans produire aucun bien!
J'en demande pardon à l'auteur de cette moralité qui servait de légende à la charmante gravure de Saint-Aubin, mais je le soupçonne d'avoir ici confondu l'exercice salutaire pour le corps avec l'agitation maladive de l'esprit.
Le mouvement, je ne dis pas la turbulence, qui est la loi générale des corps semés dans l'espace, est aussi la condition essentielle de l'existence des êtres, soit immensément grands, soit infiniment petits, qui les habitent.
Sans nous élever, à propos de jeux d'enfants, à des considérations qui ne seraient d'ailleurs que des redites pour les lecteurs du Magasin pittoresque, nous nous bornerons à rappeler qu'une branche moderne de l'éducation de la jeunesse est due à l'observation du besoin absolu d'activité musculaire pour favoriser le développement des facultés physiques de l'être humain: j'ai nommé la gymnastique.
Celle-ci, pratiquée chez les Grecs au point de vue seulement de la beauté plastique, fut adoptée par les Romains comme un moyen d'ajouter à la force de résistance du soldat, et d'assouplir en mouvements gracieux la furia des vainqueurs et les dernières révoltes de l'agonie des vaincus dans les luttes sanglantes des arènes.
Plusieurs siècles passèrent; pendant toute la durée du moyen âge la gymnastique fut abandonnée partout comme institution nationale. Néanmoins, elle se perpétua ça et là, de génération en génération, mais alors indisciplinée ou plutôt n'ayant plus pour règles que les conventions mutuelles des partenaires. On la retrouve florissante dans les campagnes, aux époques des fêtes connues sous le nom d'assemblées. Elle est tout les jours en activité parmi les écoliers, aux heures de la récréation comme après celles de l'étude. Toute parie de barres, de saute-mouton, de balle ou de marelle, commencée dans l'intérieur du collège, doit nécessairement se continuer à la sortie.
Jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, ces violents exercices, indispensables à la circulation du sang chez des adolescents maintenus pendant de longues heures sur les bancs de leur classe, ne constituaient encore qu'une gymnastique pour ainsi dire instinctive, quand Salzmann de Munich, enfants, retenez bien ce nom, conçut la pensée de fonder une école spéciale pour l'enseignement méthodique du mouvement corporel, en vue de l'accroissement des forces humaines.
Née en Allemagne où elle ne tarda pas à se propager, cette science, qui intéresse à la fois l'hygiène des enfants et des hommes, ainsi que leur moralisation, ne fut importée en France que dans la vingtième année de notre siècle. Admise seulement à titre d'essai, elle subit les lenteurs auxquelles la défiance soumet les idées utiles, et ce n'est que trente quatre ans plus tard, c'est à dire en 1854, qu'on l'inscrivit comme exercice obligatoire dans le programme officiel de nos écoles publiques.
Remontant à cent ans en deçà d'aujourd'hui, je relève la note suivante dans le mémorial de mon aïeul maternel:
"Notre atelier d'en bas, qui ouvrait sur la rue, avait pour vis-à-vis la grande porte des collèges réunis de Boncourt et de Navarre; au matin, l'arrivée de messieurs les collégiens m'intéressait peu. Assis devant mon établi, à peine levais-je les yeux pour les voir entrer lentement, un à un, presque tous sérieux et quelques uns comme à regret. Je n'enviai nullement leur sort, bien que celui d'apprenti d'un maître aussi sévère que le mien ne fût pas des plus heureux; mais le soir, quand venait le moment de la sortie du collège, aucune menace de mon patron ne pouvait m'empêcher et détourner mes regards du vitrage au travers duquel je voyais les externes de Navarre et Boncourt franchir bruyamment la porte ouverte et s'ébattre à qui mieux mieux en plein air comme des oiseaux hors de cage. C'est en hiver surtout que ce spectacle, si attrayant pour un prisonnier tel que moi, était le plus animé. Le besoin de réagir contre l'engourdissement gagné dans les salles d'étude multipliait les jeux; on s'y livrait avec plus d'ardeur: ici, s'établissait une glissade, où les poursuivants se succédaient de si près que le dernier arrivé, heurtant les talons de celui qui le précédait sur la piste, déterminait la chute de tous ceux qui glissaient devant lui; ici une pierre levée invitait à jouer au roi détrôné; c'était à qui le premier sauterait d'en bas sur cette pierre; le plus agile s'y tenait déjà debout, défiant ceux qui l'assiégeaient pour l'en faire descendre. Attentif à tous les mouvements, j'étais en esprit avec ceux qui tombaient sur la glissade et avec ceux qui voulaient escalader la pierre. D'autres battaient la semelle pour se réchauffer, et moi, pauvre apprenti prisonnier, cloué sur mon tabouret, je sentais mes pieds se balancer en mesure, comme si le soulier d'un camarade eût du venir à la rencontre du mien. Il en était parmi ces collégiens qui, à peine rendus à la liberté, s'isolaient aussitôt de leurs camarades et marchaient à grands pas, leur liasse de livre suspendue au bras, et les mains cachées dans leurs manches pour se garantir du froid. Ces derniers m'inspiraient peu de sympathie, je voyais en eux des sournois et des boudeurs, tandis qu'ils n'étaient peut-être que des enfants dociles pressés de rentrer à l'heure prescrite auprès de leurs mères, pour épargner à celles-ci une cause d'inquiétude."
Le magasin pittoresque, novembre 1876.
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