Translate

vendredi 30 septembre 2022

Fleurs de feu.

Grandeur et décadence des feux d'artifice.


Les plus brillants parmi les feux d'artifice auxquels nous avons pu assister dans ces derniers temps ne nous donnent aucune idée de ce qu'ils étaient aux siècles derniers, à l'époque de leur grande vogue. Ils représentaient alors des scènes savamment ordonnées et composaient un spectacle qui avaient une réelle valeur d'art. C'est là une tradition que nous avons laissée se perdre et à laquelle il y aurait lieu de revenir du moins en partie. Sans être plus coûteux, les feux d'artifice de nos jours pourraient être plus artistiques. Ils auraient ainsi leur utilité en contribuant à entretenir et à développer dans le peuple le sentiment du beau.



Une gerbe de fleurs de feu. Feu d'artifice tiré en l'honneur du dauphin en 1735.

C'était une véritable œuvre d'art qu'un feu d'artifice au siècle dernier.
Longtemps d'avance on en préparait la mise en scène d'un luxe merveilleux:
 des châteaux, des galeries, des constructions de bois étaient dressées qui
le jour de la fête s'embrasaient tous ensemble.

Le feu paraît avoir de tout temps exercé une fascination particulière sur l'esprit de l'homme. Après avoir commencé par trembler devant cet élément insaisissable et brillant, devant cette flamme mobile qui dardait sur lui ses langues innombrables, l'homme ne tarda pas à s'en rendre maître. Il s'empresse alors de l'utiliser. Puis il s'en amuse. L'art se met de la partie; il manie avec ingéniosité ce feu redoutable, et lui commande de tracer des figures et des ornements combinés d'avance. Les feux d'artifice faisaient, à n'en pas douter, partie des divertissements offerts au peuple de Rome dans l'amphithéâtre; un curieux passage du poète latin Claudien nous parle en effet d'échafaudages mobiles sur lesquels "courent des globes de feu dont les flammes semblables à celles d'un vaste incendie, escaladent les hautes tours, les enveloppent, puis les quittent, à un signal donné". Comment, par quels moyens  ces "feux automatiques", comme les nomment encore deux autres auteurs, étaient-ils obtenus? Sans doute avec des composants chimiques dont la base était le soufre, le salpêtre et la poix. Telle était aussi la recette du fameux feu grégeois qui apparut au Moyen âge et qui jetait pendant les guerres de cette époque la terreur dans les rangs des armées en présence.




Marque de fabrique des frères Ruggieri, 
artificiers en France depuis deux siècles.


Il venait de Byzance, et seuls quelques initiés en connaissait le secret; c'était, au dire des contemporains, un feu ailé, magique et infernal, que projetait un tube dissimulé dans la gueule des dragons et autres bêtes fantastiques en bois doré.
" La queue de feu qu'il traînait après lui, écrit Joinville, était bien aussi grande qu'un grand glaive; il semblait que ce fût la foudre du ciel." Plus loin, il ajoute: "Une autre fois, le cheval du roi (saint Louis) en fut tout couvert, on eût dit des étoiles tombant du ciel". C'étaient donc là de simples fusées, et rien de plus. N'est-ce pas une chose plaisante de voir apparaître chez nos pères les feux d'artifice comme une arme de guerre? Ils soupçonnaient de la magie dans ces pétards inoffensifs que tirait sur eux un ennemi un peu plus instruit en chimie; ces "pluies d'étoiles", qui font aujourd'hui l'amusement de la foule, leur semblait un nouveau produit des maléfices de Satan!
Ce fut également sous forme de pétards et de fusées volantes que la poudre à canon fit son apparition en Europe; seulement, au lieu d'utiliser sa force de projection, c'est avec des arbalètes qu'on lançait d'abord ces fusées enflammées de salpêtre et de soufre. On ne tarda pas cependant à découvrir la puissance redoutable du nouveau produit qui, à côté de son emploi destructeur, allait trouver dans les feux d'artifice une application de ses propriétés moins fâcheuses pour les hommes. Le feu d'artifice moderne, avec toutes ses ressources décoratives, date en effet de l'invention de la poudre à canon.


Les premiers feux d'artifice au XVIIe siècle, d'après une œuvre du temps.

Au XVIIe siècle, il n'y avait pas de réjouissance publique sans un feu d'artifice. Celui-ci fut tiré, en 1644, en l'honneur de Louis XIV encore mineur
 et de sa mère Anne d'Autriche.


Les feux d'artifice étaient jadis des spectacles d'art.

Ce divertissement eut dès son origine un éclat considérable. Les feux d'artifice que nous voyons aujourd'hui ne peuvent nous donner une idée de ceux qui étaient offerts en spectacles à nos pères par les rois et les grands seigneurs à l'occasion des évènements importants de la vie publique. Un feu d'artifice était un vrai spectacle, une œuvre d'art préparée longtemps à l'avance; un grand nombre d'acteurs et de figurants y prenaient part; la machinerie était des plus compliquée, et une fantaisie merveilleuse s'y donnait carrière. Ainsi l'an 1602, le 24 août, jour de la fête du roi (Louis XIII), une sorte de donjon en bois recouvert de toile peinte avait été élevée dans l'île qui, en avant du Pont-Neuf, partage la Seine, tandis que sur les rives du fleuve quatre petits fortins avaient été construits; enfin une longue corde, partant du Louvre, était tendue jusqu'à la Tour de  Nesle. L'heure du feu d'artifice arrivée, le roi paraît à son balcon et la "représentation" commence.
Les petits fortins se mettent à bombarder le grand château; ce dernier riposte; c'est pendant une demi-heure une véritable bataille d'artillerie, simulée par des fusées et des pétards innombrables. Cependant le grand château prend feu; il renfermait dans ses flancs un immense bouquet que l'incendie enflamme à son tour, et qui envoie au loin ses gerbes resplendissantes reflétées par l'eau du fleuve; les chiffres du roi et de la reine-mère apparaissent, surmontés d'une couronne, au milieu de soleils tournants. Finalement l'ossature toute entière de la "décoration" s'écroule au milieu des étincelles.


L'âge d'or des feux d'artifice.
Feu d'artifice tiré devant le palais épiscopal, en 1744,
à l'occasion du voyage de Louis XV.

A voir ce gigantesque panache de flammes, ces belles gerbes de feu
illuminant les bateaux qui portaient des groupes de statues en bois,
on se fait une idée de la magnificence à laquelle atteignaient
souvent les feux d'artifice au XVIIIe siècl
e.


Puis vint la seconde partie: tous les regards se posèrent sur la tour de Nesle. Le jeune roi en personne met le feu à une fusée volante; celle-ci, glissant le long du câble jusqu'à l'autre rive, y allume une étoupille qui retenait la détente d'une machine. Cette machine, déroulant ses puissants ressorts, met alors en mouvement une figure de Jupiter, qui s'élève vers le sommet de la tour en tenant dans ses deux poings deux foudres enflammées qui embrasent tous les artifices disposés sur la plate-forme supérieure. Une dernière fois la tour légendaire reflète sa silhouette dans les eaux rouges du fleuve. 
Les feux d'artifice sont alors si bien une œuvre d'art qu'ils suivent le caractère d'art et participent au style particulier de chaque époque. Ainsi les feux d'artifice du règne de Louis XIV ont le faste et la grandeur pompeuse qui est la note du temps. Lorsqu'une statue fut élevée au monarque par la ville de Paris, la "décoration" du feu d'artifice donné à cette occasion représenta le temple de l'Honneur; quatre statues personnifiant la Piété, la Fidélité, le Respect et la Reconnaissance, emblèmes des sentiments éprouvés par le peuple pour son roi, formaient le motif central; elles servaient de support et de soubassement à une autre statue, celle de Louis XIV, qui, après l'embrasement final, resta seule debout.




Feu d'artifice tiré en 1785, sur la place de l'Hôtel-de-Ville, à Paris,
à l'occasion de la naissance du Dauphin, fils de Louis XVI,
d'après une gravure de Moreau le Jeune.

On conçoit, en voyant la foule énorme qui se presse sur la place, quels terribles désordres pouvait amener le moindre accident. Dans la fête donnée au moment
du mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette, plus de 3 000 personnes
périrent en quelques minutes.

Lorsque, le 19 juillet 1660, le roi épousa  Marie-Thérèse d'Autriche, infante d'Espagne, le feu d'artifice tiré sur la Seine était disposé sur un bateau qui représentait le fameux navire des Argonautes partant avec Jason à la conquête de la Toison d'or, allusion à la Toison d'or d'Espagne que le roi recevait en épousant Marie-Thérèse. Quand naquit aux royaux époux un fils, le Grand Dauphin comme on disait,  les fusées du feu d'artifice semèrent dans les airs de petits dauphins, sorte de poissons lumineux "qui, dit la Gazette du jour, par leur éclat et leur tintamarre, éclairaient et chantaient le triomphe du nouveau-né, en faisant part au ciel des réjouissances de la terre."
Dans tous les feux d'artifice de cette époque nous retrouvons le même curieux symbolisme qui est la note dominante.

Le XVIIIe siècle, apogée des feux d'artifice.

Avec le XVIIIe siècle l'amour du feu d'artifice devint une véritable frénésie; tout le monde en tire: les grands seigneurs devant le portail de leur hôtel (on cite en particulier le duc d'Albe, ambassadeur d'Espagne, qui, au milieu des fusées, fit jeter à la foule des pièces d'argent), les bourgeois dans la cour de leur maison, les communautés religieuses elle-même, et les couvents!
Cependant, ce plaisir s'affine: à coté des fêtes populaires et tumultueuses, d'autant plus belles que les fusées sont plus nombreuses, les esprits délicats demande au feu d'artifice un divertissement tout aristocratique, où la note d'art se précise et s'affirme davantage. Les procédés matériels se sont perfectionnés, de nouvelles combinaisons chimiques donnent des effets nouveaux, et les cinq frères Ruggieri, mettant leur talent en commun, sont venus en France apporter d'Italie des jeux pyrotechnique inconnus. D'autre part, Versailles a surgi du sol avec son palais et ses statues, avec son parc immense et enchanteur. C'est là, dans son enceinte fermée au profane vulgaire, que les fleurs de feu vont s'allumer pendant les nuits embaumées du printemps, illuminant de leur fugitif éclair les pâles divinités de marbre, souriantes parmi les charmilles.
Un théâtre a été dressé sur le Tapis-Vert pour le spectacle du feu d'artifice. Les invités enrubannés descendent les escaliers du bassin de Latone dont les jets d'eau sont imprégnés de mille reflets par les "feux aquatiques" qui brûlent dans les vasques dorées; lentement les groupes gracieux prennent place; le roi et la reine sont assis chacun dans un fauteuil légèrement surélevé. Une décharge de huit cents grosses bombes annonce l'ouverture du spectacle. Vulcain d'abord apparaît, suivi bientôt par les Cyclopes; devant lui, à chaque pas qu'il fait, des flammes sortent du sol. Avec ses forgerons monstrueux, il s'installe à sa forge, et tous, à tour de bras, ils frappent en cadence sur leur enclume; le claquement strident des cymbales imite le bruit du fer frappant le fer, et des gerbes d'étincelles en sortent chaque fois, les enveloppant d'une pluie d'étoiles. Mais une douce symphonie se met à résonner: Vénus descend du ciel, sur un char, au milieu d'un nuage lumineux; l'Amour et les Grâces l'accompagnent. Puis c'est une marche guerrière: Mars, dieu de la Guerre, vient rendre visite à Vulcain, qui lui remet les armes merveilleuses fabriquées pour lui. Tandis que Vulcain est tourné vers sa forge, l'Amour décoche son dard fatal au farouche dieu Mars, qui tombe aussitôt aux genoux de Vénus. Mais Vulcain s'est retourné; une furieuse colère l'anime, et Vénus se sauve avec son cortège effaré.
Les deux rivaux restés face à face se provoquent; ils luttent et Vulcain va être vaincu, quand les Cyclopes accourent à son aide; avec leurs énormes soufflets, ils attisent les flammes qui, de toutes parts, enveloppent Mars; de partout jaillissent des bombes qui éclatent, l'embrasement est général, et tous les figurants de la pantomime disparaissent dans un gouffre de fusées et de serpenteaux.
Alors, derrière le théâtre consumé lui-même, le bassin d'Apollon et le Grand Canal dessinent soudain dans la nuit leur immense perspective, illuminée toute entière en un instant par des milliers de pots à feu auxquels une corde soufrée a communiqué la flamme. Un apaisement délicieux s'étend sur toute la nature, et l'on entend plus que le chant des violons dans les bosquets, tandis que la Cour remonte à la suite de Leurs Majestés vers le château, sur les terrasses duquel ruisselle une dernière cascade de feu, éblouissante et silencieuse comme un céleste météore.




Sous le premier Empire. 
Bouquet du feu d'artifice tiré pour la naissance du roi de Rome.

Le style "Empire", si caractéristique, se traduit jusque dans ce feu d'artifice: 
au milieu de deux cartouches lumineux apparaissent les initiales de l'Empereur 
et de l'impératrice Marie-Louise.

Cependant, cette passion des feux d'artifice n'était pas sans danger; si, dans les jardins de Versailles, toutes les précautions étaient prises pour éviter les accidents, il n'en était pas toujours de même dans les fêtes populaires; beaucoup de gens, ignorant le maniement des fusées, s'estropiaient ou même estropiaient les autres. Le métier d'artificier était des plus dangereux; l'artificier était une sorte de soldat qui devait risquer sa vie.
On sait la terrible catastrophe dont fut la cause le feu d'artifice tiré le 16 mai 1770, à l'occasion du mariage du Dauphin, plus tard Louis XVI avec Marie-Antoinette. Une foule immense s'était portée place Louis XV (aujourd'hui place de la Concorde); une fusée mal dirigée vint tomber dans le corps de réserve des artifices et l'enflamma. une lueur fulgurante jaillit aussitôt, et tout éclata à la fois en un immense bouquet, fantastique et formidable. Croyant que c'était à dessein, le roi, la reine et tous ceux qui ne se rendent pas compte de la vérité applaudissent; pendant ce temps, ceux qui sont sous le volcan en éruption poussent des cris d'épouvante et de douleur; une effroyable panique se produit; il y en a qui mettent l'épée à la main pour se frayer un passage. Pendant une semaine, on porta au cimetière de la Madeleine les cadavres brulés, piétinés, défigurés.
Cet événement parut un sinistre présage: vingt ans après, en effet, la guillotine se dressait sur cette même place, chaque jour ensanglantée.
On tira peu de feux d'artifice sous la Révolution; mais, sitôt l'Empire proclamé, on revint à la traditionnelle coutume; le mariage de Napoléon et de Marie-Louise, ainsi que la naissance du roi de Rome, furent, entre autres, célébrés par de brillants feux d'artifice. La Restauration fit de même; mais d'autres temps étaient venus, et, peu à peu, la note d'art disparut complétement de ce divertissement dont l'ordonnance est aujourd'hui moins ingénieuse et moins artistique.


Pièce montée moderne, dite "La Salamandre."

La disposition et la couleur des pièces montées varie suivant la forme
des fusées, suivant les matières chimiques dont on les charge.


Préparation d'un feu d'artifice; la fabrication des fusées; ouvriers en cellule.

L'usine d'un artificier n'en est pas moins demeurée une des choses les plus curieuses que l'on puisse voir: amas de matières explosives et inflammables au premier degré, elle est reléguée par des règlements de police sévères loin du périmètre habité des villes, en des terrains vagues dont les voisins s'écartent avec terreur. Nulle autre industrie n'est astreinte à des précautions semblables. Ce n'est pas même une usine a proprement parler,  ce sont des quantités d'usines minuscules, de petites cahutes où travaillent séparément un ou deux hommes au plus, en sorte que, si le feu prend dans l'une d'elles, il ne puisse se communiquer. Rien n'est bizarre comme de voir travailler chaque ouvrier dans sa cellule, pareil à un reclus; toutes ces petites cellules sont en outre séparées les unes des autres par de hautes fascines de terre et d'osier qui, en cas d'explosion, amortissent le choc. On se croirait au milieu des remparts d'une place forte.


Artificier travaillant au chargement des fusées;

Les ouvriers sont isolés dans de petites cahutes séparées par de hautes "fascines" de terre et d'osier. en cas d'explosion, le feu ne peut se communiquer d'une cellule à l'autre. (Photographie de M. P. Grayer.)


Dans ces maisonnettes s'exécutent les travaux les plus divers. C'est d'abord la construction des tubes qui constituent l'enveloppe de la fusée; ils sont faits de papier semblable à du papier d'emballage roulé autour de cylindres de bois dont le calibre varie selon la grosseur de la fusée et encollé à mesure, de façon à former un carton qui possédera une force bien supérieure à celle d'un tube correspondant en métal; on a vu des artifices faire éclater un canon de fusil et laisser indemne, sous la même charge, un tube de carton. Cela montre, soit dit en passant, à quel danger s'exposent les amateurs qui croient pouvoir jouer à l'artificier. Au fond de ce tube, on commence par entasser un peu d'argile, qui sera comme le repoussoir naturel de la cartouche lorsqu'elle s'enflammera, et qui lui permettra de prendre son vol sans qu'il soit nécessaire d'aucune autre force de projection; ensuite on bourre la fusée de composition variées, selon l'effet désiré; on la ferme en l'"étranglant" par un nœud coulant de forte corde qui ne laisse passer que la mèche, et l'on ajoute une baguette. Cette baguette, longue tige de bois rigide, est à la fusée ce que le gouvernail est au navire; si elle est bien droite, la fusée s'élèvera verticalement vers la voûte du ciel; si elle est courbée, ou tordue par l'explosion, la fusée, au contraire, déviera de sa route normale, et ira l'on ne sait où causer des accidents.
Pour les bombes, l'enveloppe est formée d'une sorte de calotte double qui, refermée après qu'on y a mis la charge pyrotechnique voulue, représente assez bien un œuf d'autruche; mais cet œuf peut atteindre des proportions formidables; certaines bombes ne pèsent pas moins de 30 kilogrammes! Aussi pour les lancer, faut-il de véritables obusiers enfoncés en terre jusqu'à la gueule.


Les feux d'artifice modernes.
Bouquet tiré en l'honneur des souverains russes, à Paris, en 1896

Les beaux feux d'artifice occasionnent de grandes dépenses. Le feu d'artifice
tiré en l'honneur de l'empereur Nicolas II revient à plus de 30 000 francs. (Photographie d'après nature communiquée par la maison Ruggieri
.)


La composition intérieure des bombes et des fusées est variable, suivant le genre d'éclats et d'étincelles, selon la couleur que l'on veut obtenir; mais la base en est, comme celle de la poudre à canon, un mélange de salpêtre, de soufre et de charbon fin, légèrement pulvérisés, puis triturés ensemble dans un tonneau pendant dix heures au moins. En chargeant la fusée, on y ajoute des produits divers qui en colore la flamme: l'antimoine donne des feux blancs; le nitrate de strontiane des feux rouges; le nitrate de plomb produit des pluies d'or. Avec la limaille de cuivre, on obtient des teintes verdâtres, avec le chlorate de potasse et de baryte les verts vifs. Quant aux bleus, inconnus autrefois, et qu'à fait rechercher et découvrir la nécessité de représenter dans les feux d'artifice notre troisième couleur nationale, ils sont obtenus par des chlorures de cuivre ou de la cendre bleue. La plupart de ces compositions sont, il est à peine besoin de le dire, des plus dangereuses à manipuler: le chimiste Chertier, à qui l'on doit des études remarquables sur les feux colorés, faites au milieu de ce siècle, mit le feu à son appartement en faisant des expériences dans le foyer de sa cheminée. Si l'on veut mélanger les colorations de ces diverses substances, on fait des petites pastilles que l'on mêle ensemble dans le corps de la fusée ou de la bombe et qui, en s'allumant, produisent des effets merveilleux de variété. C'est ainsi notamment que sont composées les fusées dites "chandelles romaines" que tout le monde connait.
Deux inventions récentes sont celles des fusées sifflantes et celles des fusées parfumées. Le picrate de potasse jaune est employé pour les premières, poudre impalpable et vénéneuse, qui s'infiltre par les pores de la peau, est absorbée par la respiration, et détruit l'organisme des malheureux ouvriers occupés à sa manipulation; aussi un sentiment d'humanité bien compréhensible restreint-il l'usage de ces fusées. Les fusées parfumées, ou feux de senteur, sont au contraires des plus inoffensives; du benjoin et du bois de cascarille en poudre, mêlés et triturés avec la charge lumineuse, entrent seuls dans leur composition.
Les feux d'artifice sont généralement annoncés par des salves de petites bombes dont la détonation en l'air produit un son très sec assez particulier; ce sont les "marrons". Rien de curieux comme leur fabrication, dans laquelle, la moindre négligence peut entraîner de graves accidents. Il y a deux choses en effet dont il faut être certain, c'est d'abord que le "marron" n'éclatera pas dans le mortier qui le projette, ensuite qu'il éclatera bien en l'air. Dans le premier cas, il ferait sauter le mortier; dans le second, il retomberait sur les spectateurs avec un égal danger. Dans de petites boîtes cylindriques de huit à dix centimètres de diamètre, on met de la poudre de mine semblable à celle dont on se sert dans les carrières pour faire sauter les pierres et les rochers; on referme la boîte qu'on enveloppe avec du papier et que l'on corde en tous sens avec de la ficelle serrée le plus qu'il est possible; après quoi, le tout est trempé de nouveau dans de la colle forte. La mèche, entré alors avec un poinçon, est calculée de façon à mettre le feu aux matières inflammables au moment où le "marron" est en l'air; plus la ficelle sera solide et serrée, plus la colle forte l'aura agglutinée, plus aussi l'explosion sera violente.



Montage des "Soleils tournants".
(Cliché de M. Paul Gruyer.)


N'oublions pas encore de mentionner, pour leur ingéniosité et leur effet charmant, les fusées à parachute; elle sont formées d'une espèce de bombe qui, en éclatant en l'air, développe un léger parachute de papier de soie auquel est suspendue une longue chenille lumineuse que le vent promène et emporte avec lui au milieu du ciel. Quant aux fusées nautiques, elles sont pourvue d'un flotteur qui leur permet de se maintenir sur l'eau, et, lorsqu'elles sont enflammées, leur recul naturel les fait se mouvoir capricieusement; par le même recul également, les "soleils" se mettent à tourner autour du pivot des roues de bois qui leur servent de monture. Quant au "bouquet", ce couronnement obligatoire de tous les feux d'artifice, rien n'est plus simple que de l'obtenir; les fusées sont alignées en rangs nombreux et réguliers les unes à côté des autres et à l'aide d'une mèche soufrée on les allume toutes à la fois.
Les prix de revient des feux d'artifice est très élevé; certaines grosses bombes coûtent jusqu'à 150 francs l'une. Il faut compter pour les petits "marrons" détonants 1 franc pièce; une bombe à pluie d'or coûte 5 francs, une petite fusée à parachute 2 francs. La grande "Salamandre" ou le "Serpent et le Papillon", pièce mouvementée avec jeu de couleurs variées accompagnées de six rosaces, et dont nous donnons une reproduction, revient à 70 francs.


Pour le bouquet, il ne faut pas compter moins d'un millier de fusées;
Les beaux feux d'artifice du siècle dernier coûtaient couramment 30 ou 40 000 francs pour la seule partie pyrotechnique; mais en outre la partie de "décoration" était payée à part aux machinistes, constructeurs et décorateurs, et un feu d'artifice complet atteignait facilement une centaine de mille francs.
Actuellement, pour un des feux d'artifice du 14 juillet, l'artificier doit s'en tirer avec 3 000 francs. Le feu d'artifice tiré en l'honneur des Souverains Russes atteignit seul un total de 30 000 francs.



Un feu d'artifice moderne. Photographie d'après nature.


Nos modernes artificiers ne sont pas inférieurs à leurs ancêtres au point de vue de l'ingéniosité et de la fabrication matérielle: la pyrotechnie, participant de plus en plus au contraire, des découvertes chimiques de notre siècle, n'est pas encore en décadence; mais ils disposent de ressources infiniment plus restreintes, et surtout ce qui a disparu, c'est le sentiment d'un art qui présidait autrefois à ce spectacle, qui le coordonnait avec un résultat capable de contenter les délicats, tout en divertissant la masse. Sans doute les conditions de vie et les mœurs d'une société plus aristocratique que la nôtre étaient plus favorables à ce résultat, mais ne peut-on pas tenter l'éducation artistique du peuple, en lui montrant autre chose que les produits de la banalité ou du mauvais goût, et en tâchant d'éveiller en lui, même dans ses amusements, le sentiment du beau?

Lectures pour tous, 1900-1901.

dimanche 18 septembre 2022

 Physiologie des buveurs.

Les buveurs de vin bleu.


- Qu'est-ce que le vin bleu*? direz-vous.
- C'est un vin qui n'est pas du vin.
Comme il y rentre de tout, je ne voudrais pas cependant affirmer d'une manière absolue qu'il n'y rentre pas quelques gouttes de jus de raisin: cela n'est pas impossible; mais, s'il en est ainsi, la dose est tellement homéopathique, que ce n'est pas vraiment la peine d'en parler. On en met tout simplement pour dire qu'il y en a.
Le vignoble qui produit le vin bleu est situé, au moins en grande partie,  entres les fossés qui marquent du sud au nord, de l'ouest à l'est, l'enceinte de Paris. Quoique cette espèce de culture, plus ou moins vinicole, ne soit aucunement protégée par l'administration, bien au contraire, attendu qu'elle nuit également aux intérêts du fisc et à la santé publique, elle n'en prospère pas moins. Chose remarquable, et que les magiciens du Pharaon égyptien auraient sans doute seuls pu expliquer, la température n'exerce aucune influence sur la vendange d'où sort le vin bleu. Que l'été soir radieux et resplendissant de soleil, ou pluvieux et triste, la récolte est toujours la même, et les buveurs de vin bleu n'ont pas à s'inquiéter de l'incertitude des saisons. Ils ont un autre avantage, le prix du vin bleu ne varie guère: tandis que les vins de Bourgogne et de Bordeaux, ces aristocrates de la cave, éprouvent des baisses et des hausses considérables, selon que l'année a été favorable ou contraire, le vin bleu, comme un farouche démocrate, refuse de se régler sur les exemples de ses insolents voisins. Il est sui generis, et, quoi qu'il arrive autour de lui, il maintient son prix sous le niveau d'une sévère égalité. C'est un bleu, qui pour rien au monde ne voudrait être blanc, et qui dédaigne d'être rouge, parce que le chambertin et le clos-vougeot sont de cette couleur.
Ici, je demande la permission de faire une petite digression à l'appui de la compagne remarquable opérée il y a quelques années par M. Eugène Pelle contre la popularité de ce faux bonhomme de M. de Béranger. Le chansonnier a bien chanté les gueux, il est vrai:

Les gueux, les gueux
Sont des gens heureux;
Ils s'aiment entre eux;
Vivent les gueux!

Mais où donc ce prétendu chansonnier du peuple et des gueux a-t-il chanté le vin bleu? j'ai beau chercher, je cherche en vain. Et je l'entends ici crier:

Chantons, amis, l'aï nous inspire.

Dans une autre chanson, je rencontre ce refrain:

Le vin charme tous les esprits.
Qu'on le donne 
Par tonne!
Que le vin pleuve dans Paris
Pour voir les gens les plus aigris
Gris.

Mais vous pouvez être sûr que M. de Béranger aurait ouvert son parapluie s'il avait plu du vin bleu. S'il a pris Diogène pour patron, il a eu soin de crier au loin:

Dans l'eau, dit-on, tu puises la rudesse;
Je n'en bois pas, et censeur plus joyeux,
En moins d'un mois, pour loger ma sagesse,
J'ai mis à sec un tonneau de vin vieux.

S'il s'était agi d'un tonneau de vin bleu, M. de Béranger aurait mis plus de temps à le boire, je ne crains pas de l'affirmer.
Circonstance aggravante, il dit ailleurs:

Amis, égayons la vie
Par le champagne et les chansons.

Puis, pour ne laisser aucun doute, il ajoute dans une autre chanson:

Pour des vins de prix
Vendons tous nos livres.

Enfin il couronne les adulations qu'il a prodiguées aux vins aristocrates par la chanson adressée à des Saumurois qui lui avaient envoyé en prison du vin de Chambertin et de Romanée, en lui ordonnant des douches intérieures pendant son séjour à Sainte-Pélagie*:

J'espère
Que le vin opère.
Oui, tout est bien; même en prison,
Le vin m'a rendu la raison.
Après un coup de Romanée,
La douche ayant calmé mes sens,
J'ai maudit ma muse obstinée
A railler les hommes puissants.
Un accès pourrait me reprendre,
Mais du topique effet certain,
J'aurais de l'encens à leur vendre
Après un coup de Chambertin.

Vous entendez, du vin de Chambertin, du vin de Romanée, voilà ce qu'il faut à ce tribun gastronome, dont la muse gourmande se désaltère du meilleur cru. Du vin bleu, fi donc! cela est fait pour le populaire. La muse de Béranger aime mieux boire à la santé du peuple que de boire avec lui, et, si ce nouveau Diogène prête son tonneau quand les fûts manquent à la vendange, n'allez pas croire n'allez pas croire au moins qu'il soit ici question de la vendange de vin bleu, à qui les fûts ne manquent jamais, attendu qu'on le fabrique au fur et à mesure de la consommation.
Le vin bleu eut d'autres chantres, moins difficiles et moins hauts grimpés sur le Parnasse. On chante encore dans nos rues le refrain suivant, qui est peut-être de Delraux ou tel autre chansonniers des cabarets:

Heureux qui mourut sous les coups
Sous les coups du vin à quatre sous.

Je crois que ce bonheur est moins grand qu'on veut bien le dire, et qu'il ne faut pas prendre plus au sérieux les joies de l'ivresse du vin bleu que les agonies païennes couronnées de myrthes frais, chantées de nos jours par Casimir Delavigne. L'agonie est une chose triste et lugubre que la religion seule peut consoler. Quant à l'ivresse du vin bleu, c'est la plus effroyable de toutes les ivresses. L'ivresse de bière, avec son sommeil de plomb, est quelque chose de spirituel et de riant en comparaison. Le vin bleu, en effet, est à la bière et au cidre ce que la bière et le cidre sont au aux vins du Clos-Vougeot et de Chambertin. Quand les buveurs se sont ingurgités des masses de ce breuvage bleuâtre composé en grande partie avec du bois de Campèche, de l'eau de la fontaine voisine et de la lie de gros vin de Cahors, parfois avec une dose de vin de Brie, de Suresne ou d'Argenteuil, l'estomac succombe sous le poids indigeste de ce liquide perfide et nauséabond. Peu à peu de grossières fumées montent au cerveau, les yeux s'injectent, les idées s'obscurcissent, la physionomie du buveur prend une expression stupide, sa prononciation s'altère. Le vin bleu n'a pas cette riante couleur du vin chanté par le poëte, plus habitué encore à se désaltérer au Caveau qu'à la fontaine des doctes sœurs, et qui

Prête son charme à toute la nature.

Il tire un voile sombre sur les yeux du malheureux qui va  lui demander l'oubli des maux du présent et surtout l'oubli des inquiétudes du lendemain. C'est là, en effet, l'explication de la passion qu'on retrouve chez tous les peuples et dans tous les temps pour les boissons fermentées, pour le hatchich et l'opium en Orient, pour la bière et le wisky en Angleterre, pour le vin, la bière, le cidre et hélas pour l'absinthe ou le trois-six* en France, le trois-six qui me paraît destiné à détrôner le vin bleu aux barrières, au détriment de la santé publique menacée d'un plus grand péril. Il y eu un temps où, selon la chanson classique du chiffonnier, le vin se vendait trois sous aux barrières:

Un vieux chiffonnier, barrière du Maine
Du temps où le vin se vendait trois sous,
Et qu'à quart de prix l'on avait sans peine
Un plat de goujons et du lard aux choux.

Je demande pardon aux lecteurs de mettre sous ses yeux cet échantillon de littérature faubourienne, mais ils ne s'attendent point à ce que je leur cite des vers de Racine, ce nectar de la poésie, à propos du vin bleu.
A cette époque donc, il arrivait que l'ouvrier emmenait le dimanche sa femme et ses enfants à le barrière. On y buvait du vin bleu, il est vrai, et un aïeul invalide se mettait quelquefois de la partie, et, tout en racontant ses campagnes, payait une tournée à sa bru et à ses petits enfants; mais il y avait à cela un double avantage: les hommes buvaient moins de vin bleu, et la femme et les enfants, qui pendant toute la semaine s'étaient abreuvés d'eau claire, revenaient avec une illusion: celle d'avoir bu du vin. 


Un cabaret à la barrière.



Je ne dis pas que cet usage soit complètement perdu: les honnêtes ouvriers, ceux qui sont de bons pères de familles, continuent à le suivre, et c'est ainsi qu'on voit quelquefois des femmes et des enfants attablés autour de longues tables de bois qui ont sauté des anciennes barrières aux nouveaux cabarets établis au delà de la ligne des fortifications, depuis que Paris a élargi sa ceinture. Que le vin bleu leur soit léger, c'est ce que je leur souhaite en récompense de leur bonne intention et de l'usage qu'ils ont gardé de s'empoisonner en famille.
Je le souhaite, mais je ne l'espère guère.
Sans doute le vin bleu est un poison moins violent que l'absinthe, mais c'est un poison. Il fut l'un des plus puissants alliés du choléra-morbus. Dans la terrible irruption du fléau, en 1832, les buveurs de vin bleu se réveillèrent cholériques, et moururent en demeurant de la couleur de leur sujet. Dans les troubles civils, le vin bleu a toujours joué un grand rôle. Il coulait à flots quand, selon les ïambes d'Auguste barbier:

La sainte populace et la grande canaille
Se ruaient à l'immortalité.

Dans les horribles massacres de septembre 1792, les libations des égorgeurs aux furies de la Révolution se faisaient avec cette liqueur, et, sur les papiers que M. Mortimer-Ternaux a interrogés et sur lesquels ils donnèrent quittance du salaire qui leur fut distribué pour leur besogne de meurtre, on découvre souvent à côté d'une tache de sang une tache de vin bleu.

                                                                                                            Félix-Henri.

La Semaine des Familles, samedi 28 mai 1864.

* Nota de célestin Mira: L'orthographe originale a été respectée.

* Vin bleu: Le vin bleu était un vin rouge  de mauvaise qualité et peu onéreux, servi dans les cabarets proches des fortifications. Ces vins provenaient des vignes situées autour de Paris, Argenteuil, Meudon, Ruel, Montmartre, Suresnes, Bagneux entre autres ainsi que de vignes proches de la région d'Orléans ou de Brie. Il était surnommé "petit bleu" ,"gros bleu" ou "gros bleu qui tache". Ces vins étaient de plus souvent trafiqués par des ajouts divers.

* Sainte Pélagie: Crée par la Fondation des Filles repenties en 1662, elle devint rapidement une prison pour filles et femmes débauchées. Puis, elle fut dédiée aux affaires de mœurs, de dettes et enfin aux politiques. A condition d'avoir de l'argent, on pouvait recevoir des amis et des provisions et même y faire la fête, témoin la scène ci-dessous dans une cellule de Saint-Pélagie.



* Trois-six: Le Trois-six est une eau-de-vie fabriquée en Normandie, portant ce nom pour signifier « trois mesures d'alcool et trois mesures d'eau ».
Le degré d'alcool du trois-six était compris entre 92 et 95°.
Pour vérifier que c'était bien des barriques de trois-six que l'acheteur avait devant lui, il faisait le mélange 3/6e. Le degré du mélange était alors de 45°, les alcoomètres n'existant pas,  il devait s'enflammer, contrairement à d'autres alcools moins forts. La démonstration était faite sur place.

lundi 12 septembre 2022

La charité

 au dix-neuvième siècle.


Je ne veux pas faire comme un critique de ma connaissance, qui, il y a bien des années déjà, s'attira une mauvaise querelle avec le beau monde en se permettant de prendre pour but de ses épigrammes les nouvelles modes introduites dans le vieux royaume de la charité. C'était un Alceste qui voulait qui voulait que chaque chose restât à sa place et conservât sa manière d'être. Il comprenait la charité faite pour l'amour de Dieu, simplement, saintement, et il exigeait que la main droite gardât envers la main gauche, selon le précepte évangélique, le secret de ses libéralités.
Je retrouve sur mon album les paroles entre le miel et le vinaigre qu'il adressait, il y a trente ans, à la femme du dix-neuvième siècle qui lui en sut peu de gré. On a déjà vu, sous la Restauration, des concerts pour les Grecs que les Trucs égorgeaient; on commençait à danser pour les pauvres, à chanter pour les malheureux pensionnaires de la liste civile*, et à jouer la comédie pour les inondés. Mon misanthrope n'y tint pas; il s'écria avec Juvénal:

Difficile est satiram non scribere.

et il décocha la satire suivante, dans laquelle cet écolier de la Bruyère cherchait, en suivant l'exemple du maître, à morigéner son temps:
- Hortense, vous êtes la providence d'un bal des pauvres, la protectrice des faibles et la mère des orphelins. Que vous êtes sainte, que vous êtes belle, quand, sortant de cette demeure toute parée des images de vos glorieux ancêtres, vous pénétrez dans ces ténébreux réduits où veillent la souffrance, la douleur et la faim! C'est là de la charité, Hortense, les anges du ciel ont les regards fixés sur vous; ils recueillent les douces larmes de la reconnaissance que vous faites couler de ces yeux qu'avaient brûlés les pleurs du désespoir. Il n'y a plus ni ténèbres, ni haillons, ni sanglots, quand, semblable à une mystérieuse apparition, vous vous penchez, ange aux douces paroles, vers ces lits de souffrance, et quand vous versez la vie, la consolation et l'espérance dans les cœurs qui avaient cessé de croire à l'homme, peut être à Dieu. Mais le soir vient, Hortense, que vous voilà brillante et parée, que de grâces dans cette robe légère comme un brouillard de printemps! Que cette couronne de fleurs vous sied bien; ainsi négligemment posée! Que ces roses, moins fraîches encore que vous, semblent bien placées dans cette main d'enfant! Comme cette rivière de diamants étincelle au feu des bougies! Les yeux du monde vous trouve peut-être encore plus belle ce soir, Hortense; mais ce matin, mon cœur vous trouvait encore mieux. N'importe, la vie du grand monde a ses convenances, je le sais, les plaisirs aussi sont quelquefois des devoirs. Ce matin, vous étiez un ange de Dieu sur la terre; ce soir, vous n'êtes qu'une reine mortelle parmi les hommes. Jouissez de votre royauté d'une soirée, majesté éphémère; régnez sur nous, nous sommes tous aujourd'hui vos sujets, car, sous les portes d'une salle de bal, il n'y a que vos têtes, ô gracieuses reines, qui passent couronnées;
- Quoi! ce discours vous offense! vous n'allez point au bal pour vous, pour votre plaisir, dites-vous; et pour qui donc y allez-vous, chère Hortense?
- Pour les pauvres.
- Quoi! pour les pauvres cette gaze légère? pour les pauvres et leurs haillons cette guirlande de fleurs? Et ces diamants aux gerbes de flammes?
- Pour les pauvres.
- Pour les pauvres toutes ces grâces et toutes ces pompes, cette élégance exquise et ces magnificences du monde, ces trésors de luxe et de beauté, tout cela pour les pauvres? Sur ma parole, Hortense, voilà les pauvres bien riches aujourd'hui! Et quand la danse vous entraînera légère et brillante dans ses rapides tourbillons au bruit mélodieux de l'orchestre, vous danserez pour les pauvres?
Sans doute, puisqu'il s'agit ici d'un de ces bals par souscription, comme ils disent, dans lesquels on se réjouit au profit de ceux qui souffrent, et l'on s'amuse à l'intention de ceux qui meurent de faim. Quel dévouement est le vôtre, Hortense! Allons, vous n'avez rien à refuser aux pauvres, pas même cette dernière contre-danse qui réclame de vous un élégant danseur. Encore une fois, les pauvres sont bienheureux, et votre danseur aussi! Mais puis-je vous parler franchement? En voyant toutes ces richesses, ces dentelles et ces diamants dont le prix nourrirait une ville, ces coûteuses créations de mode qui prennent la somme suffisante à soutenir pendant un mois une pauvre famille, on est tenté, Hortense, de répéter le mot de ce convive au fastueux cardinal qui excusait devant lui les magnificences de son argenterie ciselée en disant que tout cela était au pauvre: Monseigneur aurait pu leur en épargné la façon...
- Mais c'est pure méchanceté qu'un pareil langage. Pourquoi décourager ainsi la bienfaisance? pourquoi jeter une teinte de ridicule sur une bonne œuvre? pourquoi ne pas s'incliner devant ces fêtes données au profit de la misère par la charité? - La charité! je vous arrête ici, Hortense; c'est la philanthropie qu'il faut dire, et non point charité. Cette sainte fille du Christianisme entend mieux le respect dû au malheur. En la secourant, elle pleure avec lui, et laisse à la philanthropie le privilège d'insulter les vénérables souffrances de la misère, en dansant pour ceux qui pleurent et ceux qui ont faim. Ah! de grâce, ne mêlons point des choses incompatibles, n'associons pas des idées qui répugnent à se trouver ensemble. Quand vous êtes au bal, Hortense, eh bien! dansez pour vous et non pour les pauvres; demain, à l'église, vous quêterez pour eux.
Ainsi parlait l'Alceste du dix-neuvième siècle, et comme son aïeul du dix-septième siècle, au point de vue absolu des principes, il pouvait bien n'avoir pas tout à fait tort.
Oui, la plus belle des charités, c'est la charité chrétiennement exercée, pour l'amour de Dieu et des pauvres, sans que l'amour-propre y entre pour rien. Quand saint Vincent de Paul, réunissant dans un église les dames chrétiennes qui avaient pris sous leur protection l'œuvre naissante des enfants trouvés, leur adresse cet admirable discours qui est dans toutes les mémoires, et, les instituant arbitres de la vie et de la mort de ces pauvres enfants abandonnés par leurs mères selon la nature, demande si elles, leurs mères selon la grâce, veulent aussi les abandonner, et lorsqu'à ces paroles pleines d'onction, à ces accents éloquents, à la vue de ces pauvres petits exposés sur les marches de l'autel, les cœurs se fendent, les larmes coulent, les mains s'ouvrent pour prodiguer au saint prêtre les bijoux avec l'or, je reconnais la charité chrétienne et j'admire sans réserve et sans remords.
Lorsque, plus près encore de notre temps, un saint archevêque de Paris, longtemps poursuivi par des passions aveugles, et obligé de se cacher dans son diocèse pour épargner un crime à ceux qui le haïssent sans le connaître, ou plutôt parce qu'il ne le connaissent pas, paraît tout à coup dans la chaire de Saint-Roch et s'adresse à un immense auditoire en lui demandant de l'aider à fonder un refuge pour les orphelins du choléra, parmi lesquels il en est peut-être beaucoup dont les pères ont fait le siège de l'Archevêché, et lorsque les auditeurs, émus par les magnanimes paroles de Mgr Quélen et sympathisant avec sa généreuse pensée, prodiguent leurs offrandes pour sauver ces malheureux enfants de la misère et de l'abandon, j'applaudis à la charité chrétienne arrivant à son expression la plus haute et la plus pure, et mêlée de miséricorde et de pardon. Mais, dût Alceste m'appeler Philinte, je pense qu'il faut vivre avec son siècle et faire le bien comme on peut, quand on ne saurait le faire comme on veut. Avant tout, secourons les misérables, couvrons ceux qui sont nus et nourrissons ceux qui ont faim. La charité ainsi exercée est moins pure sans doute, car elle est moins désintéressée, mais elle est encore la charité. Si, dans les âmes chrétiennes, l'amour de Dieu règne, on ne saurait s'étonner que dans les âmes mondaines il y ait une place occupée par l'amour-propre. C'est quelque chose que de faire servir un défaut à une vertu, et, quoi que dieu préfère le denier de la veuve*, il ne faut pas refuser le louis d'or un peu pharisaïque de la vanité.
Ceci me rappelle une anecdote bien connue, qui remonte au dix-huitième siècle. Le régent d'Orléans, ce triste prince qui n'apportait point à l'église les pensées qu'il aurait dû y apporter, mit un jour un louis d'or dans la bourse d'une jolie quêteuse, en lui disant: "Voici pour vos beaux yeux." Celle-ci, sans se troubler,  lui répliqua aussitôt, en le condamnant à une amende pour prix de la leçon qu'elle lui donnait: "Et pour les pauvres, monseigneur?" Le régent d'Orléans dut mettre un nouveau louis d'or dans la bourse et se retira, peut être avec une meilleure pensée.
On a vu se produire, de nos jours, plus d'un fait de ce genre dans ces ventes pour les pauvres qui, tous les hivers, ont lieu à Paris. Les femmes de la haute société parisienne sont assises, on le sait, derrière les comptoirs, et ces boutiques aristocratiques déploient toutes leurs grâces et tous les manèges pour attirer les chalands. Il n'y a que les oisifs à la bourse bien garnie qui peuvent se hasarder devant les étalages de ces sirènes, excitées par la pitié qu'elles ont pour les pauvres à être sans pitié pour les acheteurs. Tout les objets sont de première qualité sans doute, comme on dit dans le haut commerce, mais ils sont côtés à un prix exorbitant. Un cigare vaut, ou tout au moins coûte un louis; un louis, le verre de vin de Madère avec un biscuit; un louis le bouquet de violettes. Toutes les boutiques vendent à prix fixe, et l'on ne marchande pas. L'objet le meilleur marché coûte un louis; pour être plus agréables que Cerbère, les marchandes ne font pas plus grâce que lui, et, une fois entré, on ne peut sortir sans payer son tribut.
Quelques beaux fils, ennuyés de cette contribution forcée, ont essayé de s'en venger par des impertinences; mais, quoique ces bazars de la grande société ne jouissent pas de la présence de sergents de ville, les délinquants ont été bientôt ramenés à l'ordre par les élégantes marchandes, plus sévère encore que la quêteuse qui donna au régent d'Orléans une leçon bien méritée. Un de ces beaux fils s'étant permis de demander à une jeune bouquetière, dans le salon de laquelle il était souvent reçu, le bouquet qu'elle portait à sa ceinture, et lui ayant dit que de tout son inventaire, c'était le seul bouquet qu'il consentît à acheter, elle le tira froidement, et lui remit dans les mains en lui disant: "c'est au plus juste pris, monsieur, cinq cents francs." Jamais renard qu'une poule aurait pris ne fut aussi penaud que le bellâtre. Le dialogue avait eu lieu à haute voix, et tous les regards étaient sur lui. Il fallait s'exécuter sous peine de passer pour un malotru et pour un harpagon, et ajouter encore au billet de cinq cents francs un grand merci.
Je ne prétends pas que cette aumône forcée lui ait valu beaucoup de mérites là-haut, mais les pauvres en profitèrent ici-bas, et c'est déjà quelque chose.
Un autre impertinent ne s'en tira pas à aussi bon marché. Il est vrai que l'amende doit être proportionnée à la témérité, et qu'il y avait beaucoup plus téméraire que celui dont il vient d'être question. Il s'était arrêté longtemps devant une boutique tenue par une fort jolie femme, et il avait déprécié tous les objets qui s'y trouvaient. "Les cigares étaient digne de la bouche d'un caporal, les bouquets étaient sans parfums, les petits gâteaux étaient brûlés." En vain la marchande déployait tout son talent pour faire valoir tous ses produits. Le fat, lorgnant dédaigneusement tout ce qu'on lui offrait, finit par faire mine de se retirer, lorsque tout à coup, se ravisant, il indiqua du doigt une boucle de cheveux de la marchande, et lui dit que de toute la boutique c'était la seule chose dont il eût envie. Les yeux de l'honnête jeune femme lancèrent des éclairs; puis, se ravisant, elle dit à l'impertinent acheteur: "Il n'y a rien que je ne fasse pour les pauvres." Aussitôt, saisissant une paire de ciseaux, elle coupa la boucle demandée et la lui mit dans la main en lui disant: "Monsieur, c'est cent louis."
Le gandin resta quelques secondes interdit et ahuri, comme un homme qui aurait reçu une tuile sur la tête. Il n'y avait pas de moyen de reculer cependant: la boucle de cheveux demandée était dans sa main et la main tendue de la marchande en exigeait et en attendait le prix. Il fallut tirer son portefeuille de sa poche et compter les deux mille cinq cents francs.

Le corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrai plus.

Encore une fois, mon ami Alceste aurait trouvé, non sans quelques raisons, que ce n'était point là la grande charité chrétienne, comme l'entendaient saint François de Sales et saint Vincent de Paul. J'en conviens, mais deux mille cinq cents francs n'en allèrent pas moins aux pauvres, et ma qualité de Philinte je trouve qu'il faut prendre l'argent comme il vient et les hommes comme ils sont.

                                                                                                        Félix-Henri.

La Semaine des Familles, samedi 26 avril 1864.


Nota de Célestin Mira:

* Liste civile:


les trois premières pages de la liste:








* Le denier de la veuve: obole donnée par un pauvre.


Paul Sérusier: le denier de la veuve.




samedi 10 septembre 2022

 Principes et philosophie de la chimie moderne.

fondés sur la doctrine des équivalents. (par Charles Flandrin.)


La chimie est assurément la science qui occupe le plus le monde savant. L'étude des corps, de leurs propriétés, des modifications dont ils sont susceptibles quand on les combine ou quand on les mélange, les diverses propriétés dont ils jouissent les uns par rapport aux autres, les réactions, enfin les manières différentes dont ils agissent sur notre propre économie: voilà la chimie. On ne peut donc s'étonner du nombre de volumes consacrés à cette science qui touche tant d'intérêts, à la médecine par la chimie appliquée à notre organisme, à la richesse des nations par la chimie appliquée à l'industrie. Malheureusement, il faut en convenir, si, transportant dans l'ordre intellectuel la rigueur de l'analyse chimique, on l'appliquait à un grand nombre de traités et de manuels mis entre les mains des écoliers, souvent il en resterait bien peu de choses, quelquefois on trouverait un résidu compact d'erreurs, de sophismes, de théories fausses et malsaines. Qu'est-ce en réalité que la plupart de ces volumes petits et grands? - Un catalogue des corps simples et des corps composés, un exposé d'une exactitude souvent approximative des réactions, des combinaisons, que le laboratoire indique, que des formules expriment, qu'un auteur expose, sans essayer de les expliquer. Or, en science, l'à-peu-près ne saurait exister; une chose est ou n'est pas. Il n'y a pas d'intermédiaires.
Dans les sciences en général et particulièrement dans la chimie, se retrouvent deux écoles qui se partage le monde: l'école spiritualiste et l'école matérialiste.
C'est à l'école spiritualiste qu'appartient le livre que vient de publier M. Charles Flandin. L'auteur a combattu les doctrines matérialistes, qui font tout sortir d'une molécule ou d'un atome. Etrange orgueil, qui préfère attribuer le commencement de toute chose au temps, à une circonstance étrangère, sans songer que, quand il n'y avait rien, le temps avait peine à être; car qu'est-ce que le temps, sinon une comparaison; et que prendre pour terme de comparaison, quand il n'y a rien?
M. Flandin n'a pas eu l'intention de professer. On n'entrevoit pas en lisant son livre la cravate blanche officielle et l'habit noir réglementaire du professeur. Il a mieux aimer étudier avec le lecteur les différents corps qui constitue la chimie minérale. Son savoir et son talent eussent été sans doute à leur place dans une chaire professorale; mais il aurait eu peut être quelque chose de moins familier et de moins communicatif. A deux, l'étude est plus attrayante, et, en se rapprochant de celui qui reçoit la science, la savant qui la donne la rend plus facile. Dans ce livre la chimie n'a donc pas besoin de s'imposer, elle se fait accepter. Tout est détaillé, expliqué; des exemples nombreux introduisent le lecteur dans le sanctuaire du chimiste et lui donne envie d'aller plus avant encore dans le laboratoire, et même, çà et là, des anecdotes contribuent à reposer l'esprit sans que l'auteur cesse de marcher à son but, qui est d'instruire. Nous en citerons une sur le blanc de fard ou blanc de perle, qu'on obtient en versant une dissolution acide d'azotate de bismuth dans une dissolution de chlorure de sodium (sel marin)
Voici l'anecdote:
"Une femme, encore jeune et belle, faisait un usage immodéré du blanc de fard. Son médecin, le célèbre Alibert, médecin du roi Louis XVIII, lui ordonna un jour, pour la guérir d'un petit eczéma, un bain sulfureux. La dame se rendit à Tivoli, où on lui prépara le bain dit de Barèges. Mais, ô surprise! à peine est-elle dans la baignoire, que la femme de chambre qui l'accompagne, s'écrie d'une voix entrecoupée: -Madame, madame!... -Eh bien? - Madame, vous devenez mulâtre... négresse! La dame sortit précipitamment du bain. De la tête aux pieds, son corps était noir et le lavage n'enlevait rien. On fit appeler le médecin, le malicieux Alibert. Eh quoi! quelle drogue avait-il fait mettre dans le bain? Le docteur souriait. - Vous mettez du blanc de fard? chère madame. - Sur la joue seulement, et très-peu, très-peu. - Oh! toute belle, si vous n'aviez blanchi que la joue, il n'y aurait que la joue de noire, et nous ne serions pas si embarrassés. L'aveu fut pénible, et le docteur eut la barbarie de ne pas indiquer le remède propre à rendre à la peau sa blancheur et son éclat. Il aimait mieux dire à sa belle cliente: - En ce moment, vous pourriez avoir les plus grands succès... en Cafrerie."
Le remède, dont vous n'avez pas besoin, mesdames, il est bien simple. Si vous vouliez le savoir, rien que par curiosité... vous le trouveriez dans le livre de M. Flandin.
Pour étudier la chimie, il faut se rendre compte du rôle que jouent sur les corps les agents physiques, tels que affinités, chaleur, électricité, magnétisme, électromagnétisme, lumière.
C'est à cette étude que M. Charles Flandin a consacré la fin de son livre. Les dernières découvertes, tant chimiques que physiques, y sont notées et discutées avec cet esprit clair et précis qui dit tout sans dire de trop. Dans le chapitre consacré à la Philosophie chimique l'auteur rencontre la question des Doctrines, et il se trouve amené à exposer, à discuter et à refuser les doctrines de l'école matérialiste. Des savants distingués partagent les conviction de M. Flandin à cet égard, et, il n'y a que quelques jours un membre de l'Institut disait: "J'ai refait avec le plus grand soin toutes les expériences sur lesquelles M. Dumas appuie sa doctrine, je suis parfaitement convaincu qu'elle n'est qu'un tissu d'erreurs." Mais M. Flandin a l'honneur d'avoir levé le premier le drapeau contre l'école matérialiste, qui occupe presque toutes les positions dans le monde officiel de la science. La doctrine de cette école est celle de Prout, révisée et embellie par M. Dumas. L'exemple donné par M. Flandin doit être suivi; si nous sommes bien renseigné, un professeur de l'école spiritualiste aurait maintenant sous presse une réfutation nouvelle des lois par à peu près dont M. Dumas veut compliquer la chimie.
Quel est donc le fond de la doctrine de M. Dumas? Il se charge lui-même de répondre: "Les plantes et les animaux dérivent de l'air, ce ne sont que de l'air condensé... Ils viennent de l'air et y retourneront, ce sont des véritables dépendances de l'atmosphère." Du moment que l'air fait des hommes, pourquoi s'étonner de voir un romancier contemporain expliquer l'existence du monde d'une façon analogue? Avec des millions de siècles, un atome se serait formé... - De quoi? - Tout seul. - Avec du temps, des milliards de siècles probablement, cet atome a grossi au point de former les mondes; encore quelques trillions de siècle et l'homme arrive formé par...  le temps. De Dieu, pas un mot. Mais si vous voulez bien attendre quelques quadrillions de siècles, peut-être Dieu sortira-t-il du creuset d'un chimiste...
M. Flandin a traité ces questions en savant et en homme de sens, ce qui malheureusement n'est pas toujours la même chose. La réfutation est complète, et la Philosophie chimique est le digne couronnement et la conclusion de son beau livre traitant des soixante-six corps simples (métalloïdes et métaux). On peut dire que l'auteur a résumé, dans ce volume de sept cents pages illustré de figures qui facilitent l'intelligence du texte, tous les principes de la chimie.
Les lecteurs de la Semaine des Familles ont vu commenter dans nos colonnes  cet excellent ouvrage, peut-être un peu sérieux pour une publication comme la nôtre, mais qui a reçu maintenant sa forme naturelle et définitive, et qui rendra de grands services à la science.

                                                                                                                   Félix N.

La Semaine des Familles, samedi 16 avril 1864.