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lundi 3 novembre 2014

Le singe du père Cabasson.

Le singe du père Cabasson.

Le père Cabasson était un bon dominicain, confrère du célèbre missionnaire J-B. Labat, si renommé parmi nos vieux voyageurs, et si célèbre chez nos voisins, qui l'appelaient le belliqueux père Blaise. Ce père Cabasson résidait dans l'île de Saint-Christophe, et il s'en fallait beaucoup qu'il eût les goûts guerriers de son confrère. Celui-ci était toujours en voyage dans les forêts et toujours en chasse; le père Cabasson recueillait les blessés, les soignait et souvent s'en faisait tendrement aimer.
Dans une grande chasse aux singes, dont parle Labat avec enthousiasme, une pauvre guenon portant son petit sur son dos avait trouvé la mort. Ce petit singe avait été recueilli par le père Cabasson, que ses habitudes éloignaient des exercices cynégétiques de son confrère, et il était devenu, pour nous servir des propres expressions du missionnaire, "le plus joli animal qu'on pût souhaiter."
Ce petit singe n'avait qu'un défaut: il ne pouvait souffrir qu'on l'éloignât de son maître, qui, en raison de cet attachement, ne pouvait se décider à le mettre à la chaîne; il gambadait en toute liberté, et l'on ne songeait à l'enfermer que lorsque le père se rendait à l'église.
Or voici ce qui arriva de cet excès d'indépendance, et ici nous laisserons parler un témoin oculaire:
'Il s'échappa une fois, et, s'étant aller cacher au-dessus de la chaire du prédicateur, il ne se montra que quand son maître commença à prêcher; pour lors, il s'assit sur le bord, et, regardant les gestes que faisait le prédicateur, il les imitait dans le moment avec des grimaces et des gestes qui faisaient rire tout le monde. Le père Cabasson, qui ne savait pas le sujet de ces risées, reprit alors ses auditeurs avec assez de douceur; mais, voyant que les éclats de rire augmentaient au lieu de diminuer, il entra dans une sainte colère, et commença à leur reprocher d'une manière très-vive le peu de respect qu'ils avaient pour la parole de Dieu. Ses mouvements, plus violents qu'à l'ordinaire, firent augmenter les grimaces et les postures de son singe et le rire de l'assemblée. A la fin, quelqu'un avertit le prédicateur de regarder au-dessus de sa tête ce qui s'y passait. Il n'eut pas plus tôt aperçu le manège de son singe, qu'il ne put s'empêcher de rire comme les autres; et comme il n'y avait pas moyen de prendre cet animal, il aima mieux abandonner le reste de son discours, n'étant plus lui-même en état de continuer, ni les auditeurs de l'écouter." (1)

(1) Voy. les Voyages de Labat, et l'ouvrage intitulé: Histoire des singes et autres animaux curieux dont l'instinct fait l'admiration des hommes, etc. Paris, Duchesne, 1752, 1 vol. petit in-12.

Le magasin pittoresque, juillet 1876.

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