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lundi 3 novembre 2014

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.

Voici un fait qu'il serait fastidieux de rapporter s'il n'avait pas été attesté par des personnes parfaitement dignes de foi. Ce qui lui donne de l'intérêt est l'espèce d'authenticité qui s'y attache, quoiqu'il soit incroyable.
Madame X... avait loué, à quelques lieues de Paris, un château pour y passer l'été. Cette dame était accompagnée de sa fille, jeune personne douée d'une grande puissance magnétique.
Dès la première nuit qu'elle couche au château, mademoiselle X... est réveillée par un bruit étrange; elle croit entendre le mouvement de sa porte qui s'ouvre. En même temps, elle aperçoit un chevalier armé de pied en cap, qui s'approche du lit, où elle l'aperçoit distinctement à la lueur de sa veilleuse, la regarde une minute, s'éloigne et disparaît.
Le lendemain, la jeune fille épouvantée, raconte le fait à sa mère, qui le communique à un médecin. Celui-ci donne des craintes graves à madame X... sur la raison de sa fille; il suppose qu'elle a un accès de démence.
Madame X... , d'abord désolée, veut ensuite s'assurer si réellement la pauvre enfant est insensée. Elle passe la seconde nuit dans le lit de sa fille.
A la même heure, la même vision reparaît.
La terreur de madame X... est cent fois moindre que ses craintes: peu lui importe que le château soit fréquenté par ce spectre, dès l'instant que sa chère enfant n'est pas atteinte d'un mal affreux.
Consolée et presque heureuse, elle atteste ce qu'elle a vu à son frère, officier de cavalerie. Celui-ci, esprit fort, comme veulent l'être tous les hommes, assure que la venue du fantôme n'est qu'une mystification, et qu'il en aura raison.
Il passe la nuit suivante, le sabre à la main, caché sous les rideaux du lit dans lequel les deux dames sont couchées.
Le chevalier fantastique revient encore.
L'officier s'élance sur lui, l'arme au poing; il ordonne au fantôme de se retirer; puis, celui-ci n'ayant pas obéi, l'officier le frappe de sa lame.
Le sabre ne rend aucun bruit sur l'armure, et traverse le chevalier comme une ombre, sans laisser aucune trace.
Le spectre continue sa marche lente, comme s'il n'eût pas été touché, et va se perdre dans l'espace.
Cette fois, voilà le fait attesté par trois personnes.
Alors l'avis du docteur est que, selon le système de M. Hume, mademoiselle X... , âgée de seize ans, très-belle et très-formée pour son âge, possède un fluide plus expansif, plus puissant, qui lui donne la force d'évoquer les esprits.
Ce qu'il y a de positif là-dedans, c'est que madame X... , qui avait loué le château pour tout l'été, après cette troisième nuit, est revenue immédiatement à Paris.
Nous apprenons un vol qui mérite d'être rapporté par son étrangeté, et parce que malheureusement il n'est pas impossible qu'il ne fasse école.
Madame Elisabeth Savage, femme de confiance d'un riche propriétaire anglais, rentrait à la maison dans l'après-midi, chargée de divers articles de toilette, lorsque, dans un endroit assez désert, elle fut assaillie par deux hommes et une femme. Un des hommes lui plaça subitement sous le nez un flacon contenant du chloroforme. Elle tomba aussitôt dans une insensibilité complète.
Quand elle revint à elle, elle s'aperçut qu'on lui avait volé, non-seulement les objets de toilette qu'elle portait et sa bourse, mais encore ses principaux vêtements; les malfaiteurs l'avaient dépouillée de tout.
N'osant pas se montrer, elle appela longtemps à son secours, et enfin attira l'attention de deux femmes qui passaient et qui lui procurèrent bientôt de nouveaux vêtements, à l'aide desquels elle put aller faire sa déclaration à la police de Londres.
Mais on frémit quand on songe au parti que les voleurs pourront désormais tirer du chloroforme.
Un crime d'une férocité rare vient d'être commis dans la ville du Puy.
Une veuve, jeune encore, était éperdument éprise d'un jeune homme, qui l'aimait aussi et cependant balançait à l'épouser. La dame avait deux enfants: un fils âgé de sept ans, et une petite fille de trois ans; et il redoutait cette situation de beau-père, qui amène souvent bien du trouble dans les familles.
Cette femme, folle d'amour, se décida à faire disparaître l'obstacle qui s'opposait à son mariage. On vit son fils succomber au milieu du mois de mai, et sa petite fille périr justement au même jour du mois suivant.
La justice s'inquiéta; les deux enfants furent exhumés, et leurs corps montra des traces évidentes de poison. Devant de telles preuves, la malheureuse femme a fait des aveux complets.
Cette affaire rappelle absolument celle de madame T... , qui épouvanta Paris il y a vingt ans. une femme, d'un aspect si pur et si charmant, qu'on l'avait surnommée la rose blanche, empoisonna son mari, ses deux enfants et la femme d'un homme qu'elle aimait, pour parvenir à l'épouser. Elle avait aplani tous obstacles autour d'elle, lorsque, par un instinct providentiel, celui à qui elle avait tout sacrifié se retira d'elle. Peu après, il apprit les crimes de madame T... , révélés par la voix publique, ainsi que la mort de cette rose blanche, qui prit elle-même de l'acide prussique, dont elle avait tant versé autour d'elle.
La comédie de salon a jeté les derniers feux de sa rampe au château de Drancy, chez M. de Ladoucette, le sénateur. On a joué les Absents ont raison, charmante comédie du second Théâtre Français, par madame Anaïs Ségalas, dont nos lecteurs ont pu apprécier le talent. Elle-même portait le deuil rose de Lievins et lançait, au feu du lustre, les étincelles nées sous sa plume au feu de l'inspiration. Elle était entourée de M. Ballande, la science et la verve incarnées, le maître par excellence du spectacle de salon; de M. Malezieux, qui double l'esprit des auteurs les plus spirituels; de MM. Favé et Pujol, qui ont également brillé dans leurs rôles. La Carte à payer, ce vieux vaudeville toujours jeune parce qu'il est toujours joli, a terminé le spectacle.
Le prologue était de M. Pitre-Chevalier.
Madame Anaïs Ségalas a donné ensuite, dans ses salons de Paris, une seconde représentation de ces deux pièces, qui n'ont été ni moins parfaitement interprétées, ni moins vivement applaudies.

                                                                                                          Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 19 juillet 1857.


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