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lundi 31 juillet 2017

Exécution du faux Martin Guerre.

16 septembre 1560.
Exécution du faux Martin Guerre.

Né à Andaye, dans le pays des Basques, après dix ans de mariage avec Bertrande de Rols, dont il avait eu un enfant, Martin Guerre fut obligé de passer en Espagne; il y prit les armes et le canon lui emporta une jambe à la bataille de Saint-Quentin.
Son absence durait depuis huit ans, quand on le voit, ou plutôt quand on croit le voir revenir: tout le monde le reconnait: femme, sœur et oncle. On ne fait aucune difficulté à l'admettre dans tous ses droits d'homme et privilèges d'époux.
Un soldat de Rochefort passe par hasard et publie que le vrai Martin Guerre est en Flandre: on n'en tien compte. Cependant, une altercation s'élève entre le neveu et l'oncle: celui-ci s'adresse à la justice. Le prétendu Martin Guerre est interrogé: il répond de manière à confondre l'incrédulité même. Il sait la vie de celui dont il porte le nom jour par jour, instant par instant. Il en a d'ailleurs tous les signes caractéristiques: deux soubredents à la mâchoire inférieure, une cicatrice au front, un ongle du premier doigt enfoncé, trois verrues sur la main droite, une autre au petit doigt, une goutte de sang à l’œil gauche, etc.
Sur cent cinquante témoins, quarante le reconnaissent pour Martin guerre; soixante n'osent se prononcer; cinquante soutiennent que c'est Arnaud de Tilh, dit Pansette, du bourg de Sagies.
En effet, c'était lui: Martin Guerre arrive de Flandre, et, malgré sa jambe de bois, prouve son identité: Arnaud de Tilh, confondu, dévoile lui-même toute sa ruse.
Par arrêt du parlement de Toulouse, il est pendu devant la porte de Martin Guerre, et son corps jeté au feu. Ses biens furent adjugés à une fille qu'il avait eue de Bertrande de Rols, pendant les trois ans qu'elle avait habité avec lui de bonne foi.

Journal des demoiselles, septembre 1844.

Origin of the word lady.

Origin of the word lady.

It was anciently the custum in England for those whom fortune had blessed with affluence, to live constantly at their manor houses in the country, where once a week, ot oftener, the lady of the manor distributed to her poor neighbours with her own hands, a certain quantity of bread.
She was denominated by those who shared her bounty, the laff dien, which in saxon signifies, the bread-giver.
A gradual corruption in the manner of pronouncing the word has produced the modern term lady.
It is probable that from this hospitable custum arose the practice still universally existing, of ladies serving the meat at their own tables.

Le Journal des demoiselles, septembre 1844.

Journal des demoiselles.

Journal des demoiselles.










Journal des demoiselles, 1844.

Le pêcheur.

Le pêcheur.


Le Parisien n'est jamais qu'un chasseur d'occasion; en revanche il pêche de race, et sans calembour, bien entendu.
Il n'était encore qu'au maillot, que les poissons rouges des bassins des Tuileries et du Palais-Royal, autour desquels sa nourrice le promenait, excitaient déjà chez lui de vagues concupiscences; instinctivement il étendait vers eux ses menottes rosées et trouées de fossettes; il était clair qu'il eût voulus pour hochets.
Plus tard, arrivé à six ou sept ans, sa première école buissonnière eut pour prétexte son premier début dans l'art dont saint Pierre est le patron vénéré. Mais tandis que nous autres, petits provinciaux, nous nous escrimions contre les habitants de la mare de la ferme avec des engins essentiellement primitifs, une ficelle ornée d'un bouchon de bouteille, armée d'une épingle recourbée et attachée au bout d'un bâton, ce jeune adepte, en raison de sa vocation spéciale, se trouvait déjà en possession de l'outil d'un maître: une ligne de crin diaphane, garnie de la plume légère et mobile fixée à une canne de roseau, munie d'hameçons sérieux et louée deux sols à un marchand d'asticots du pont Marie! Avec de telles prémisses, il ne faut pas s'étonner que le jeune homme aille loin.
Quelquefois l'auteur de ses jours, pêcheur comme le fut son père à lui-même, comme il veut que son fils le devienne, revendique l'honneur d'inculquer à celui-ci les grandes, les saines traditions du métier. C'est sous cet œil indulgent et sévère qu'il apprend à fixer le ver rouge sur l'acier, à ferrer lestement la volage ablette. Rien ne serait plus exemplaire, plus touchant que le spectacle de ces initiations de famille, dans lesquelles, avec une gravité au-dessus de son âge, la progéniture s'absorbe dans la contemplation du bouchon, tandis que l'auteur du néophyte se partage, non sans difficulté, entre le soin de maintenir son élève dans les bons principes, et le souci de manquer lui-même son poison: mais malheureusement, ces scènes vraiment patriarcales sont quelquefois troublées par un des plus tristes sentiments dont soit affligée notre espèce: par l'envie. Elle est tellement inhérente à notre nature, que la modestie de la victoire, non plus que la tendresse d'un cœur de père, ne défendent pas des déplorables suggestions de l'amour-propre.
Un de nos vieux camarades, mort pendant le siège, non pas au Prussien, mais à ce non moins redoutable ennemi qui a si cruellement décimé les rangs de ma génération, l'absinthe, le peintre-auteur dramatique Montjoie, avait eu pour instituteur dans la science de l'hameçon son propre père, artiste distingué de l'Opéra. Un jour que celui-ci lui donnait une leçon dans les environs de Poissy, il le chargea de placer dans le filet appendu à l'un des bords du bateau, une assez belle brème qu'il venait de capturer; quelques instants après, ne se trouvant pas suffisamment saturé de l'admiration que méritait une prise si magnifique, le professeur voulut en jouir encore, et ne la trouva plus dans la poche. Sa fureur, ou plutôt son désespoir, se tourna immédiatement contre son disciple.
- Tu étais jaloux de mon poisson, s'écria-t-il, tu l'as malicieusement laissé échapper, lâche que tu es!
Je vous fais grâce de l'altercation qui s'en suivit, il vous suffira de savoir qu'un peu trop rudement bousculé par l'auteur de ses jours, Montjoie fils fit un plongeon; mais il est juste de rajouter qu'il fut immédiatement repêché par Montjoie père avec non moins d'habileté que ne l'avait été la brème, et que le pauvre homme témoigna d'un repentir aussi pathétique que touchant. Mais, quelque temps après, un jour que le danseur traitait quelques amis, il devint pensif et silencieux vers le milieu du dîner; mais bientôt s'arrachant à ses méditations:
- Il est certain que tu n'y songes plus, dit-il à son fils; mais, c'est égal, avoue que tu l'as laissé s'échapper?
Les joies bruyantes, les élans passionnés de l'adolescence se heurtent à ce penchant sans l'atténuer. Quelquefois même, le Parisien parvient à concilier ce que les esprits superficiels déclareraient inconciliable, et, mêlant l'utile au doux, utile dulci, il cueille une friture de goujons et, en même temps, s'enivre de poésie sous les vertes saulées.




Maintenant devenons plus graves:  dussent ces émules des départements en jaunir de dépit, nous leur déclarerons que comme outillage, habilité pratique, sûreté de main et autres corollaires qui font le pêcheur consommé, ils ne vont pas à la cheville de leur collègue de Paris; il y a sous les ponts de la grande ville, sur les cours d'eau de ses environs des praticiens qu'il faut considérer et révérer comme les Napoléon 1er de la corporation, et qui ont de plus le mérite d'être des types plus ou moins originaux.
Tel fut Habeneck, le frère du célèbre chef d'orchestre de l'Opéra, et ayant lui-même occupé ces fonctions à l'Opéra-Comique. celui-là se rendait tous les soirs à son bateau amarré aux bains Vigier, à la sortie du théâtre, et ne rentrait que rarement avant d'avoir vu lever l'aurore à travers les culées du pont des Arts; tel fut M. Alfred B...  naguère encore receveur général, qui ne dut cette lucrative position qu'à l'acharnement qu'il apportait à usurper chaque matin la place favorite d'un ministre des finances, beaucoup plus fameux encore par sa passion pour la pêche que par la grandeur de ses conceptions financières, lequel ne découvrit pas plus sûr moyen de se délivrer d'un compétiteur aussi entêté que de le placer.
De tous, le plus excentrique fut certainement Kresz aîné, le fondateur d'une maison et d'une fabrique d'ustensiles de chasse et de pêche qui existe encore aujourd'hui. Il avait fait une sérieuse industrie de ce qui, jusqu'à lui, était à peine un métier. Il faudrait des pages pour donner une idée de la verve, de la faconde, de l'originalité que Kresz mettait au service de ses produits. Apôtre plus ou moins convaincu de la pêche, sa passion pour son art, son humour et ses saillies inspiraient une certaine indulgence pour l'énorme calibre de ses hâbleries.
C'était lui qui prétendait reconnaître à une certaine saveur de l'eau l'espèce de poissons qui hantait le bras de rivière qu'il s'agissait d'explorer; lui qui, sur cinq ou six lignes posées sur la rive, déterminait à l'avance celle qui pêcherait, prophétie rarement démentie parce que,  s'il en fallait croire ses détracteurs, il avait toujours aux environs un compère pour accrocher un poisson à l'hameçon indiqué, lui enfin qui avait découvert que lorsque la carpe dédaignait l'amorce, ce manque d'appétit indiquait la nécessité d'une purgation et qui vendait fort cher à ses disciples, Kresz avait des disciples!, de grosses fèves cuites avec de la casse ou du séné pour remédier à l'état pléthorique des cyprins.
Un manque de tact fit cependant pâlir son étoile. Après avoir guidé des grands seigneurs, des banquiers dans les mystérieuses arcanes de la pêche, Kresz fut appelé à exercer son professorat sur les marches du trône. M. le duc d'Orléans, fils aîné du roi Louis-Philippe, le fit venir à Neuilly pour apprendre de lui à jeter l'épervier.
L'humeur joviale de Kresz, la vivacité de ses ripostes eurent un succès énorme; l'héritier présomptif et les princes ses frères, alors fort jeunes, s'amusaient beaucoup des sorties grotesques du nouveau maître. Cependant, lorsque pendant plus d'un mois on eut lancé le filet sur les pelouses, M. le duc d'Orléans désira voir autre chose que des marguerites dans les mailles de son épervier; on organisa une grande partie de pêche à laquelle toute la famille royale fut conviée.
Le roi, la reine, les princesses, étaient montés dans une grande barque qui suivait à quelque distance celle qui avait à remplir, dans l'action, le rôle principal, et dans laquelle se trouvaient les jeunes gens et leurs professeurs. Kresz tenait les avirons. Debout sur la levée, M. le duc d'Orléans apprêtait son outil, mais comme toujours, au moment décisif, le débutant avait perdu une grande partie de ses moyens; il négligeait les principes les plus essentiels, et Kresz, dont l'honneur était engagé dans le succès, maugréait avec sa véhémence ordinaire. Il avait bien mis des sourdines à son indignation dont l'éclat n'arrivait pas jusqu'à la barque royale, mais dans l'embarcation des pêcheurs on n'en perdait pas une syllabe, et l'éloquence du professeur produisait son effet ordinaire.
Au moment où l'on arrivait à l'endroit désigné pour l'expérience, lorsque le duc d'Orléans, arrondissant les bras, fit un mouvement en arrière pour imprimer l'élan à l'outil, une partie du filet se dégagea de son épaule. Kresz poussa une imprécation terrible quoique contenue: le fou rire gagna le prince qui, lâchant l'épervier, le laissa tomber dans la rivière où il s'arrondit, non pas comme une roue, mais comme un manchon.
- Décidément, Monseigneur, s'écria l'instituteur empourpré de colère, vous ne serez jamais plus adroit de vos mains qu'un porc de sa queue!
Les princes, grands et petits,  se tordaient sur leurs bancs, mais l'hilarité ne s'étendit pas à la barque royale. Le professeur fut généreusement récompensé de ses soins, mais on ne lui demanda point de continuer une éducation de pêcheur qu'il avait pourtant si bien commencée.
Le mariage lui-même ne prévaut pas contre cette passion innée du Parisien. On pêche à deux au lieu de pêcher solitaire, et c'est tout; puis, peu à peu, à mesure que les enfants en venant au monde agrandissent le cercle de la famille, la ligne du petit groupe qui jalonne les bords du fleuve s'allonge et s'accroît, de façon à rappeler quelque peu au canotier qui passe dans sa yole, la physionomie d'un buffet d'orgues.
Quelquefois quand, sur le retour, le Parisien s'est confiné à la campagne, tenaillé par l'ambition des matelotes plantureuses, par cupidité ou quelque sourde jalousie, il fait des infidélités à son outil favori en faveur des nasses, verveux, échiquiers ou autres engins de la grande pêche; mais ces caprices sont ordinairement transitoires, et c'est avec bonheur qu'il revient à la ligne comme à toutes les premières amours.
Ce goût est chez lui aussi vivace qu'il est caractérisé; il résiste quelquefois à l'âge et survit aux infirmités. Nous avons connu un vieux pêcheur de Nogent qui, rendu impotent par une paralysie, avait fait placer dans sa cour un tonneau plein d'eau. On y mettait des carpes et, assis dans son fauteuil, et par sa fenêtre, le podagre passait ses journées à les pêcher à la ligne.

                                                                                                           G. de Cherville.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

dimanche 30 juillet 2017

Ceux de qui on parle.

Le ténor Alvarez.

M. Alvarez, contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'a rien d'espagnol, pas même son nom. Il s'appelle en réalité Albert-Raymond Gouron et il est né à Bordeaux en 1861.
Il n'a pas deviné d'abord les richesses qu'il avait dans le gosier.
Incorporé comme musicien dans un régiment de ligne, il fut corniste, puis sous-chef de musique. Sur les compliments qu'on lui adressa pour sa voix, il eut l'idée de se faire chanteur.
Il démissionna, prit des leçons de chant et débuta à Paris dans un café-concert. Son succès fut honorable et le conduisit au théâtre de Lyon puis au grand Théâtre de Marseille où il acquit sa première réputation.
Du Grand Théâtre de Marseille, M. Alvarez passa en 1892 à l'Opéra: l'ancien sous-chef de musique avait eu de l'avancement. Il faut dire à sa louange qu'il se semait partout à sa place; de quelque façon que la Fortune l'ait comblé, il a toujours jugé ses succès inférieurs à son mérite.
La souplesse et l'étendue de sa voix n'auraient pas suffi à le ranger parmi les ténors illustres. Ses qualités de comédien et sa belle prestance ont beaucoup contribué à rendre son nom célèbre.




Il interpréta de très nombreux rôles, notamment Roméo, Lohrengrin, Samson, Sigurd. Sa renommée passa les mers, et bientôt il faisait de fructueuses tournées en Amérique et dans toute l'Europe. Le Covent-Garden de Londres le posséda souvent; il y a créé plusieurs pièces, entre autres la Navarraise.
M. Gailhard, le précédent directeur de l'Opéra appréciait beaucoup M. Alvarez. Cette sympathie était réciproque: elle reposait chez M. Gailhard sur les recettes que lui faisait faire son ténor; quant à M. Alvarez, il goûtait surtout les huit mille francs que lui octroyait généreusement tous les mois son directeur. C'était le mieux payé des artistes de la troupe.
Il y a quelques années, il se produisit à l'Opéra un incident qui contraria fort M. Gailhard.
M. Alvarez ne voulait plus parler à sa camarade Grandjean.
Mme Grandjean ne voulait plus voir M. Alvarez.
Comme ces deux artistes étaient des vedettes appelées fréquemment à paraître ensemble sur la scène, le malheureux directeur s'entremit et tenta de tous les moyens d'opérer entre eux un rapprochement. Ses raisonnements restant sans effet, il eut recours aux séductions de sa voix.

"Prophète bien aimé, puis vivre sans toi?"

soupirait-il à M. Alvarez, avec les accents les plus tendres qu'il pouvait trouver au fond de son gosier.

"Mon cœur s'ouvre à ta voix comme s'ouvre la rose
Aux baisers du zéphyr."

chantait-il à Mme Grandjean.
Mais elle, fixant sur M. Alvarez un regard impitoyable et courroucé ne cessait de répéter:

"Va-t-en, va-t-en dans une autre patrie!"

Le directeur de l'Opéra dut céder; par galanterie, il se sépara de M. Alvarez. Il allait monter Tristan et Iseult.
Pour afficher sur son programme un nom illustre, il engagea Van Dyck, mais il regrettait son ténor favori, et disait en haussant les épaules:
- Je faisais quinze mille francs avec un ténor français qui chantait bien. Avec un ténor qui chante moins bien, je ferai vingt mille francs, parce qu'il est étranger.
Cette parole, M. Alvarez devrait la retenir: elle lui indique le moyen d'accroître la réputation dont il est si fier: se faire naturaliser belge.

                                                                                                               Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 28 juin 1908.


Philosophie de l'ameublement.

Philosophie de l'ameublement.


Les révolutions dans les lettres et les arts, qui semblent, au premier abord, agir uniquement sur les esprits, produisent toujours, dans le domaine des choses, des modifications importantes. Ainsi, pour prendre un exemple frappant, chaque fois qu'un grand mouvement artistique ou philosophique s'est accompli, on a vu le mobilier se transformer, adopter, lui aussi, les idées nouvelles et se mettre au goût du jour.
Rien de plus naturel du reste. L'homme déteint sur tout ce qui l'environne. Il donne le cachet qui lui est propre aux objets familiers dont il se sert le plus souvent. Est-il entraîné par un courant d'opinion nouvelle, se trouve-t-il dans une situation morale différente, il ne se contente pas de son sentiment intime, il déborde en manifestations extérieures, assortissant son costume, sa maison, ses meubles à la couleur de ses pensées. Homme de plaisir, il choisira les nuances claires et joyeuses; il voudra que les choses rient autour de lui et comme lui. Homme grave, il s'entourera de meubles sévères et de tentures sombres. Les étoffes de son choix varieront du vert foncé, maximum de la gravité connue, aux tons feuille morte, qui rappellent l'automne. Le printemps et l'été seront consignés à la porte. Il ne faut pas chercher d'autre cause à l'usage qui nous fait porter en noir le deuil de nos plus chères amitiés. Il a sa raison d'être naturelle dans son besoin d'harmonie entre l'homme et son milieu.
Ainsi, les meubles ne sont pas seulement du bois recouvert de cuir ou de tissus; ils ont, nous ne dirons pas une âme, mais une expression, un langage. Démons familiers de la maison, ils sont un peu, beaucoup nous-mêmes. Ils procèdent de nous, et, aux yeux d'un observateur, ils nous trahissent aussi complètement que pourraient le faire des amis intimes; tantôt, c'est leur forme trop confortable qui nous accuse de paresse; tantôt, c'est la place donnée à quelque meuble curieux qui peut indiquer notre vanité; d'autres fois, on découvrira dans la diversité mal comprise des pièces d'un mobilier, un manque de logique complet. La disposition des meubles dans un appartement peut encore indiquer un esprit méticuleux ou bien désordonné. Trop d'ornements, trop d'or, c'est un homme de mauvais goût ou un parvenu; trop de sécheresse, un avare.
Si nous passons de l'homme à la société, et du meuble à l'ameublement en général, nous trouvons toujours la même corrélation entre les êtres et les choses. Pour ne prendre que les faits saillants, voici la Renaissance, l'époque des poëtes et des artistes, le moment des trouvailles exquises du ciseau, des bonheurs galants de la plume. Marot chante. Le miracle qui rendit fameuse la lyre d'Orphée va se renouveler. Les objets s'animent. Les meubles embrassent la réforme. Les colonnades des lits prennent modèle sur les rythmes variés des odelettes légères; le bois se prête à toutes les élégances de style. Rien ne détonne dans cet ensemble merveilleux.




Le siècle de Louis XIV se reflète aussi dans le mobilier du temps, qui s'inspire à la fois de Versailles et de l'hôtel de Rambouillet, du Roi-Soleil et des précieuses. Voyez les cabinets d'écailles, les chaises de glui à la capucine, la chaise-inquiétude, la chaise-perspective, les scabellons, les lits à quenouilles, à balustrade, à l'ange, à la polonaise. Et quelle variété d'ornements depuis les panaches de madame de Chaulnes qui valaient 14.000 livres, et les bonnes grâces des femmes à la mode jusqu'aux pantes de sarge du bourgeois.
Il serait superflu d'insister sur les côtés légers du mobilier Louis XV, sur la grâce de l'ameublement Louis XVI, et sur les prétentions grotesques du style du premier empire. Nous avons hâte d'arriver à notre époque et au mouvement romantique.
Victor Hugo paraît. Avec son génie prodigieux, il évoque les grandeurs de notre passé; il rappelle les splendeurs artistiques du moyen âge et de la Renaissance. Deux livres immenses, la Légende des siècles et Notre-dame de Paris suffisent pour convertir le monde.
Adieu les placages de bois collés! adieu les mobiliers déshonorants! Une révolution s'opère. Les admirables collections du musée de Cluny sont mises à contribution. On se reporte aux meilleurs modèles. On cherche le beau et on le trouve.
Parmi les trésors de la Renaissance, on connait un lit bourguignon, dit de Chabot-Charny, qui est attribué à Huges Sambris, le Dijonnais. Un artiste moderne s'est chargé, non pas de le copier servilement, mais de le traduire. M. Mazarov, à qui nous devons cette oeuvre d'art et le fauteuil Henri II, dons nous donnons également un dessin, est le premier qui ait travaillé de nos jours à mettre les meubles au niveau des idées. 




A côté de ces ouvrages princiers, il a composé du reste, des ameublements plus abordables, mais toujours compris avec goût.
Mais en regard des efforts tentés par quelques artistes comme lui, combien d'hérésies ne voyons-nous pas commettre par les ébénistes actuels. Et cela se comprend. Il y a tant de courants divers aujourd'hui: le grand courant des affaires qui pousse vers les fauteuils américains d'hommes pratiques, le courant des enrichis qui pousse vers les meubles baroques à couleurs brutales, et le courant des lettrés qui se subdivisent eux-mêmes: les uns préférant le Louis XV et le Louis XVI, les autres le Louis XIV et le Louis XIII, ou le style Henri II et François 1er.
A ne considérer que l'ameublement contemporain, on pourrait presque affirmer que le dix-neuvième siècle est une époque de transition, sans franchise, sans caractère, sans unité de vues; quelque chose comme le scénario provisoire d'une pièce dont toutes les scènes ne sont pas encore arrêtées.
Hélas! quand aurons-nous donc un mobilier définitif?

                                                                                                                       Ed. Morel.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

Persévérance étonnante des sauvages.

Persévérance étonnante des sauvages.


Si l'on peut dire avec raison que la persévérance vient à bout de tout, c'est bien en présence de ces menus ustensiles que façonnent la plupart des sauvages dans des matières d'une incomparable dureté, et cela sans instrument aucun.
Les peuples primitifs ont toujours montré une incroyable habilité à travailler le silex, le perçant et le tranchant par des procédés invraisemblables. Qui voudrait croire que certains sont arrivés jusqu'à trancher du fer avec un fil. Ce fait est pourtant attesté de visu par un très-grave écrivain du seizième siècle.
D'après Oviédo, qui visita Saint-Domingue en 1513, les Indiens d'Haïti parvenaient à couper le fer de leurs entraves avec un fil de cabuna ou de henequen, deux plantes textiles du pays.
"Il se servent du fil, dit l'historien espagnol, comme on ferait d'une scie, le tirant alternativement de droite, de gauche, et lui imprimant ainsi un rapide mouvement de va-et-vient pendant lequel ils promènent et frottent fortement contre le fer un sable très-menu qu'ils ont soin de répandre sur son trajet. A ce jeu, la portion de fil qui agit ne dure pas longtemps, mais c'est alors le tour de la partie voisine, et ainsi de proche en proche jusqu'à ce qu'on ait besoin d'un fil neuf. De cette façon nos Indiens scient un fer pour gros qu'il soit, et c'est un fait connu qu'à la Côte-Ferme, ils ont ainsi coupé par morceaux des ancres de navires."

                                                                                                                                       P.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

les couleurs de la toilette féminine.

Les couleurs de la toilette féminine.


La nature a donné aux papillons des couleurs différentes, selon qu'ils volent aux heures du crépuscule ou à la lumière du plein midi. Le brun foncé, le marron, le gris liseré de noir, revêtent les ailes veloutées des bombyx et des sphinx qui ne prennent leur essor qu'à la nuit tombante. Les couleurs éclatantes et gaies, le jaune d'or, le bleu d'azur, le rouge vif ou tendre, les chatoiements irisés ou nacrés sont le privilège de ces légers papillons de jour qu'on voit voltiger le long des eaux vives ou dans les allées des bois, au grand soleil d'été.
Les femmes suivent dans leur toilette cette loi d'harmonie qui régit la gent papillonne. Elles gardent pour la saison des frimas et des brumes les vêtements aux teintes neutres, les soies foncées, les fourrures lourdes et sombres; mais, au premier beau jour, vite les robes couleur de soleil et de feuilles vertes se montrent dans la clarté joyeuse des rues et des promenades.
Tout est si beau! Les éventaires des bouquetières sont jonchés de roses et d’œillets qui embaument; les étalages des magasins rivalisent de fraîcheur et de gaîté. Là, sont les étoffes légères, bleues, roses ou gris-perle; les longues ombrelles à cannes qui font rêver aux lentes et majestueuses promenades des belles dames du temps passé; les larges éventails noirs tout semé d'églantines, de lilas et de narcisses, et ces écharpes de crêpe de Chine que l'on noue derrière, à la Charlotte-Corday, et qui avantagent si bien les tailles élégantes... La rue est vivante, souriante, chatoyante. Il semble que les femmes qui se parent de ces jolies choses doivent être toutes jeunes et charmantes.
Malheureusement, il n'en est pas toujours ainsi: se bien mettre est un art qui exige du goût et un sentiment exquis de l'harmonie des couleurs. C'est un don naturel, une sorte d'intuition. On voit des femmes qui savent très-bien choisir séparément un joli chapeau, une jolie robe, mais qui ne se doute pas que telle nuance ne peut s'accorder avec telle autre, et qui comment journellement un crime de lèse-harmonie
La suprême élégance consiste dans l'assortiment complet de la toilette. Par exemple, une femme qui aura une tunique de soie grise, relevée sur une jupe de faille marron doré, devra pour rendre sa toilette harmonieuse porter des gants et des bottines de l'une ou de l'autre de ces couleurs. Son chapeau devra être également dans les mêmes tons; seulement, une fleur bleue, rose ou cerise, selon l'âge et le teint, devra relever et réveiller ce parti-pris de gris ou de marron. La fleur est le trait d'esprit de la toilette; elle peut, à elle seule, égayer le costume le plus sévère et lui donner une physionomie piquante ou modeste, suivant la façon dont elle est posée. Avec la forme des coiffures actuelles, qui découvrent beaucoup la chevelure, il est très-gracieux, au lieu de coudre la fleur, de la piquer soi-même dans les cheveux, à l'aide d'une longue épingle. Elle se trouve ainsi accommodée à l'air du visage, chose importante pour les femmes aux traits mobiles, et qui n'ont pas tous les jours la même figure.
La chaussure est une des choses qu'une femme de goût doit avant tout soigner dans sa toilette. Le bas blanc, uni et fin, est toujours le plus distingué. Chez soi, dans ses pantoufles, on peut à la rigueur se mettre le bas de fantaisie rayé ou le bas de soie de couleur à coins brodés; mais, pour sortir, la femme comme il faut doit porter le classique bas blanc. 
La bottine de chevreau à haute empeigne et à boutons est la chaussure la plus convenable pour les temps incertains; la mignonne bottine de fin chevreau à guêtres grises, pour les beaux jours; mais point de botte ou de demi-bottes qui grossissent le bas de la jambe; point de nœuds ou de bouffettes qui élargissent et gâtent le pied le mieux fait!
Les mêmes principes doivent être appliqués au choix des gants. Il faut les assortir à la nuance de la toilette. C'est un tort de croire que le gant doit trancher sur le costume. Ces oppositions de couleurs ne sont permises qu'avec les toilettes noires. Ainsi la nuance bouton d'or est charmante avec une robe de soie noire; elle trancherait trop avec une toilette bleue. Il faut pour cette dernière nuance le gant de couleur mastic ou noisette pâle. Laissons aux Anglaises et aux Allemandes ces gants aux teintes voyantes, bleus, verts ou violet d'évêque, que quelques marchands exposent à leur étalage et qui sont du dernier mauvais genre.
Tous ces menus détails de la toilette exigent une grande sûreté de goût; mais le goût ne suffit pas pour se bien mettre, il faut encore y joindre du tact et de l'esprit.
Une femme spirituelle ne mettra pas, à son jour de réception, la robe qu'elle choisirait pour faire visite aux personnes qu'elle reçoit. Chez elle, une femme doit toujours garder une simplicité élégante, et, sous le rapport de la toilette, s'effacer complètement devant ses invitées. Point de couleurs trop pimpantes, ni de bijoux trop éclatants. Du reste, sa beauté n'y perdra rien, car la femme vue chez elle, dans le cadre qu'elle s'est elle-même arrangé, est toujours mille fois plus charmante que n'importe où.
Il y a aussi dans le choix des couleurs des questions de sentiment et de convenance. Pour rendre une visite de condoléance, une femme de tact revêtira la robe noire qui doit faire le fond de toute garde-robe féminine. Si son chapeau est gaîment fleuri, elle devra, pour la circonstance, en sacrifier les fleurs, afin que l'éclat de sa toilette ne contraste pas avec la tristesse des personnes qu'elle visite. Ces petits détails, qui semblent des riens, sont d'une grande importance dans la vie mondaine, et font immédiatement juger d'une manière différente la femme qui les néglige et celle qui les observe.
L'esprit dans la toilette se reconnait aux moindres choses: à la façon dont un nœud est posé, à un velours mis ou omis, et surtout au choix des nuances assorties au teint. Il y a de jolies femmes qui s'enlaidissent à plaisir en portant des couleurs qui les effacent absolument. Une blonde doit se renfermer dans les nuances douces et les demi-teintes: le bleu pâle ou foncé, le noir, le brun, le mauve et le vert, telles sont les couleurs qui lui seyent le mieux; Le cerise tendre s'accorde parfois merveilleusement avec quelques chevelures blondes et ajoute du piquant à une physionomie un peu terne; mais on doit laisser aux brunes le rouge ponceau, le jaune, le violet, le rose vif et le blanc. Quant aux châtaines, elles ont le privilège de pouvoir porter indistinctement toutes les nuances, étant à la fois brunes et blondes: brunes à l'ombre et blondes au soleil. C'est la couleur vraiment française, et surtout vraiment parisienne. Les châtaines peuvent disposer à leur fantaisie de la gamme de l'arc-en-ciel; tout leur va; un ruban bleu au corsage, aussi bien qu'un œillet rouge piqué dans les cheveux; c'est une question d'heure et de saison, de pluie et de beau temps, d'humeur gaie ou mélancolique; la femme châtaine est l'être mobile et ondoyant par essence, et c'est ce qui lui donne deux charmes très-appréciés par le sexe fort: la nouveauté et l'imprévu.

                                                                                                                   Rose-Lise.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

samedi 29 juillet 2017

L'église de Saint-Riquier.

L'église de Saint-Riquier.

A 9 kilomètres d'Abbeville (Abbatis villa, ancienne ferme de l'abbaye), dans un riant vallon, s'élève Saint-Riquier (Somme). Le Scardon baigne le mur méridional de l'antique et célèbre abbaye de l'ordre de saint Benoît, construite par saint Angilbert, sous Charlemagne, et qui a donné son nom à cette petite ville de 1.800 âmes.
Les historiens rapportent que trois cents religieux s'y relevaient nuit et jour pour chanter les louanges de Dieu, et que cent enfants, fils de rois ou de grands seigneurs, y étaient élevés dans l'étude des lettres et des sciences, sous la direction d'Alcuin. Le monastère et l'école donnèrent à l'Eglise vingt sept papes, deux cents cardinaux et cinq cents évêques. Les Bourguignons et les Français, durant le quinzième siècle, prirent, pillèrent et brûlèrent tour à tour la ville et l'abbaye.
Après l'incendie de 1437, on commença la construction de l'église abbatiale actuelle, considérée comme l'un des plus curieux monuments gothiques de la Picardie, et même de la France, et comme l'un des derniers et des plus parfaits modèles de ce genre d'architecture.




Le tympan placé au-dessus de la porte, dans le fond du cadre ogive, et que nous reproduisons ici, est totalement occupé par un bas-relief représentant l'arbre de Jessé ou la généalogie de Jésus-Christ. Douze rois, ses ancêtres, sont assis sur les branches de cet arbre dans des attitudes variées, et portent des costumes du seizième siècle: David, Salomon, Roboam, Abias, Asa, Josaphat, Joram, Ozias, Joatham, Achaz, Ézéchias et Manassé! En avant, sur un joli cul-de-lampe, décoré de pampres, on aperçoit Jessé richement vêtu, assis sur son trône, la tête appuyée sur sa main droite, et endormi; l'écusson de France, sans fleur de lis, est suspendu devant lui.
L'arbre est surmonté de la figure de la Vierge, portant sur ses genoux l'enfant Jésus. Les interstices sont découpés à jour et garnis de vitraux. Une riche dentelle encadre le tout.
Sur les panneaux unis, à encadrement, de la porte, sont sculptés deux médaillons représentant les bustes du Christ et de la Vierge. Cette profusion d'ornements signale la fin de la période ogivale.
La partie inférieure des deux contreforts de la tour, en dehors du portail, est décorée de six niches contenant des statues d'évêques et d'abbés révérés dans le Ponthieu.
Dans le fronton qui surmonte le grand arc ogive, un groupe représente le Mystère de la Trinité: le Père éternel, sur son trône, présente aux hommes son Fils crucifié. La tête, pleine de dignité, est coiffée de la tiare que domine une colombe figurant le Saint-Esprit. Au-dessus, des anges à demi-mutilés et un riche dais pyramidal découpé à jour.
En dehors du fronton, et sur le mur de face, sont des niches séparées par des compartiments, les statues colossales des douze apôtres, remarquables par la beauté du style et par le fini de l'exécution. On distigue, à droite, saint Riquier; à gauche, saint Angilbert, à genoux devant Dieu le Père.
Le fronton triangulaire en saillie qui termine cette partie de la façade, et qui domine le portail, est décoré de trois statues surmontées de dais en forme de couronnes. Au milieu, la Vierge recevant de l’Éternel la couronne céleste fleurdelisé que soutiennent deux anges. A gauche, Dieu le Père; à droite, le Christ. Le saint-Esprit, en colombe, plane sur ce groupe modelé avec beaucoup d'art. Ajoutons que le fronton se détache sur un fond lisse, coupé par de fines colonnettes terminées par des trèfles. Les rampants et la frise sont décorés de chardons délicatement fouillés.
Le gros mur de la tour est bordé d'une balustrade orné d'entrelacs découpés à jour. La tour, sur chacune de ses faces, est ouverte de deux baies garnies de trois abat-vents. Entre elles, apparaît la statue colossale de saint Michel, protecteur de la France et terrassant Satan avec la croix; à gauche, Adam et Eve après leur faute; à droite, Moïse et le roi David.
La tour se termine par une véritable broderie architecturale et le sommet est bordé d'une balustrade à jour.
Il faut regretter, avec M. Adolphe  Joanne, les restaurations mal habiles qui ont dénaturé l'aspect extérieur de l'église en faisant disparaître les jolis clochetons qui surmontaient les contre-forts.
L'ensemble de l'édifice présente la forme d'une croix latine, longue de cent quatre mètres et large de vingt-cinq. La grande nef mesure vingt-cinq mètres de hauteur, tandis que les bas-côtés n'en mesurent que treize ou quatorze. A l'intérieur, l'église se compose d'une nef (cinq travées) avec bas-côtés autour du chœur, d'un transept et de onze chapelles rayonnant autour du sanctuaire.
L'église est aujourd'hui paroissiale et, depuis 1822, un petit séminaire est installé dans l'abbaye.

                                                                                                   V.-F. Maisonneuve.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

vendredi 28 juillet 2017

Antiquité du cure-dents.

Antiquité du cure-dents.

Il est curieux de retrouver chez les anciens l'usage des moindres ustensiles dont nous nous servons chaque jour et qui nous paraissent souvent comme des raffinements de notre civilisation. Ainsi le cure-dents, pour prendre un des exemples les plus infimes, était parfaitement en usage parmi les Romains. Les beautés du siècle d'Auguste avaient, dans leur coffre de toilette, un cure-dents de porc-épic qu'elles se passaient entre les dents, après se les être nettoyées avec du marbre en poudre.
A table également on se précautionnait de ce petit ustensile, mais il était de bon goût de le dissimuler. D'après Martial, ceux qu'on faisait avec du bois de lentisque étaient les meilleurs; mais, à défaut de ces cure-dents de choix, on pouvait user d'autres en tuyaux de plume. Le poëte remarque avec méchanceté que les femmes qui affectent le plus de se creuser les gencives avec le bois de lentisque sont justement celles qui n'ont plus de dents.
On attribue, à tort, au ministre espagnol, Antonio Perez, accueilli par Henri IV après son bannissement, vers 1591, l'introduction du cure-dents en France. Si le ministre espagnol donna à ce petit ustensile un moment de vogue; si le ton voulut que, pendant quelque temps, à son exemple, on ne se montrât plus dans la bonne compagnie sans un cure-dents, il est certain qu'avant lui le cure-dents était déjà familier chez nous.
Les comptes de l'argenterie du roi François II font déjà mention, à la date de 1560, de deux cure-dents d'argent dans un étui pareil, de style mauresque, orné d'FF couronnés; ainsi que d'un autre cure-dents et cure-oreille dans un étui d'or enrichi de couronnes émaillées de rouge et de blanc.
Quant au cure-dents de l'amiral de Coligny, mort vingt ans avant l'arrivée d'Antonio Perez, il fut célèbre au point de donner naissance à un dicton: "Dieu me garde du cure-dents de l'amiral", pour "Dieu me garde d'avoir affaire à l'amiral". Et le fait est, qu'au dire de Brantôme, le fameux Coligny en portait toujours un, "fust en la bouche, ou sur l'oreille, ou en la barbe."

                                                                                                                                P.
Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

L'origine des contes de fées. part I

L'origine des contes de fées. 
               Premier article.




Vous connaissez toutes, mesdemoiselles, le charmant recueil des Contes de fée de Charles Perrault; votre enfance s'en est amusée; vous avez frémi à l'idée d'avoir quelque Barbe-Bleue pour époux; vous avez plaint le sort de Peau-d’Âne fugitive, loué l'humanité de la jeune fille qu'une fée éprouve sous le costume d'une mendiante, et admiré les ruses du miraculeux Chat-Botté. Dans un âge plus avancé, vous relirez encore avec plaisir ces narrations qui ont charmé vos premiers ans, et en vous inclinons sur cette demeure où nous allons tous, hélas! vous reverrez encore ces images gracieuses ou terribles, qui, évoquées par vos nourrices, dansaient autour de vos berceaux.
Ce que vous ignorez peut-être, c'est que les contes de Charles Perrault ne sont pas de lui; son seul mérite est de les avoir arrangés à la moderne, et revêtus d'un style élégant et naïf. Son ouvrage, qui parut en 1697 sous le titre d'Histoires ou Contes du temps passé, avait pour bases de vieilles traditions, connues sous le nom de Contes de ma Mère l'Oie.
Charles Perrault a placé en tête de son volume une vignette représentant une vieille femme qui débite des histoires à trois enfants, et on lit au-dessous cette légende: Contes de ma Mère l'Oie, légende empruntée, suivant la Bibliothèque des Romans, à un ancien fabliau, dont le principal personnage est une vieille oie, ou mère oie, qui édifie des petits oisons par des narrations morales;
Or, ces contes étaient populaires longtemps avant l'apparition du recueil de Perrault, qui date, comme nous l'avons dit, de 1697. Boileau disait, dans une dissertation imprimée en 1669: "Qu'aurait-on dit de Virgile, si à la descente d’Énée en Italie, il lui avait fait conter par un hôtelier les Contes de ma Mère l'Oie?". Charles Perrault lui-même, dans un livre publié en 1692, le Parallèle des Anciens et des Modernes, disait: "Les fables antiques sont si puériles que c'est leur faire assez d'honneur que de leur opposer les Contes de Peau-d’Âne et de ma Mère l'Oie."
L'ancienneté de ces traditions est suffisamment constatée; mais d'où viennent-elles? Qui en indiquera la source? Un savant écrivain, le baron de Walkenaër, avance qu'elles pourraient faire partie d'un recueil en dialecte gallois, conservé au monastère de Saint-Aaron en Bretagne; mais les titres qu'il cite n'ont pas le moindre rapport avec ceux de Charles Perrault. Pwyll, prince de Dymed; Bran-le-Bénit, Math, fils de Matonwy, n'ont rien de commun avec Cendrillon et le Marquis de Carabas. Nous avons patiemment recherché, mesdemoiselles, l'origine des Contes de fées, et nous somme parvenus à éclaircir quelques points de cette question, jusqu'à présent insoluble; trop heureux si le résultat de nos longs travaux peut captiver un instant votre attention.

Barbe-Bleue.

Commençons par le sinistre Barbe-Bleue, ce mari exterminateur. M. Abel Hugo rapporte qu'une tradition désigne le château de Verrières comme une des demeures du redoutable Barbe-Bleue, Gilles de Retz, condamné à mort pour ses crimes, et brûlé à Nantes en 1440. On voit encore dans les ruines une petite salle tapissée de lierre, autour de laquelle on a planté sept arbres funéraires, monument expiatoire élevé aux sept épouses du cruel maréchal de France.
Cette tradition prétendue est complètement fausse. Gilles de Retz n'eut qu'une seule femme, Catherine de Thouars, qu'il traita toujours avec les plus grands égards. Il est vrai que le maréchal de Retz a laissé de tristes souvenirs. A en croire l'ingénieur Ogée, auteur d'un Dictionnaire historique de Bretagne, on voit encore dans le château de Machecoul le sabre de Gilles de Retz, qui est d'une longueur et d'une largeur extraordinaires. Son nom prononcé devant les paysans leur inspire encore de l'indignation et de l'effroi, tant ce scélérat était redouté de ses malheureux vassaux.
Ces sentiments sont la source de ce qui passe aujourd'hui pour une tradition. Connaissez un très-méchant homme, et entendez parler de quelque crime effroyable, vous le lui attribuerez infailliblement. Ainsi, les paysans, instruits des aventures de Barbe-Bleue, se sont dit: "Il n'y a que Gilles de Retz au monde qui ait été capable de tuer sept femmes l'une après l'autre." Et de là, une opinion sans fondement, réfutée par ce seul fait: Gilles de Retz n'eut qu'une femme, et, tout scélérat qu'il était, il la rendit parfaitement heureuse.
Nous pensons que le type de Barbe-Bleue est un certain Comorre, comte de Léon, qui vivait à la fin du sixième siècle. En effet, dans sa légende, conservée dans les Vies des Savants de Bretagne (Rennes, 1680), par frère Albert le Grand, nous retrouvons le meurtre successif des femmes, et même les principaux traits de la dernière scène de Barbe-Bleue. Le dénouement diffère; mais après avoir lu le récit d'Albert le Grand, on ne peut douter que ce ne soit le fond sur lequel ont brodé les trouvères du moyen âge, et Charles Perrault après eux.

Légende de Comorre, comte de Léon.

"Comorre, comte de Léon, usait d'une extrême cruauté et barbarie envers les femmes, lesquelles il faisait inhumainement massacrer. Cependant, après de longs refus, il obtint en mariage Triphine, fille aînée de Geroh, comte de Vannes. Comorre épousa sa dame dans le château de Vannes, et l'emmena avec lui en ses terres, la traitant assez respectueusement; mais bientôt il commença à la regarder de travers;
"Ce qu'apercevant la pauvre dame, et craignant la fureur de ce cruel meurtrier, résolut de se retirer à Vannes vers son père. Cette résolution prise, elle fit d'un bon matin équiper sa haquenée, et avec peu de train sortit avant jour du château, et tira le grand galop vers Vannes.
"Le comte, à son réveil, ne la voyant pas près de lui, l'appelle, et la fait chercher partout; mais ne pouvant la trouver, il se doute de l'affaire, se lève et s'accoutre promptement, prend la botte, monte à cheval, suit la dame à la pointe de l'éperon, et enfin l'attrape à l'entrée des fossés d'un manoir, hors des faubourgs de Vannes. Elle se voyant découverte, descend de sa haquenée, et, toute éperdue de crainte, se va cacher parmi des halliers, en un petit bocage là auprès; mais son mari la cherche si bien qu'il la trouve.
"Lors la pauvre dame se jette à genoux devant lui, les mains levées au ciel et les yeux baignés de larmes, lui crie: Mercy!. Mais le cruel bourreau ne tient compte de ses pleurs, l'empoigne par les cheveux, lui desserre un grand coup d'épée sur le cou, lui avale la tête de dessus les épaules; et laissant le corps sur la place, s'en retourna chez soi."

                                                                                         Emile de la Rédollière.

Journal des Demoiselles, juin 1844.

6 mars. Fête de Vesta.

6 mars. Fête de Vesta.

Le culte de Vesta et du feu fut apporté de Phrygie en Italie par Énée et les autres Troyens qui y abordèrent. Virgile n'oublie pas de dire qu’Énée, avant de sortir du palais de son père, retira le feu du foyer sacré.
A Rome, chaque citoyen prit soin d'entretenir le feu de Vesta à la porte de sa maison; et c'est de là, selon Ovide, qu'est venu le nom de vestibule.
Pendant les fêtes de la déesse, son temple était ouvert à tout le monde; on pénétrait partout, excepté dans le sanctuaire où les vestales gardaient ce qu'on appelait le gage du salut de l'empire. On ignore en quoi ce gage consistait précisément; Quelques auteurs pensent que c'étaient deux petits tonneaux, l'un fermé, l'autre ouvert, comme ceux qu'Homère place à l'entrée du temple de Jupiter, et dans lesquels il suppose que tous les biens et les maux sont contenus.
Ce qu'il y a de certain, c'est que ce n'était pas la statue de Vesta, car une loi du culte de cette déesse défendait de modeler aucune figure à son image.


Journal des Demoiselles, mars 1844.

Les Français ont les premiers exploré la Corée.

Les Français ont les premiers exploré la Corée.


On me parlait récemment de l'étonnement de certaines personnes devant l'abondance de noms français que présentent les cartes de Corée.
Cet étonnement s'explique très facilement: fort ignorants, en France, de tout ce qui concerne les choses de la Marine, fort oublieux de toutes nos gloires maritimes, nous négligeons d'apprendre dans nos écoles, les grandes pages de notre histoire navale: et c'est ainsi que nous ne savons pas que la Corée fut pour la première fois explorée, voici un demi siècle, par des marins de chez nous. L'hydrographie coréenne est une découverte française, et des marins de France réussirent là où avaient échoués des matelots d'autres nations. La page est intéressante et vaut, en ce moment, d'être rappelée.
Jusque vers 1830, la Corée, que les Anglais appelait fort justement the hermit nation, avait en effet vécu dans un isolement complet et volontaire. Un certain Pic-Ki y avait, en 1780, fondé une église chrétienne qui, en 1831, comptait 10.000 fidèles, et à qui le pape envoya alors un évêque in partibus. En 1836, les P. Maubant et Chastan, et l'évêque Mgr Imbert arrivèrent à Séoul par la Chine: ils furent décapités le 30 septembre 1842. Et pour les venger, le 1er juin 1846 l'amiral Cecil se présenta avec sa division devant l'île Or-Ien-To; mais tout se borna à une démonstration platonique qui surexcita l'orgueil coréen.
Venus présenter de nouvelles réclamations, le 10 août 1847, le capitaine de vaisseau Lapierre, sur la Gloire, et Rigault de Genouilly, sur la Victorieuse, échouèrent malheureusement leurs bâtiments dans la baie Basilhall, mal relevée sur une carte anglaise. Les équipages se retranchèrent dans l'île Ko-Koum To, qui devint l'île du Campement, et les lieutenants de vaisseau Delapelin et Poidloue étant allés à Shangaï chercher des secours, lord Marqu'har, avec la frégate Dœdalier et les bricks Espiègle et Childer, vint sauver les français, le 1er septembre 1847.
Les Coréens, croyant leurs côtes inaccessibles, refusèrent toute satisfaction, pillèrent un baleinier français, et, après un moment de crainte, pendant l'expédition de Chine, en 1860, massacrèrent en 1866, neuf missionnaires et dix mille chrétiens.
La chine ayant prudemment conseillé à la cour de Séoul d'offrir des réparations, celle-ci répondit fort audacieusement: "Que ce n'était pas la première fois que des français étaient tués en Corée et que jamais leurs compatriotes n'avaient réclamé."
Le 10 septembre 1866, la corvette Primauguet, l'aviso Déroulède et la canonnière Tardif, parurent devant Kang-Hoa et reconnurent la route de Séoul, cependant que le gros de la division mouillait à Che-Fou. Puis la frégate la Guerrière, les corvettes à hélices Laplace et Primauguet, les avisos Déroulède et Kienchan, les canonnières Tardif et Lebreton, commandés par l'amiral Roze, forcèrent l'entrée du fleuve Han-Kang (rivière Salée). L'île Kang-Hoa, de 400 kilomètres carrés, fut prise: la résidence royale, les archives, onze forts, trois dépôts d'armes, des poudrières, des magasins furent saisis. Les navires français passèrent où n'avaient pu passer des navires américains.
Mais la marche sur Séoul par le fleuve fut manquée: deux échecs, un à la porte de Séoul, un à la pagode de Trieun-Tong-Sa, dû à la faiblesse numérique des effectifs engagés, relevèrent la morgue des Coréens; Les récits de M. H. Zuber, officier de l'escadre, qui publia un curieux récit illustré dans le Tour du Monde de 1873 et de M. Ridel, vicaire apostolique de Corée, montrent que l'on cherchait plus à faire peur aux Coréens qu'à conquérir le pays.
On fit beaucoup plus de la science que de la conquête; on dressa une carte, on fit l'hydrographie de la rivière Salée, du golfe du Prince-Jérôme dont on dénombra les 142 îles et îlots.
Une géographie et une histoire du royaume coréen furent ébauchées. Puis on fit l'inventaire des objets trouvés dans les forts et les magasins de Kang-Hoa: on y remarqua des canons se chargeant par la culasse, des fusils à répétition d'un mécanisme bizarre, mais ingénieux; on y enleva une magnifique collection de livres peints et illustrés, en papier de mûrier, qui sont aujourd'hui à la Bibliothèque nationale de Paris.
Bref, on s'occupa beaucoup de la Corée et fort peu des Coréens, et le 23 novembre 1866, l'expédition française quittait les côtes de "l'Empire ermite", emportant une très belle carte de la région étudiée et laissant à ces rivages les noms français encore utilisés aujourd'hui.
Aussi les Coréens furent-ils persuadés qu'ils avaient fait reculer l'escadre des barbares. Les membres de l'expédition eux-mêmes déclarèrent que l'aventure n'avait pas rapporté politiquement les profits attendus. Les seuls résultats étaient ethnographiques, géographiques et hydrographique.

                                                                                                       Georges Toudouze.

Le Petit journal militaire, maritime, colonial, 17 avril 1904.

jeudi 27 juillet 2017

Le parc Monceaux.

Le parc Monceaux.

Vous n'êtes pas sans avoir entendu parler de Grimod de la Reynière, le fermier général qui vivait au milieu du siècle dernier. Son nom a été illustré par son fils, célèbre dans les annales de la gastronomie, auteur de l'Almanach du Gourmand, et qui mourut désespéré de n'avoir pu trouver que cinq cent quarante-trois manières d'accommoder les œufs.
Le père se fit connaître à ses contemporains par le seul moyen qui fût en son pouvoir, c'est à dire en faisant des dépenses exagérées. Pour cela il acheta la seigneurie de Mousseaux, qu'on a appelé plus tard Monceaux, petit hameau dépendant de la paroisse de Clichy. Il fit des dépenses énormes pour embellir le château de Bel-Air, qui y était attenant, puis le vendit au duc d'Orléans, père de Louis-Philippe.
Celui-ci surpassa le financier en dépenses et prodigalités. Il nivela le terrain, abattit toutes les maisons, et en fit un délicieux jardin anglais en suivant les dessins de Carmontel. L'artiste tira un parti merveilleux de ce terrain nu et aride; il y créa des accidents, il y conduisit de l'eau en abondance. Il y établit des tombeaux, des temples, des pagodes, des obélisques, des kiosques, des grottes, un château fort en ruines, un moulin à vent hollandais et une pompe à feu. Il abrita les allées sous des arcades de vignes taillées à l'italienne, et sema partout des jeux de bague, des jets d'eau, des fontaines et des cascades.
Malgré cette variété, il ne put créer une de ces magnifiques villas qui font encore, à Rome, l'admiration des touristes: le ciel, le climat et le talent de l'artiste ne s'y prêtaient pas. Malgré ses défauts de goût, la Folie-Monceaux, comme on l'appelait alors, était une merveille dans son genre, et Dellile la chanta dans son poëme des Jardins.
A l'extrémité était un pavillon isolé: c'était la petite maison du duc d'Orléans. On donnait ce nom à des maisons cachées dans les environs de Paris que possédaient les grands seigneurs et les riches financiers pour y faire leurs parties fines. C'était dans de semblable réunions, composé de tout ce que Paris avait d'élégant, qu'on jouait les comédies grivoises de Collé.
La convention affecta le parc Monceaux à divers usages; un peu plus tard, il fut transformé en promenade. 



C'était, en effet, une véritable promenade que d'y venir, car la ville était loin de s'étendre jusque-là. Une des rues les plus éloignées du centre était alors la rue de la Chaussée-d'Antin qui portait dans ce temps le nom de rue du Mont-Blanc. 
Napoléon, devenu empereur, reprit possession du parc Monceaux et le donna à l'archi-chancelier Cambacérès. Celui-ci vint quelquefois y promener son gros ventre, en compagnie de ses acolytes habituels. Mais il aimait encore mieux les galeries du Palais-Royal, où sa haute stature, son costume étincelant de pierreries, la grande plume blanche de son chapeau attiraient chaque soir le regard des badauds et des provinciaux. Bientôt, effrayé des dépenses d'entretien d'un parc qui lui servait si peu, il le rendit à l'empereur qui le réunit aux biens de la couronne. 
En 1814, le parc Monceaux fut rendu à la famille d'Orléans, qui le posséda jusqu'au décret de 1852. Jusqu'à l'ouverture du boulevard Malesherbes, le parc qui était indivis entre l'Etat et les héritiers de la princesse d'Orléans, resta fermé au public. A cette époque, il devint la propriété de la ville de Paris, qui le transforma complètement. La moitié à peine du parc subsista, le reste fut employé à créer un riche quartier et de larges voies de communication.
Cette partie conservée du parc est assurément une des plus jolies promenades de Paris, avec ses magnifiques hôtels qui l'entourent, précédés de jardins et fermés de grilles, avec ses trois entrées monumentales et sa grille en fer, chef-d'oeuvre de la serrurerie moderne; avec ses voies carrossables, ses massifs de fleurs sans cesse renouvelés, sa rivière, son tombeau, son bois de hautes futaies et sa belle naumachie, vaste bassin ovale entouré d'une colonnade corinthienne.
La vue de l'arc de triomphe de l'Etoile et de l'église russe avec son toit doré, complètent le coup d’œil magique qui s'offre au promeneur.

                                                                                                              J. P. Sauveterre.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.

Après grâces Dieu bu.

Après grâces Dieu bu.

Vieille locution usitée en Allemagne, et qui se rapporte à un trait de mœurs des plus caractéristiques.
Les Allemands ont généralement bon estomac et mauvaise tête; avant de se mettre à table, ils songeaient bien à dire le benedicite, qui est une sorte d'introduction au repas; mais une fois la nourriture absorbée et la faim apaisée, ils oubliaient complètement de dire les grâces.
Un pape qui était philosophe, et qui connaissaient bien les Allemands, s'avisa d'un moyen fort ingénieux pour les forcer à remplir ce devoir religieux: il accorda une indulgence, non pas à ceux qui diraient les grâces, mais à ceux qui boiraient un coup de vin après les avoir dites.
Depuis ce jour aucun Allemand n'a oublié de gagner des indulgences d'une façon à la fois si commode et si agréable.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.

La mode au dix-huitième siècle.

La mode au dix-huitième siècle.


Voici la seconde série des coiffures inventées par Léonard. Nos lecteurs peuvent suivre ainsi, d'une façon précise, les variations de la mode au dix-huitième siècle, car ces dessins ont été exécutés d'après les gravures de l'époque. 




On remarquera que les coiffures sont pour la plupart fort élevées.




La poudre amena, dit M. Rimmel, une révolution dans les coiffures, qui tendirent à s'élever de plus en plus; déjà sous la Régence, elles avaient atteint une hauteur respectable; mais vers la fin du règne de Louis XV, elles prirent des proportions aussi exagérées que celles des hennins.




Il fallait alors "souffrir pour être belle", et bien des pauvres martyres consentaient à rester un jour entier dans une immobilité parfaite pour ne pas endommager leur édifice capillaire.




Les plus économes même sa faisaient "faire une tête" qui durait trois semaines; mais, quand au bout de ce temps-là, on devait l'ouvrir, comme disent les recueils de l'époque... horresco referens!




C'est de cette époque que date l'existence du coiffeur. Jusque-là les perruquiers avaient conservé le monopole des têtes, tant féminines que masculines; mais lorsque la coiffure devint un véritable monument, elle nécessita l'emploi d'un architecte réunissant le goût au talent.




Les perruquiers ne cédèrent pas ainsi leur empire sans coup férir; ils intentèrent aux coiffeurs un procès qui fut une des causes célèbres du siècle dernier, mais ils durent abandonner le sceptre à leurs adversaires secrètement soutenus par leurs infidèles sujettes.







Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.