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vendredi 20 septembre 2013

La dévastation de la côte orientale d'Afrique.

La dévastation de la côte orientale d'Afrique.

Ainsi, c'est donc vrai: les canons de l'escadre allemande ont bombardé la côte orientale d'Afrique ! Bagamoyo, Saâdani, Dar-es-Salam sont réduits en cendres ! Les missions flambent, les indigènes vaincus fuient, la rage au coeur, emportant au centre du noir continent une haine implacable contre l'être malfaisant, l'homme blanc !
Hélas ! Quand je tourne mon regard en arrière; quand je me reporte à 1879-1880, à l'époque où nous organisions paisiblement nos caravanes; quand je revois ces bonnes têtes d'indigènes habitués au portage, qui venaient nous louer leurs bras pour de dangereux voyages; quand j'évoque le souvenir de cette prospérité, de ce calme, de cette paix profonde qui régnait alors à Dar-es-Salam, à Saâdani, à Bagamoyo; quand je me rappelle la joie avec laquelle nous venions nous y reposer, au terme de nos longues explorations dans l'intérieur, vraiment je ne puis m'empêcher de maudire la néfaste influence des Allemands qui, à l'instar des vautours, se sont abattus sur cette côte en 1885.
C'était le lendemain de la conférence de Berlin. Les canons muets d'une escadre cuirassée, embossée en face du palais du Sultan, du regetté Bargash-Ben-Saïd, firent passer l'autorité morale de ce prince sous protectorat allemand; en même temps, une société coloniale allemande s'établissait dans l'Ousagara avec un tel accompagnement de chartes et de privilèges octroyés par l'Empire, qu'aucun doute ne pouvait subsister sur le but réel de cette tentative mercantile: c'était le premier acte d'une prise de possession effective.
Si les Allemands avaient, au préalable, étudié avec soin la côte et mieux connus les naturels, je doute toutefois qu'ils se fussent engagés de la sorte dans une aventure qui pourra avoir quelque jour une issue fatale pour eux.
En ce moment que leurs canons sèment la désolation dans ces régions et y détruisent en quelques heures ce qui a demandé de longues années de labeur, portons nos regards là-bas, au Zanguébar, et voyons donc ce qu'était ce coin de littoral africain si rudement secoué aujourd'hui.



Saâdani était un excellent point de départ pour les expéditions qui, se portant au nord, voulaient éviter le Makata, dont les débordements forment un vaste marécage, à quelques jours de marche de la côte; Dar-es-Salam était surtout apprécié pour la baie profonde qui rendait ce point accessible aux navires; mais, bien que pourvus tous les deux de ce qui est nécessaire aux expéditions européennes, ni Saâdani, ni Dar-es-Salam ne pouvaient rivaliser avec Bagamoyo, la perle du littoral.
Bagamoyo renfermait pour nous deux éléments précieux qui, bien qu'opposés à première vue, vivaient cependant en parfaite intelligence: les Arabes trafiquants et les missionnaires français du Saint-Esprit. C'étaient, d'ailleurs, les pouvoirs prépondérants de la localité.
A côté de leur commerce d'ivoire, les Arabes s'occupaient tout particulièrement des expéditions européennes en partance pour l'intérieur: elles se pourvoyaient auprès d'eux de mille choses indispensables et notamment des marchandises d'échange; elles enrolaient sous leur couvert, des porteurs en pagazis qui leur étaient nécessaires; quand elles avaient à résider plusieurs années dans l'intérieur, c'est aux Arabes de Bagayomo qu'elles s'adressaient pour recevoir leurs ravitaillements, c'est à eux aussi que nous dépêchions nos courriers quand nous étions au centre le l'Afrique: Bagamoyo était pour nous un lieu providentiel, sorte de trait d'union entre la sauvagerie et la mère patrie.
Et ce n'était pas un mince labeur que d'organiser ces services ! On y était arrivé cependant; et déjà, en 1880, les expéditions européennes parvenaient à s'équiper, à se pourvoir de marchandises, de vivres de d'hommes en un mois ou six semaines, alors que six à huit ans auparavant, Stanley et Cameron notamment avaient consacré à cette préparation plus de six mois.
Je me hâte dire qu'à côté des Arabes dignes d'estime que possédait Bagamoyo, tel que: Sewa, Hamed, Saive-ben-Selima, les missionnaires français du Saint-Esprit offraient aux voyageurs européens un appui des plus précieux.
Il y aurait un volume entier à écrire sur les travaux magnifiques que les missionnaires français ont édifiés à Bagamoyo: j'en suis resté émerveillé, et je dois déclarer n'avoir rien vu de semblable, ni même d'approchant dans mes divers voyages en Afrique. Ils ont réellement fait grand, et c'est avec étonnement et respect que j'ai salué leur oeuvre.
La mission formait toute une série de constructions très belles, fort bien emménagées, habitations, église, asile, écoles pour les enfants du pays; là, toute une génération de petits noirs étudiait, priait Dieu, se civilisait, s'élevait à la hauteur d'hommes libres. C'était de véritables pensionnats, avec classes, dortoirs, réfectoires et cours de récréation; puis des ateliers où le nègre apprenait à devenir charpentier, maçon, forgeron habile, tailleur ou cordonnier, pépinières d'où sortaient de précieux auxiliaires pour les expéditions appelées à affronter l'intérieur du continent.
Plus loin on trouvait les établissements des soeurs. Je regrette de n'avoir pas sous ma plume le nom de la supérieure que j'y ai vue en 1880, une héroïne qui déjà avait parcouru le Sénégal et le Gabon, semant partout sur sa route la charité, arrachant des centaines de pauvres créatures à la misère, à l'esclavage, accomplissant, en un mot, dans le silence et l'obscurité, une de ces oeuvres admirables dont l'humanité devrait perpétuer le souvenir sur le bronze et le marbre, car elles sont l'honneur de notre siècle.
Ces missions françaises formaient en outre, toute une colonie agricole: les cultures y avaient été entreprises et menées avec un soin tout particulier; les plantations de cocotiers dont le rendement est si fructueux, s'y trouvaient à l'état de forêts, le caféier, le cannellier, le giroflier y donnaient de superbes résultats et l'acclimatation des fruits et légumes d'Europe y était conduite de la plus intelligente façon.
Aujourd'hui, sous prétexte de châtier les indigènes qui, certainement, ne se trouvaient pas à Bagamoyo, le canon brutal des Allemands a passé sur tout cela, et, de ces oeuvres qui ont exigé trente ans de labeur, il ne reste que des ruines fumantes; quant à l'action moralisatrice des blancs sur les naturels, elle est à jamais perdue.
Enfonçons-nous à présent dans l'intérieur, toujours dans la zone désolée par les incursions intempestives des Allemands.
Le pays qui longe la côte, l'Ousicoua, est merveilleusement fécond; le gibier y abonde: cerfs, girafes, buffles, zébres, sangliers vagabondent de tous côtés, et le sentier révèle le passage d'éléphants et de rhinocéros dont les trois sabots courts et arrondis laissent sur le sol une empreinte bien caractéristique; les villages y sont populeux, et la terre, arrosée par le Vouami, donne d'abondantes récoltes.
Et d'étapes en étapes, on arrive à l'Ousagara, qui, depuis 1885, était le quartier général de la Compagnie Allemande de l'Afrique orientale.
Quelle splendide contrée, l'Oussagara ! Quand je la traversai, en 1880, ce fut un émerveillement à chaque pas. Ce massif montagneux appartient à la grande chaîne qui forme le bourrelet oriental du plateau de l'Afrique centrale, dont la conformation est assez semblable à une assiette renversée: une forte dépression à sa partie septentrionale a donné naissance à la région des Grands Lacs, et les eaux se sont ensuite frayé un passage à travers leurs barages naturels, creusant ainsi les grandes voies du Nil au nord, du Congo à l'ouest, de la Revourna à l'est. Les monts Ousagara sont, en somme, un anneau de cette ceinture qui, à sa partie orientale, se rattache au Kilima-Njaro, au Kenya, au Madi du nord et peut être au Lokinnga du sud en s'y réunissant par le konndi du Nyassa. Les naturels, les Vousagara, constituent une belle race, d'aspects divers toutefois, car la nuance même de leur peau varie du noir au brun clair, sans qu'il soit besoin de quitter un même district; beaucoup d'entre eux ont adopté l'ancienne coiffure des Egyptiens, les cheveux partagés en une multitude de torsades chenillées, composées chacune de deux mèches tressées; cet arrangement capillaire leur fait sur la tête une sorte de calotte qui couvre tout le front et descend sur le cou.
Leur vêtement préféré est une cotonnade bleue, kaniki, qu'ils s'attachent sur l'épaule en guise de manteaux soit à l'aide d'une corde, soit en nouant simplement les deux bouts; ils se drapent la dedans avec une mâle prestance qui fait ressortir mieux encore la vigueur de leurs membres.
Pour tout costume, les femmes n'ont qu'un étroit fourreau d'écorce fait des fibres du datier sauvage ou du baobab, et qui va des reins jusqu'à mi-cuisses: c'est une sorte de jupon ou kilt écossais.
Comme marques nationales, les Vouasagara se font des incisions entre le sourcil et l'oreille, et quelques-uns aussi, du côté de la rivière Moukondocoua, se liment les dents en pointe.
Elle est superbe, cette vallée du Moukondocoua: c'est l'image du paradis terrestre. cette grosse rivière serpente au milieu d'un pays enchanteur, roulant ses flots tumultueux tantôt entre des rives resserrées que bordent de hautes et vertes montagnes, tantôt au milieu de vastes plaines où elle atteint une largeur imposante. Partout, c'est la fraicheur, la vie et la fertilité qu'elle draine avec elle; étagés sur les rampes, pendent de jolis villages et d'immense forêts, et, se mirant au bord de l'eau, croissent des bouquets de palmiers nains, des bois mystérieux, des ricins énormes, toute une végétation grasse et luxuriante. Autour de soi, comme balancée par quelque éventail aérien, une brise délicieuse s'épanche en onde embaumée. En bas, la vie déborde, la sève se répand à flots; en haut, le ciel est d'une sérénité parfaite, d'un bleu net, transparent, que rayent matin et soir, des lignes éblouissantes de pourpre er d'or.
Ironie du sort ! C'est la France qui, la première s'est établie dans cette verdoyante contrée, en 1879-1880. A cette époque, revenant de mon voyage de Zanzibar à la région des Grands- Lacs, je passai à la station française de Condoa, ou mieux de Kwa-Mgoungou, que le brave capitaine Bloyet était en train d'élever en plein coeur de l'Ousagara.
Bloyet avait été durement secoué par les fièvres en traversant la Makata, et il eut à subir plus d'un mécompte en arrivant à Condoa: mis en défiance par les ennuis que leur causaient les Anglais de Mpwapwa, les autorités arabes refusèrent tout d'abord au voyageur français la permission de s'établir dans le pays. Mais sa persévérance finit par triompher de ce mauvais vouloir, et, grâce à l'appui du chef indigène, Bloyet parvint à amener un virement dans l'esprit des Arabes qui lui accordèrent enfin les concessions qu'il ambitionnait.
Quand je fus à la station française, en 1880, les travaux étaient à peine commencés depuis deux mois, et pourtant le terrain se trouvait déjà déblayé, les madriers étaient coupés, et, sur les quinze mille briques nécessaires, les deux tiers étaient là qui grillaient au soleil. Or, pour qui connait l'indolence du nègre, pareil résultat est surprenant et fait le plus grand honneur au courage et à l'activité de Bloyet.
C'était bien là d'abord qu'il fallait à pareille entreprise: ancien capitaine au long cours, Bloyet était instruit, énergique, intelligent et travailleur; nul mieux que lui sut jamais se débrouiller; d'une activité peu commune, il électrisait ses hommes et en obtenait le summum de ce que peut donner un noir. Doué d'un esprit pratique et clairvoyant, il distinguait nettement son but, mesurait ses moyens d'actions et, faisant à l'avance la part des mauvaises chances, il piochait son idée avec une ténacité qui lui en garantissait le triomphe.
Bloyet demeura quatre années dans cette station française qu'il avait fondé et où il avait même amené sa jeune femme. Hélas, en 1885, la politique voulut que la France abandonnât la côte orientale d'Afrique, et ce beau pays d'Ousagara, tout préparé pour la récolte, tomba sous le joug des Allemands.
Trois ans de cette domination ont suffit pour que l'indigène révolté en arrivât à se soulever contre un mode de colonisation empreint de violence et de cupidité. Les détails qui parviennent chaque jour sur les agissements de la Compagnie allemande sont une honte pour l'Europe civilisée: dans ce pays de l'Ousagara, où, jusqu'alors le blanc avait laissé une réputation de justice et de douceur, le nègre fut traité avec la dernière violence par les agents allemands; il s'aperçut que ce n'était pas seulement le négrier arabe qui se sert du fouet pour conduire le malheureux Africain; bien plus, sous prétexte de ne pas froisser les Musulmans, mais, en réalité, pour des motifs inavouables, la traite des esclaves refleurit de plus belle dans l'Ousagara, à l'ombre même du drapeau allemand: les documents officiels sont là qui le prouvent.
Alors l'Ousagara s'est révolté contre ces blancs indignes; il a chassé l'Allemand, il l'a refoulé à la côte, l'a culbuté dans la mer...
Pauvre Africain ! son mâle désespoir, on l'appelle révolte! et c'est pour le punir d'avoir voulu se montrer homme qu'aujourd'hui les canons de l'escadre allemande incendient le littoral de Zanguébar, anéantissant pour longtemps les germes de civilisation que nos efforts et nos voyages avaient semés là-bas.

                                                                                                                 Adolphe Burdo.

Journal des voyages, dimanche 24 février 1889.

jeudi 19 septembre 2013

L'arbre du turco.

L'arbre du turco.

Un arbre célèbre dans toute la Basse-Alsace vient de disparaître. C'était un noyer énorme, haut de vingt-cinq mètres, qui avait été planté en 1746, tout proche de Landau, à Wissembourg.
Cet arbre a une histoire. Le 4 août 1870, le jour du combat de Wissembourg, notre première défaite, au moment où les Allemands s'approchaient peu à peu de la ville, un turco se posta derrière le noyer d'où, pendant une bonne demi-heure, il ne cessa de tirailler. A chaque coup de fusil, un ennemi tombait. Etonnée tout d'abord, la troupe allemande s'arrête; mais bientôt, elle aperçoit le petit turco qui venait de lui abattre une douzaine d'hommes. Elle se jette sur lui et le tue à coups de sabre.
Détail touchant, depuis cette époque, un inconnu, chaque année, le 4 août, fixait sur le noyer alsacien une petite couronne de fleurs à la mémoire du vaillant turco.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1e mars 1903.

La première académicienne.

La première académicienne.

La première académie en France qui ait reçu une femme parmi ses membres, est celle d'Arles.
Cette première académicienne, plus célèbre que tous les académiciens arlésiens ses confrères, était Mme Deshoulières. C'est pour elle, dit le Dictionnaire de Trévoux, que fut crée le féminin du mot académicien.
Plusieurs autres académies de province ont suivi cet exemple dans la seconde moitié du dix-huitième siècle.
Mais la ville d'Arles eut encore ceci de particulier, qu'elle posséda au dix-huitième siècle une académie de femmes nobles dans laquelle on traitait des questions de sentiments et de galanterie, comme dans certains cours du moyen âge.
On a la liste des ouvrages de l'Académie des dames et les questions qu'on y traitait. Voici quelques uns des titres avec le nom des auteurs: le Procés entre les lys et les roses, terminé à l'amiable en faveur du plus beau des teints, par Mme de Nicolay; Principes de l'art de plaire surpris entre les mains de la belle nature, par Mme de Guillem; l'Air d'une aimable décence, etc...par Mlle de Giraud; l'Art de mériter tout sans prétendre à rien, par Mme de Léotaud, etc.
Les satires et les épigrammes n'ont pas épargné ces académiciennes, qui étaient toutes des nobles, à en juger par leurs noms, comme les académiciens qui les avaient précédées.

Magasin pittoresque, 1879.

Du service des vidanges.

Du service des vidanges.

Art. 310. - Il ne sera permis de procéder à la vidange des fosses d'aisances, qu'à l'aide de tonneaux parfaitement bouchés et étanches, de manière à ce que ce travail n'incommode pas les habitants et que les matières contenues dans les tonneaux ne puissent se répandre sur la voie publique.

Art. 311. - Les voitures chargées de vidanges ne pourront en aucun cas stationner sur la voie publique et les fosses devront être vidées sans interruption dans ce travail.

Art. 312.- Les emplacements et fosses où le travail des vidanges aura lieu, devront être soigneusement lavés et désinfectés au chlorure de chaux.

Art. 313.- Il est formellement interdit aux vidangeurs ou voituriers, charretiers de cette profession, de s'arrêter en cours de route avec leurs voitures, tonneaux ou appareils quelconques servant à la vidange et notamment devant les cabarets.

Art. 314. - Il est expressement aux ouvriers chargés de la vidange, de se rendre ou de se présenter au travail en état d'ivresse.

......

Code annoté de Police Municipale, 1900.

Le roi des mendiants.

Le roi des mendiants.

Il existe réellement un roi des mendiants, à qui son titre confère des fonctions bien déterminées. Ce roi est un Chinois, et sa capitale est Pékin. Il est élu (chose curieuse) au suffrage universel par les mendiants de la ville. Il doit être marié, car en même temps qu'un roi, il faut une reine. Le roi traite et discute pour la corporation avec les autorités politiques et policières de Pékin. En effet, l'organisation des mendiants est reconnue; songez, du reste, que les mendiants sont, à Pékin, au nombre de cent à cent cinquante mille et forment un sixième de la population. Ils ont un tarif de mendicité et mettent la ville en coupe réglée. Si un habitant ne veut pas payer le tarif, le mendiant reste obstinément devant sa porte, et il revient le lendemain avec une armée de mendiants syndiqués. Force est bien de s'exécuter. Pour simplifier, il y a des gens, des commerçants par exemple, qui paient à l'année. Le roi leur signe alors un reçu sur papier jaune. "Nos frères sont priés de ne pas causer d'ennui à cette maison", y est-il dit. Si un mendiant se présente, il n'y a qu'à exhiber le reçu et il se retire.
Les mendiants de Pékin sont des types curieux. Ils vivent en commun et se ressemblent tous. Ils ont le visage velu et terreux; ils ne portent pas la queue sur le dos comme les autres Chinois; la justice la leur fait couper. Ils ont généralement peu ou point de vêtements, mais portent toujours des sandales, ils aiment le jeu, particulièrement les dès et les dominos. On en rencontre souvent une file de douze à quinze, la main gauche de chacun posée sur l'épaule droite de celui qui le précède. Ce sont les mendiants aveugles; il y en a beaucoup. Deux fois par an, il y a ce qu'on appelle le "jour des mendiants". Ce jour-là, les mendiants peuvent prendre impunément à la porte des boutiques une poignée de riz. Le roi a sa liste civile et s'abstient de mendier.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 février 1903.

Les morceaux du diable.

Les morceaux du diable.

Voici une légende plus connue à l'étranger qu'en France:
Quand le diable fut précipité du ciel, il tomba sur la terre et se brisa en morceaux.
Sa tête roula en Espagne, et voilà pourquoi les Espagnols sont si fiers;
Ses mains tombèrent en Turquie, et voilà pourquoi les Turcs sont si rapaces;
Son coeur glissa en Italie, et voilà pourquoi les Italiens sont si amoureux;
Son ventre alla en Allemagne, et voilà pourquoi les Allemands sont si gourmands;
Ses pieds restèrent en France, et voilà pourquoi les Français sont si coureurs.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 février 1903.

Un institut pour nourrices.

Un institut pour nourrices.

Gens pratiques par excellence, les Américains ont créé quelques Ecoles de nourrices dont la plus célèbre est celle de Boston. Dans ces Universités spéciales, les candidates au brevet de "remplaçante" sont instruites sur tout ce qui concerne leur future vocation. Règles d'hygiène, soins à donner aux nouveaux-nés et aux enfants du premier âge, conseil sur la préparation des aliments accessoires ou des petits remèdes préventifs, tout est passé en revue, enseigné par des médecins expérimentés, et les élèves ayant subi avec succès l'examen de sortie reçoivent un diplome et sont très recherchées par les familles américaines.
Bon exemple à imiter.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 février 1903.

Assassinats aux Nouvelles Hébrides.

Assassinats aux Nouvelles Hébrides.

A la suite d'assassinats commis par les indigènes de Paama et de Pentecott (Nouvelles-Hébrides), les commandants du croiseur français le Fabert et de la corvette anglaise l'Opal, ont, conformément aux stipulations à la convention des Nouvelles-Hébrides de 1887, décidé d'exercer une action commune et d'infliger une sévère leçon aux localités ci-dessus.
Ces villages ont été bombardés, puis des détachements des deux navires sont descendus à terre et ont constaté que tous les sauvages avaient pris la fuite.
Voici l'un des fait qui ont amené cette répression: un colon de nationalité suédoise, M. Gustave Coster, établi à Api, dans la baie de Tantari, revenait dans une embarcation de la baie Quaié. Il avait avec lui deux indigènes. Un coup de vent les ayant fait chavirer, ils se mirent à la nage et furent entraînés par les courants sur la côte sud de Paama. Là, les indigènes de la tribu de Pulouï se jetèrent sur eux et les massacrèrent; puis ils arrachèrent le coeur et le foie de leurs victimes et en firent un horrible festin.

Journal des Voyages, dimanche 3 mars 1889.

Chronique de l'émigration.

Cochinchine.

Les statistiques de l'immigration constatent que, du 1e janvier au 30 novembre de l'année 1888, il est entré en Cochinchine 5.095 Asiatiques étrangers de plus qu'il n'est est sorti. La plupart sont des Chinois; les Malais et les Indiens sont relativement très peu nombreux.
Les bras sont ce qui manque le plus en Cochinchine et puisque la population est trop dense dans le delta du Tonkin, que ne cherche-t-on à provoquer un mouvement d'immigration des Tonkinois ? Ne serait-ce pas un excellent moyen de combattre le recrutement des bandes de pirates que de fournir par des concessions de terres facilement cultivables en Cochinchine des moyens d'existence à tous les pauvres diables d'Annamites que la misère seule pousse au brigandage ?
Quelques esprits entreprenants, comprenant tout le parti qu'on peut tirer pour le développement de la colonie de l'utilisation intelligente de l'immigration asiatique, sollicitent en ce moment même la concession d'une des plus grandes îles du Mékong située à la frontière du Cambodge et du Laos inférieur, et dont ils veulent faire un centre important de production en même temps qu'un grand entrepot commercial.
C'est sur l'île de Logneu, qui est actuellement inhabitée, qu'ils ont porté leurs vues. Elle a environ quarante-cinq kilomètres de longueur. Ses rives, régulièrement inondées par les crues annuelles du fleuve qui les fertilisent, sont propres à la culture du café, du poivre et du cacao. Enfin, Logneu contient d'immenses plaines où l'on pourrait se livrer à l'élevage du bétail, pour lequel la Cochinchine et le Cambodge sont, à l'heure actuelle, tributaires du Siam.
Les promoteurs de l'entreprise ont l'intention, si la concession leur est accordée, de peupler Ca-Logneu de travailleurs chinois dont ils encourageraient le mariage avec les femmes cambodgiennes.
Ils y installeront des comptoirs d'importation de produits français, et leurs agents auront pour principale mission de faire le possible pour attirer à Ca-Logneu, dont la situation au point de vue commercial est bien choisie, toutes les marchandises du Laos qui sont actuellement dirigée sur Bangkok par la voie de terre au grand profit du commerce anglais. C'est un moyen de lutter contre la prépondérance que l'Angleterre cherche à conquérir dans la vallée du Mékong.

Journal des Voyages, dimanche 3 mars 1889.

mercredi 18 septembre 2013

Coutumes et traditions.

La promenade du boeuf gras.

Parmi les fêtes qui semblent des legs du paganisme, il faut mettre en première ligne "la promenade du boeuf gras", regrettée par un certain nombre de Parisiens, et qui avait lieu, autrefois, dans la plupart des provinces, sous le nom de " promenade du boeuf viellé ou violé, ou villé"; sans doute parce que l'animal était promené par la ville au son des violons et des vielles.
D'où venait cet usage bizarre ? Nos ancêtres adoraient le taureau zodiacal, disent les savants, qui en trouvent la preuve dans un monument découvert à Notre-Dame de Paris et dont les bas-reliefs représentaient, parmi les divinités gauloises et romaines, ce taureau revêtu de l'étole sacrée et surmonté de trois grues, oiseaux de bon augure.
Quelques chercheurs d'étymologie confirment cette origine, en remontant jusqu'aux Egyptiens qui avaient institué une fête du "boeuf", pour rappeler les services rendus par la race bovine à l'agriculture.
De l'Egypte, la fête du "boeuf" passa en Grèce et en Italie et se célébra précisément à l'équinoxe du printemps, à l'entrée du soleil dans le signe du Taureau. Elle ne tarda pas, d'ailleurs, a perdre son caractère sacré, et, sous Charles V, elle était déjà devenue un divertissement avant de dégénérer en parade carnavalesque. Au XVe siècle, lorsqu'on eut rétabli la grande boucherie de l'Apport-Paris (emplacement des boucheries hors la ville), les maîtres bouchers commencèrent à fournir le boeuf destiné à être promené en ville.
Nous croyons qu'il faut voir dans le boeuf gras le symbole du carnaval, temps où triomphe la boucherie. La mort de ce boeuf, tué la veille du mercredi des Cendres, ne se rapportait-elle pas bien à la fin des "jours gras" auxquels allait succéder le Carême, autrefois si rigoureux que toutes les boucheries étaient fermées. N'est-il pas vraisemblable que les garçons bouchers aient célébré la fête de leur confrèrie ? D'autre part, les bouchers de Paris, qui avaient eu de nombreux procès avec les bouchers des Templiers, ne pouvaient-ils pas témoigner leur reconnaissance, pour les privilèges qu'on leur avait accordés en dédommagement, par des réjouissances publiques qui se sont perpétuées jusqu'à nous ?
En tout cas, voici d'après un contemporain, comment avait lieu cette promenade il y a 150 ans:
"Les garçons de la boucherie de l'Apport-Paris n'attendirent pas en cette année le jour ordinaire (le jeudi qui précède le dernier jour du carnaval, ou jeudi gras), pour faire la cérémonie du boeuf gras. Le mercredi matin, ils promenèrent par la ville un boeuf qui avait sur la tête, au lieu d'aigrette, une grosse branche de laurier-cerise; il était couvert d'un tapis qui lui servait de housse." Ce boeuf était paré comme les victimes préparées pour les sacrifices romains. Il portait sur son dos un enfant, ayant un ruban bleu en écharpe et portant d'une main une épée nue et de l'autre un sceptre doré. Cet enfant, appelé "le roi des bouchers", était escorté par une quinzaine de garçons bouchers, vêtus de corsets rouges à retroussis blancs, coiffés de turbans ou de toques. Cette mascarade était précédée de fifres, de violons et de tambours. "Ils parcoururent dans cet équipage plusieurs quartiers de la ville, se rendirent aux maisons des divers magistrats, et, ne trouvant pas chez lui le premier président du Parlement, ils se décidèrent à faire monter dans la grande salle du palais, par l'escalier de la Sainte-Chapelle, le boeuf gras et son escorte. Et, après s'être présentés au président, ils promenèrent le pauvre animal au milieu des procureurs et des avocats, dans diverses salles du palais, et le firent descendre par l'escalier de la cour, du côté de la place Dauphine."
Le lendemain, la même cérémonie se renouvela; les bouchers des autres quartiers de Paris promenèrent aussi leur "boeuf gras", sans toutefois lui faire parcourir les salles du Palais.
Violons, fifres et tambours allaient successivement aux logis des prévots, échevins, présidents et conseillers; partout le triomphateur fut le bienvenu et les gardes du corps furent largement payés.
Cette fête cessa pendant la Révolution; sous le premier Empire, par ordonnance, elle fut rétablie, mais longtemps la police seule en fit les frais. Le "roi des bouchers" s'était métamorphosé en Amour; il avait échangé son sceptre et son épée contre un flambeau et un carquois: les friperies mythologiques étaient exhumées avec les pompes césariennes. Après la mort de plusieurs enfants, frappés de congestion pulmonaire, on supprima "le roi du boeuf gras", et on le relégua dans un char olympique à la fin du cortège.
Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, le boeuf se promenait annuellement, le dimanche et le mardi gras, dans les rues de Paris, précédé de la cour de Jupiter, fanée et crottée, à cheval et en voiture, et allait rendre visite aux pairs, aux députés et aux fonctionnaires.
Il disparut en 1848 ou 1849. L'année suivante, le préfet de la Seine voulut bien autoriser la promenade traditionnelle, mais il refusa la subvention accordée par l'Administration municipale. Aucun boucher de Paris ne voulut acheter le boeuf gras et un boucher de la banlieue se rendit acquéreur du lauréat "César", qui fit les délices de la population suburbaine. Le cortège n'en fut pas moins magnifique, et Paris, piqué de jalousie, repromena sur ses boulevards le boeuf gras dont il avait été privé pendant trois ans.
Dès 1855, les grands personnages visités par les "triomphateurs" carnavalesques rivalisèrent de générosité et leurs dons dépassèrent les subventions accordées avant la révolution de Février aux entrepreneurs de cette parade annuelle. Le "boeuf gras" prit chaque année le nom de l'événement le plus saillant en politique ou en littérature: Le Juif-errant, le Père Goriot, Monte-Cristo, Tour, Faust, Solférino, Magenta, etc...Il a disparu avec l'effondrement du second Empire et les désastres de la guerre franco-allemande.
L'un des derniers héros du mardi gras fut le boeuf "La Lune", qui avait emprunté son nom, si nos souvenirs sont fidèles, à la revue populaire illustrée par Gill. Le collier qui ornait ce magnifique produit de l'espèce bovine, pendant sa promenade triomphale, eut une singulière destinée comme nous allons le voir.
Un de nos plus intrépides explorateurs, M. Achille Raffray avait été chargé par le ministre de l'instruction publique d'une mission scientifique dans l'Afrique australe. Il avait parcouru les hauts plateaux de l'Hamacent, les plaines de Tembiene, les montagnes des Agros et les rives du Nil Bleu, et il allait prendre congé du Négus Jean, ou Johannés, qui lui avait fait un accueil cordial.
Un jour, notre voyageur reçut la visite très intéressée de l'orfèvre du souverain abyssin, qui lui apportait une de ces épingles en vermeil que les chefs noirs piquent dans leurs cheveux.
M. Raffray lui donna un tablier, puis cherchant parmi ses bibelots quelque objet de fabrication européenne, il se rappela avoir conservé quelques bijoux parisiens.
Lors de son départ de France, son ami Deyrolle lui avait donné un grand collier en cuivre doré et en verre du plus splendide effet. Ce collier de clinquant était celui que Deyrolle avait enroulé autour du cou du célèbre boeuf gras La Lune, après avoir empaillé le monstrueux ruminant pour le faire figurer à l'Exposition universelle. En le remettant à M. Raffray, avait souhaité à son ami "qu'un souverain africain se montrât heureux de l'échanger contre un diamant brut." Le voyageur avait accepté, en souriant, mais sans grand espoir de voir ce souhait se réaliser.
La visite de l'orfèvre du Négus, après l'avoir mis un moment dans l'embarras, lui fit presqu'aussitôt songer au fameux collier: c'était le vrai cadeau à faire à ce haut fonctionnaire "de la couronne". M.Raffray donna donc avec empressement une agrafe de l'ornement de "la Lune".
L'orfèvre partit enchanté. Une demie heure après, M. Raffrey le vit revenir, apportant une seconde épingle, plus belle que la première:
- Veux-tu, dit-il, m'échanger cette épingle contre un autre de tes bijoux ?
Notre compatriote se fit un peu prier, assurant qu'il ne lui restait plus guère d'objets de valeur; puis, il donna une seconde agrafe à l'orfèvre, se demandant si le voeu de M. Deyrolle n'allait pas se réaliser. Il n'en fut malheureusement rien; mais on peut juger de la surprise de M. Raffray lorsque, dans une nouvelle visite au roi Jean, il vit ses deux agrafes orner le cou du souverain africain, comme si elles avaient appartenu au collier de la Toison d'Or. Le voyageur eut toutes les peines du monde à conserver sa gravité et son sang froid; car certes le rapprochement était au moins bizarre: le collier d'un "boeuf gras" de Paris devenu la parure de l'empereur d'Ethiopie, du Négus Négonschis, du roi des rois ! Un instant il songea à offrir au roi Jean le reste des agrafes, mais il n'osa pas; il eût fallut le faire avec un sérieux dont il ne se sentait pas capable.
Au sortir de l'entrevue royale, M. Raffray raconta l'histoire à son compagnon de voyage et tous les deux en rirent à gorge déployée; mais entre eux comme des augures: car il avait fait la chose bien innocemment et il ne fallait point la divulguer.
Les années ont passé sur ce joyeux incident de voyage et le Négus est un souverin trop civilisé pour avoir gardé rancune à notre compatriote: aussi n'avons-nous pas hésité à raconter le fait, d'après M. Raffray lui-même, qui ne peut y songer encore sans un sourire.

                                                                                                              M. Demays.

Journal des Voyages, dimanche 3 mars 1889.

Massacre en Afrique centrale.

Massacre en Afrique centrale.

On envoie de Zanzibar au Times des nouvelles de la révolution de l'Ouganda. Après avoir détrôné le roi M'Ouanga, les gardes du corps arabes élevèrent au trône Kiowa, le frère ainé de M'Ouanga.
Kiowa ayant distribué les principales charges aux chrétiens, les Arabes se soulevèrent, massacrèrent un grand nombre des nouveaux fonctionnaires et donnèrent leur place à des musulmans. Ils allèrent ensuite attaquer et brûler toutes les missions anglaises et françaises et tuèrent beaucoup d'indigènes convertis.
Tous les missionnaires ont pu s'échapper et sont arrivés sains et saufs à Onsambiro, auprès de la mission dirigé par M. Mackay. Les missionnaires français ont fait preuve de la plus grande générosité et usé des procédés les plus amicaux à l'égard de leur confrères anglais.
Les Arabes ont adressé à M. Mackay une lettre insultante où ils exaltaient leur triomphe dans l'Ouganda et prédisent l'expulsion de tous les missionnaires de l'Afrique centrale, à titre de représailles contre la politique anglaise qui veut abolir la traite des esclaves. Ils déclarent enfin que l'Ouganda est devenu royaume musulman.
Le Times est d'avis que, dans l'état actuel des choses, on ne peut rien faire pour porter secours aux missionnaires qui se trouvent en danger dans l'intérieur des terres. Les événements du littoral suffisent à absorber toute la puissance d'action dont l'Angleterre et l'Allemagne sont capables.

Journal des Voyages, dimanche 24 février 1889.

Un aventurier.

L'ex-colonel Hova Duvergé.

Un de nos confrère annonce, d'après une lettre de Washington, que le gouvernement américain vient d'être informé par télégramme que M. Victor Stanwood, agent commercial des Etats-Unis à Andakobé (Madagascar), a été récemment tué d'un coup de feu par le capitaine Duvergé, commandant la goélette américaine Solitaire, que l'agent commercial venait de faire arrêter.
Ce Duvergé est l'aventurier dont la présence a été signalée ces derniers mois sur la côte de Madagascar, où il faisait du commerce à main armée.
Originaire de la Louisiane, dit Le Temps, il a servi dans l'armée malgache avec le grade de colonel, sous les ordres de l'ex-général Willoughby. D'après le Courrier des Etats-Unis, il a été consul des Etats-Unis. Il aurait servi en 1859, dans notre légion étrangère. Il paraîtrait qu'il existerait entre lui et M. Stanwood une vieille inimitié dont on trouve les traces dans un livre sur Madagascar publié par M. Duvergé. C'est de Boston que cet aventurier est parti avec la goélette Solitaire armée en guerre.
D'après d'autres renseignements, l'aventurier en question ne serait pas né à la Louisiane, mais bien à l'île Maurice où il aurait même occupé pendant quelque temps des fonctions dans l'administration coloniale anglaise.
Il avait précédemment, après avoir fait ses études en France, contracté un engagement, non pas dans la légion étrangère, mais dans un régiment de dragons, et c'est après sa libération qu'il était retourné à Maurice.

Journal des Voyages, dimanche 24 février 1889.

Ce qui plait aux dames.

Ce qui plait aux dames.

Le journal italien la Tribuna Illustrata n'est pas du tout de l'avis de Musset, et prétend qu'on peut bien dire tout haut ce qui rend les femmes contentes. A son avis, les femmes seraient avant tout passionnées pour les collections; mais, ce qui distinguerait les différents pays, ce serait le genre de collections qu'y font les femmes. Ainsi, les dames italiennes sont folles de bibelots artistiques et de livres romantiques; les Allemandes, de broderie et de mouchoirs brodés; les Anglaises, de cartes postales; les Françaises, de lettres d'amour, et les Américaines, de diamants.
La démonstration est surtout facile pour celles de ces dernières qui sont femmes de milliardaires.
Mme Astor a un collier qui vaut 600.000 francs; il est incrusté de splendides brillants de l'Inde, larges d'un pouce. Son écrin vaut 3.700.000 francs.
Mme Olivier Belmont possède le fameux collier de perles qui appartint à Marie-Antoinette; on l'estime au minimum à 900.000 francs. Mme Gould porte une rivière de diamants de 675.000 francs et Mme Frédéric Gebbart peut se vanter d'en avoir un de même valeur exactement.
Mme Sloane doit être fière, la sienne a coûté 850.000 francs! Mais toutes doivent céder le pas à Mme Bradly Martin: elle tient le record des colliers de perles, le sien valant 1.750.000 francs !
Et dire qu'on peut être malheureux avec des bijoux payés si cher ! Mme Anny Withney a bien une rivière de 450.000 francs; mais comment voulez-vous qu'elle puisse dormir ? sa cousine en a une de 825.000 francs !

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 février 1903.

Un peuple qui ne boit pas de lait.

Un peuple qui ne boit pas de lait.



Les vaches sont à peu près inconnues aux Japonais; aussi les familles Chrysanthèmes ne boivent-elles point de lait, d'autant moins que la religion interdit en partie la consommation de produits animaux. Et cependant, le Japonais mange des oeufs, chasse le gibier, se livre à la pèche, etc, d'où une série d'exceptions aux règles de ce culte antique et bizarre.
Les Japonais ne boivent donc pas de lait ?
Mais si, ils en boivent; seulement c'est du lait maternel. Dans les campagnes, on allaitent les petits Japonais jusqu'à l'àge de 5 ou 6 ans, tout en leur donnant, dès la deuxième année, une nourriture plus substantielle. Mais le Japonais ignore le beurre, la crème, le fromage, le vin et les alcools. Et cependant la fâcheuse tuberculose sévit dans toutes les classes de la société, comme chez les autres peuples.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 février 1903.

mardi 17 septembre 2013

Le domaine colonial de la France.

Sous ce titre, nous avons publié une statistique des colonies dans notre numéro du 3 février. Nous avons remarqué une lacune que nous venons combler au sujet de la Guyane française. Cette colonie dont la population atteint 26.905 habitants et dont la superficie égale au moins 121.000 mètres carrés, représente environ la contenance de 20 départements moyens.

Journal des Voyages, dimanche 24 février 1889.

Nouvelles de nos colonies.

La fête du Bain à Tananarive.

La célébration de la fête du Bain a lieu le 22 novembre avec le cérémonial accoutumé. Les représentants des puissances étrangères et leurs nationaux y assistaient. Sa Majesté, simplement drapée dans un lamba rouge, était assise sur le trône, un jeune prince de la famille royale à ses pieds. Le siège du premier ministre était à droite.
A gauche, sur un coussin de velours rouge, la couronne royale, puis les princesses et plusieurs personnages, assis à terre selon la coutume. Plus loin, à droite, les représentants des différentes castes de la noblesse et des six divisions de l'Imerina.
Les Européens ont pris place en face du trône; seul M. Le Myre de Vilers avait un siège. Derrière eux, les dames de la cour, les officiers malgaches et les choeurs royaux. Dans une enceinte réservée était la baignoire traditionnelle.
Voici comment le Progrès de l'Imna, le journal français de Tananarive, raconte cette intéressante cérémonie:
" Le ministre de la guerre, Rainilaiarivony, fit présenter les armes en l'honneur de Sa Majesté, et aussitôt après, commençe le défilé des gens qui portaient l'eau et les différents objets nécessaires pour le bain ainsi que le bois. On alluma le feu dans l'espace réservé à cet effet.
"Dès que l'eau fut suffisamment chaude, la reine descendit de son trône et alla se placer à gauche. On fit une prière, on chanta un cantique, puis Sa Majesté pénétra dans l'enceinte réservée pour le bain qui était entourée de rideaux. Une salve d'artillerie annonça alors au peuple que la souveraine accomplissait la partie la plus importante de la cérémonie.
" Au bout d'un quart d'heure environ, la reine sortit vêtue d'une robe écarlate ornée de dentelles, coiffée de la couronne et ayant au cou un magnifique collier de diamants. Elle tenait dans la main gauche une corne de boeuf cerclée d'argent contenant de l'eau du bain. Accompagnée du premier ministre, elle alla jusqu'à la porte d'entrée en aspergeant l'assistance. Elle fut, à ce moment, saluée par l'artillerie de la ville et reprit ensuite sa place sur le trône.
"Les princes de la famille royale, les représentants des différentes castes de la noblesse, les ministres vinrent présenter le "hasina" à Sa Majesté, chacun en prononçant quelques paroles par lesquelles il présentait ses souhaits à la souveraine et appelait sur sa personne la bénédiction du ciel.
"Parlant au nom du peuple, de l'armée et en son nom propre, le premier ministre a dit en substance que tous étaient heureux que le " Fandroana" fût arrivé, qu'ils souhaitaient à Sa Majesté de vivre assez longtemps pour voir encore mille cérémonies semblables, qu'il suppliait Sa Majesté d'agréer ses voeux.
"Il ajouta que la reine pouvait avoir confiance dans ses sujets, que le dévouement de tous lui était acquis en toutes circonstances. Rainilaiarivony termina en constatant publiquement que les relations de Madagascar avec les nations étrangères étaient très cordiales et invita chacun à faire ses efforts, dans la mesure de ses moyens, pour les conserver telles. Puis, il appela également les bénédictions de Dieu sur Sa Majesté.
"Ce discours fut plusieurs fois interrompu par des applaudissements.
"La Reine répondit brièvement:
"- Puisque ce sont là vos paroles, je suis heureuse et j'ai confiance. Vivez, messieurs, et que Dieu vous bénisse.
"On servit alors le riz, le mil accompagné de morceaux de boeuf conservés depuis la dernière fête du Bain.
" Un prière et un cantique terminèrent la cérémonie, et les assistants se retirèent vers dix-heures et demie.
"Trois jours avant la fête, il est défendu de tuer des animaux de boucherie, mais dès que l'interdiction est levée, et on le fait le lendemain de la fête du bain, Tananarive se transforme en un véritable abattoir. On estime à quatre ou cinq mille boeufs le nombre de ces animaux mis à mort en une seule journée. Selon la coutume, les quartiers de boeuf s'échangent: on en offre aux parents et amis.
"Enfin, le fête se termine par des jeux et des danses nationales."

Journal des Voyages, dimanche 24 février 1889.

Les drames de la mer.

Conserves de chair humaine.

L'archipel de la "Terre-de-Feu" se compose d'un grand nombre d'îles et d'îlots, ainsi nommé à cause de l'épaisse fumée que les premiers explorateurs virent, de loin, s'élever des huttes indigènes. Situé au sud de l'Amérique,  cet immense archipel occupe un espace de 130 lieues de long sur 80 de large; il est borné au nord par le détroit de Magellan, à l'est par l'océan Atlantique, au sud par l'océan Austral, à l'ouest par la mer du Sud. Les plus importantes de ces îles sont: l'île Navarin, l'île des Etats, l'île Hosti, l'île Gordon, au sud; les îles Clarence, de Désolation, Dawson, à l'ouest; enfin la grande île de la Terre-de-Feu au nord et à l'est. La Terre-de-Feu est séparée de la Patagonie par le détroit de Magellan. Basses et marécageuses vers le nord, sur le littoral, les terres s'élèvent et portent des montagnes dont quelques-unes, comme le mont Sarmiento et le Darwin, ont plus de 2.000 mètres d'altitude. Des ruisseaux rapides, courts et sinueux, les arrosent; quelques-uns de ces cours d'eau ne trouvant pas d'issue vers la mer, forment des étangs ou lagunes, où croupit un liquide rougeâtre ou blanchâtre et désagréable au goût. Le climat est rigoureux; de mai à octobre, la neige recouvre le sol; d'octobre à janvier, les gelées blanches argentent les herbes des plaines que, de février à mai, le soleil brûle de ses rayons.
Dans les îles du nord, on ne rencontre guère que de rares buissons de cassis et d'arbustes maigres. L'herbe n'atteint jamais 25 centimètres de hauteur et le vent la déssèche avant qu'elle fleurisse. C'est la caricature des pampas et de la Patagonie. Au midi, au contraire, ce ne sont que "forêts vierges d'arbres séculaires et de jeunes taillis verdoyants, entrecoupées d'éclaircies formées par des fondrières, où les chevaux entrent jusqu'au poitrail." La faune est très pauvre en dehors du renard et du chien, elle ne renferme que le guanaco, de la taille d'un cerf, et des rats. En revanche, les oiseaux et les poissons sont innombrables.
L'île des Etats, séparée par le détroit Le Maire, de la terre méridionale du roi Charles, mesure 45 mètres de long à peine et n'offre qu'un sol aride et désolé.
Sur le rivage de l'île des Etats se dresse un phare entretenu pas la république Argentine et qu'un vapeur approvisionne tous les deux mois. L'année dernière, les employés de ce phare, en explorant "l'île des Etats" trouvèrent quatre barils semblables à ceux qu'on emploie ordinairement pour conserver la viande de boeuf. Une semblable découverte était bien faite pour surprendre les visiteurs; leur étonnement se changea en stupéfaction quand ils reconnurent que les tonnelets renfermaient des êtres humains dépecés.
Les habitants de la Terre-de-Feu paraissent, en effet, ignorer le cannibalisme qui a régné et règne encore chez tous les peuples barbares; on se souvient les festins horribles de Tantale et de Thyeste, de Polyphème et des Lestrygons, qui, au dire d'Homère, dévorèrent les compagnons d'Ulysse, sans parler des Scythes, des Germains, des Celtes, des Carthaginois et des Ethiopiens. Lors de la découverte de l'Amérique, on trouva l'antropophagie chez les Caraïbes, dans les Antilles et même dans les empires civilisées du Mexique et du Pérou, et elle sévit encore chez quelques tribus du centre de l'Afrique, dans les îles de la Sonde, dans la Nouvelle-Zélande et la Polynésie. Tandis que les animaux ne semblent manger leurs congénaires ou leurs petits que sous l'influence de la terreur ou du désespoir qu'on leur enlève, le vieux sauvage dit à son fils: "Mange-moi, plutôt que m'abandonner à nos ennemis; du moins que mon corps serve à te nourrir; tes entrailles me tiendrons lieu de tombeau !"
Mais si chez les Canapagnas, leur voisin du continent américain, l'antropophagie remplace pour ainsi dire l'inhumation et la sépulture, les Fuégiens n'ont point l'habitude de faire rôtir leurs morts et de les manger, et ils n'imitent point les Rhinderwas de l'Inde, qui mangent leurs parents atteints de maladie grave ou rendus infirmes par la vieillesse. Ils ne poussent pas le raffinement de la gourmandise et de la barbarie jusqu'à imiter les Romains du temps de Commode, que Galien nous représente comme se délectant de chair humaine, ou les Kanaks, qui affirmaient à notre cher ami Jules Garnier manger leurs ennemis, "parce que c'était beau et bon, aussi bon que porc et vache", et n'éprouver aucune répugnance à dévorer, cuits dans la terre avec des taros et des ignames, leurs propres pères accablés de vieillesse ou leurs enfants quand ils n'étaient pas bien conformes.
Les employés du phare s'expliquaient d'autant moins leur découverte que, si certaines tribus ont la déplorable habitude de manger leurs ennemis, les habitants de la petite île des Etats sont trop isolés pour être en guerre avec des peuplades antropophages qui leur aurait innoculé le cannibalisme.
Les débris de corps humains enfermés dans les barils appartenaient, d'ailleurs, à des Européens, et la façon dont ils avaient été dépecés et préparés révélait une main civilisée. On sait que les sauvages ne conservent que les têtes de leurs ennemis comme trophées de victoire, et il y avait là, sept cadavres entiers. C'était l'épilogue d'un drame horrible, unique dans les annales des naufrages célèbres, et qui vient d'être révélé par des marins anglais du Glenmore.
Ce navire était parti de Maryport en décembre 1887, faisant voile vers Buenos-Ayres avec un chargement de fer; surpris par une tempête, il fit naufrage, au mois d'avril dernier, dans le détroit compris entre l'île des Etats, Staten-Island, et la Terre-de-Feu.
L'équipage pu se sauver dans cette île, et, pendant de longs mois, ne vécut que de racines arrachées dans les crevasses remplies de neige, exténués de fatigue et de faim, jusqu'à ce qu'un vapeur allemand, passant dans ces parages, vint les rapatrier.
A leur retour à Liverpool, ces marins racontèrent l'épouvantable histoire que voici:
Dix-huits mois avant leur arrivée dans l'île des Etats, les équipages de deux navires naufragès étaient parvenus à y aborder, après mille dangers.
Après quelques semaines de séjour à travers ce territoire montagneux, aride, sans arbres et presque sans herbe, seize d'entre eux parvinrent jusqu'au phare, distant de 25 milles de l'endroit où ils s'étaient réfugiés tout d'abord. Interrogé par le gardien de phare, ils racontèrent que leurs compagnons étaient morts d'épuisement.
Le vapeur qui approvisionne le phare bimensuellement les amena ensuite à Buenos-Ayres.
Ce n'est que beaucoup plus tard, dans une exploration de l'endroit où avaient séjournés les naufragés, que les employés du phare rencontrèrent les barils, et que se rappelant certains détails du récit des marins, ils se convainquirent, après un examen approfondi des cadavres, que les seize survivants avaient tués leurs compagnons trop faibles pour se défendre, et s'étaient nourri de leurs restes, après les avoir préalablement salés et mis en reserve.



" J'excuse tous les coupables qui ont faim, disait Toussenel, parce que la première loi de tous les êtres est de vivre !" Des actes de sauvagerie aussi odieux n'en inspirent pas moins une horreur invincible, et c'est avec d'affreuses angoisses que nous lisons l'histoire d'Ugolin et celle des malheureux naufragés de la Méduse.
Unissons-nous donc aux journaux anglais pour réclamer l'intervention des gouvernements Européens pour qu'un dépot de provisions soit établi à Staten-Island; le plus proche est à l'île de Falk, à plus de 300 milles et le nombre de naufrage est considérable sur ce poinrt. En assurant le ravitaillement des malheureux équipages, on conjurera de pareils actes de barbarie et l'on aura bien mérié de l'humanité.

                                                                                                         F. de Cazane.

Journal des Voyages,dimanche 17 février 1889.

Un ministre des Finances ...bon poète.

Un ministre des Finances ... bon poète.

M. Rouvier, comme tous les nouveaux ministres, reçut, les premiers jours de son ministère, quantité de lettres de demandes d'emploi; parmi elles, il en distingua une.
Elle était en vers !
Voici la requète du solliciteur du ministre des Finances:

                                           Dépourvu de talents, peut être de vertus,
                                           J'ose pourtant vous rendre hommage
                                           Et vous prier, en sublime langage,
                                           De me conduire au temple de Plutus,
                                           Ou, pour parler sans métaphore
                                           Dans un emploi de vouloir m'installer.
                                           Je ne sais rien qu'écrire et calculer;
                                           L'art de rimer est un art que j'ignore.
                                           Je n'ai ni rang, ni bien, ni talents...ni bureau,
                                           Et, je ne suis pas beau. (!?)

M. Rouvier lui renvoya sa lettre; il avait écrit en exergue:

                                          Cela s'appelle, en bonne prose,
                                          Etre un zéro. Mais un zéro
                                          Quand il est bien placé, peut valoir quelque chose
                                          Passez donc me voir au plus tôt.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 février 1903.

Si la guerre éclatait.

Si la guerre éclatait.



Comme on le voit, c'est la France qui tient la tête de colonne avec une armée de six millions d'hommes sur le pied de guerre, soit un soldat pour six civils; ce qui revient à dire qu'un Français aurait, en cas de conflit armé, à défendre six personnes, femmes, enfants, vieillards, invalides, etc.
Après nous, ce sont les Etats-Unis, qui peuvent mettre dix millions d'hommes sur pied; un soldat américain aurait à protéger sept personnes . Avec l'Italie (3.200.000 hommes), nous arrivons déjà à dix personnes à défendre; à douze avec l'Allemagne, qui peut pourtant lever quatre millions et demi d'hommes. Chaque soldat de l'armée Autrichienne (deux millions d'hommes) aurait à défendre vingt-deux personnes; le Russe (armée: cinq millions d'hommes) en aurait vingt-six à protéger; l'Anglais (un million d'hommes), plus de quarante; et enfin l'Espagne ne pouvant lever que 250.000 hommes pour la défense de ses dix-huit millions d'habitants, chacun de ses soldats aurait à protéger soixante-douze civils.
Ces chiffres sont tout théoriques; ils n'en sont pas moins éloquents, bien qu'ils ne comprennent pas l'effectif de la marine de guerre. Une guerre entre la Duplice et la Triplice mettrait aux prises de notre côté , onze millions de soldats franco-russes, contre neuf millions trois-quart d'Allemands, d'Autrichiens et d'Italiens: vingt et un million d'hommes ! Aucun trésor de guerre ne pourrait fournir la subsistance de ces armées colossales...accompagnées de centaines de mille chevaux.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 avril 1903.

lundi 16 septembre 2013

Le Croissant et la Croix.

Le Croissant et la Croix.

On a dit que la récente guerre des Balkans n'était qu'un épisode de la lutte séculaire du Croissant et de la Croix. Le Croissant, c'est les armes de l'empire turc, c'est aussi la Turquie. Et cette expression est très ancienne, puisque Boileau écrivait déjà:

                                      Faire trembler Memphis ou palir le croissant

Mais quelle est l'origine de ce fameux Croissant ?...Dans leur mépris superbe des infidèles, bien des musulmans seraient étonnés d'apprendre que le croissant fut un attribut chrétien, avant de passer à l'Islam. C'est pourtant la vérité. Un croissant de lune était l'emblème de l'empire Byzantin et de l'église d'Orient. Les Turcs l'adoptèrent seulement comme trophée de victoire, après la prise de Constantinople en 1453.
En sorte qu'avant cette date, le Croissant se rencontrait fréquemment parmi les armes des chevaliers de France et d'Angleterre. Et même, en 1464, René, duc d'Anjou, fonda un ordre de chevalerie dont les membres portaient tous, comme signe distinctif, un croissant de lune.
Le Croissant, si largement adopté par les Turcs, perdit peu à peu sa popularité en pays Chrétien. Il faut pourtant signaler, qu'à l'heure actuelle, bon nombres d'églises russes font figurer, à côté de la Croix, un Croissant, et cela pour rappeler l'origine byzantine de l'Eglise russe.
Le Croissant est, au reste, essentiellement byzantin. Et, pas plus que les Turcs, les Chrétiens ne peuvent se réclamer de l'avoir inventé. Il nous faut remonter plus haut encore, dans l'histoire, pour saluer sa naissance, en 399 avant Jésus Christ.
A cette date, la cité du Bosphore était assiégée par Philippe de Macédoine. Au cours d'une pluvieuse nuit d'hiver, l'ennemi s'approcha de ses murs. Mais les chiens de Byzance (remarquez, il y avait déjà des chiens à ...Constantinople), les chiens donnèrent l'éveil aux assiégés. Ils coururent aux remparts et, à ce moment, un croissant de lune, éclairant faiblement la campagne nocturne, montra l'armée en marche qui fut repoussée.
Sauvés par ce miracle, les habitants élevèrent une statue à "Hécate, la porteuse de torche" et frappèrent des monnaies ou figura son emblème: un croissant de lune.
Le Croissant rappelle d'ailleurs d'autres souvenirs de siège. Au cours du XVIe siècle, les Turcs portèrent à Vienne un redoutable assaut. Mais, impuissants à vaincre à ciel ouvert, ils résolurent de parvenir à l'intérieur de la ville en creusant des mines souterraines. Leurs tunnels atteignirent bientôt les fortifications, sans que l'éveil eût été donné.
Or, à cette époque, les boulangeries viennoises avaient, par mesure de sécurité, leurs fours construits à peu de distance des murs d'enceinte, dans des sous-sols. Les boulangers d'alors, comme ceux d'aujourd'hui, cuisaient surtout leurs pains la nuit. Ils entendirent les coups de pioche des soldats turcs, donnèrent l'alarme et l'armée des infidèles fut mise en déroute.
Il ne restait plus aux boulangers viennois qu'à commémorer leur vigilance. Ils s'y prêtèrent de la plus adroite façon du monde, en faisant des petits pains en forme de croissant. Vous connaissez le succès mondial  qu'eût cette innovation. Et maintenant, un petit croissant doré, juste complément de la tasse de chocolat du matin, doit vous rappeler plusieurs choses: Hécate la blanche, qui commanda à l'astre des nuits; les splendeurs de la Byzance antique, devenue plus tard la cité de Constantin; l'église orthodoxe et les Turcs.

Le Journal de la Jeunesse, premier semestre 1913.

Couteau à ouvrir les huitres.

Couteau à ouvrir les huitres.

"Nos aïeux les Gaulois, dit M.Viollet-le-Duc dans son Dictionnaire du mobilier, étaient grands mangeurs d'huitres; car on retrouve des écailles de ces coquillages en grande quantité dans les tombeaux et les traces d'habitations antérieures à la conquête romaine, sur toutes les côtes de la Manche et jusque dans le voisinage de Paris." De son côté, Pline cite avec éloge les huitres du Médoc, appelées huitres de Bordeaux, et Ausone les représentent étant douces, grasses, et n'ayant de sel que ce qu'il en faut pour plaire; il les compare à celles de Baïes, si estimées des Romains, et prétend que leur renommée leur a procuré plus d'une fois l'honneur de paraître à la table des Césars.
Ce goût pour les huitres s'est transmis en France à travers les siècles, et dès le moyen âge on avait du inventer des couteaux spéciaux pour faciliter l'ouverture toujours difficile de ces mollusques si recherchés. Le musée de Cluny en possède un, antérieur d'un siècle à peu près à celui que represente notre gravure.


Dans ces deux couteaux, dont la forme du manche diffèrent seule, la lame de fer est enrichie d'inscriptions et d'ornements gravés, et le manche, très plat, se compose de deux plaques de cuivre jaune ajourées.
Ces sortes de couteaux devaient être rares, à en juger par le petit nombre de ceux qu'on voit aujourd'hui dans les collections.

Magasin pittoresque, 1879.

Ceux qui font les plus longs pas.

Ceux qui font les plus longs pas.

Une, deusse !
Le soldat russe fait de 112 à 116 pas à la minute, l'allemand 114, l'autrichien 115, le français et l'italien 120, à l'exception du chasseur à pied et du bersaglier, qui font, le premier 128 et le second 150 pas. Les longueurs de ces pas sont, respectivement, de 71 centimètres en Russie, de 80 en Allemagne, de 75 en Autriche et de 76 pour la France et l'Italie.
Dans ces conditions, le soldat russe parcourt 79,5 m à 82,5 m à la minute, l'autrichien 85,5m, le français et l'italien 90 mètres et l'allemand 91,2 m.
Depuis quelque temps, la longueur du pas en France est jugée excessive par rapport à la taille moyenne, qui a diminué sensiblement, étant donné que l'écart naturel des jambes représente à peu près la moitié de la hauteur du marcheur.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 12 avril 1903.

A travers la Judée.

De Jaffa à Ramleh.

Le voyage de Jaffa à Jérusalem ne comporte plus aujourd'hui les dangers qu'il offrait au temps peu éloigné où Abou-Goch et sa horde de brigands infestaient les montagnes de la Judée. La route de Jérusalem est d'ailleurs jalonnée de petites tourelles dominant toute la contrée environnante et qui sont gardées par des gendarmes turcs ou bachibouzouks.
Le voyage se fait très lentement, vu le mauvais état des routes, et par petites étapes marquées à l'avance; ces étapes sont généralement les mêmes pour tous les pélerins. Aussi, bien que 60 km seulement séparent Jérusalem de Jaffa, il faut près de 24 heures pour faire le trajet en voiture. C'est généralement à la tombée de la nuit qu'on se met en route pour éviter les grandes chaleurs du jour.
La route est rarement déserte, et présente, par conséquent, moins de dangers que les autres routes de la Palestine. Fréquentée en toute saison par les caravanes, et par les pélerins de toutes sortes, qui se rendent aux fêtes multiples instituées par les différentes religions établies dans la ville sainte, elle offre, en général, un coup d'oeil très animé, très pittoresque même. On rencontre là, confondus, les costumes les plus laids et les plus gracieux du monde, la houppelande crasseuse du juif polonais et le cafetan éblouissant du cavalier arabe, le riche costume des Arméniennes et la robe loqueteuse des femmes juives ou cophtes, le turban et le bonnet de martre, la toque violette et le cafié aux couleurs éclatantes, l'habit moderne et correct du prêtre anglais et le tallith en poil de chèvre des habitants du désert. Les caravanes se succèdent sans interruption; les pélerins pauvres vont généralement à pieds: ce sont des fellahs déguenillés, des Juifs à turban, avec la tenue des anciens patriarches hébreux des paysans russes et grecs, appuyés sur le bourdon traditionnel ou portant des cierges, des Bédouins, drapés dans un misérable plaid à raies brunes, chaussés de sandales de formes diverses, parfois de simples semelles d'écorce de palmier grossièrement nouées autour du pied; tout ce monde est à chaque instant devancé par des carrioles de toutes formes, des chars-à-bancs, des tapissières disloquées, des chariots de ferme, emportant vers Jérusalem, aussi rapidement que le permettent les cahots terribles d'une route effondrée, les mitres et les toques des diverses confessions chrétiennes, les soutanes noires de nos prêtres, les casques de liège et les chapeaux à voile vert des touristes et des pélerins laïques.



D'autres ont préféré le cheval, l'âne, le mulet. Des familles entières, juives, arabes ou syriennes, voyagent dans des cages d'osier à deux compartiments portées à dos de mulet. Enfin, la route est coupée, de temps en temps, par de longues files de chameaux dont l'ossature branlante et mal emmanchée semble menacer sans cesse de se disjoindre et de s'abîmer sous la charge qu'elle supporte. Cette charge consiste en une pyramide de ballots et de sacs au sommet de laquelle est généralement perché un moukre dont l'attitude calme contraste bizarrement avec l'équilibre désordonné de tout l'édifice. Soit dit en passant, le chameau est l'animal de la création le plus décevant. Les mouvements les plus simples et les plus faciles se produisent chez lui avec une apparence d'efforts surhumains, une ostentation d'accablement qui fait mal. A le voir au repos, affalé dans le sable ou la poussière, comme écrasé sous son fardeau, et sa bosse a l'air d'en faire partie de ce fardeau, il ne viendra à l'idée de personne qu'il parvienne jamais à se relever tout seul. Et de fait, lorsqu'il se remet debout, c'est avec des cris bâillés qu'il semble tirer du fond de sa nature léthargique, des genoux désarticulés, , un tangage piteux de toute sa silhouette, spectacle bien fait pour chagriner un coeur sensible.
Pendant tout le trajet de Jaffa à Jérusalem le paysage est à peu près celui que nous allons décrire une fois pour toutes. On traverse la plaine de Sarôn qui s'étend vers l'est  jusqu'aux montanes de la Judée, présentant des alternatives de terres incultes semées de chardon, et de campagnes fécondes, mais mal cultivées. On y rencontre, comme dans tout le reste de la Judée, des villages, pour la plupart modernes, situés sur l'emplacement plus ou moins apocryphe d'anciens hameaux consacrés par les traditions bibliques. Ces villages offrent presque tous un amas de huttes faites de boue sèche, avec quelques rares maisons à terrasse et à coupole. Des orangers, des figuiers noirs et des oliviers  font à quelques-unes de ces maisons des jardins assez agréables.
A partir des premières collines de la Judée, la terre prend un aspect particulièrement stérile et désolé. Les cimes des montagnes, reliées entre elles par des collines basses, sont grisâtres, nues et rocailleuses, avec des flancs ravinés où croissent ça et là des lentisques, des lauriers-roses, des chênes nains, des sycomores et quelques oliviers.
De temps en temps, au sommet d'une colline, apparaissent des ruines de monastères ou de châteaux du temps des croisades, les restes d'un ancien village juif ou encore les murailles noirâtres d'un khan.
La route de Jérusalem débouche à la sortie du marché et traverse les jardins de Jaffa. A 1 kilomètre de la ville, on rencontre un cimetière abandonné où les traditions locales placent la maison illustrée par le miracle de saint Pierre qui ressucita Tabitha ou Doreas, la femme charitable. On montre également, près de ce cimetière, le caveau où celle-ci fut ensevelie après sa seconde mort.
Après avoir dépassé le premier poste turc, on arrive au village arabe de Yasour. Deux routes partent de là, se dirigeant sur Ramleh. La première conduit directement à Ramleh en trois heures; l'autre, moins directe, passe par Lydda, l'ancienne Diospolis, qui se trouve à une lieue seulement de Ramleh, illustrée par les premières croisades. Quelques auteurs ont pensé retrouver dans cette ville l'ancienne Arimathie, patrie de saint Joseph et de saint Nicomède, mais cette hypothèse tombe devant l'examen des données historiques, la date de la fondation de Ramleh étant vraisemblablement postérieure de plusieurs siècles après la mort de Jésus Christ.
 Le nom de Ramleh qui signifie "sable" en arabe, s'explique difficilement, étant donnée la situation pittoresque de la ville, au milieu d'un bois d'orangers, de figuiers, d'oliviers, bordé de cactus géants. Bien qu'elle n'ait d'ailleurs que 3.000 habitants, dont 60 catholiques à peine, Ramleh ne manque pas d'animation, grâce au passage continuel des pélerins qui la traversent.

                                                                                                          Jules Hoche.

Journal des Voyages, dimanche 17 février 1889.

La mendicité en Russie.

La mendicité en Russie.

La mendicité sévit en Russie comme ailleurs; afin d'extirper ce fléau, le gouvernement russe a projeté les mesures les plus diverses, mais leur exécution a été entravée par des obstacles de toute espèce. Le public, de son côté, surtout les classes marchandes et industrielles, considèrent comme un espèce de devoir moral de faire l'aumône à ceux qui la demande "au nom du Christ" et, ce faisant, au lieu de secourir véritablement l'indigence, on ne fait qu'encourager la mendicité professionnelle.
A l'heure qu'il est, la question de l'extinction de la mendicité a fait un grand pas en avant, grâce surtout aux efforts du comité de l'Assistance aux mendiants. Les membres de ce comité ont eu l'idée de fournir à la population de Saint-Pétersbourg un moyen de substituer à l'aumône des versements au profit d'une institution qui vient en aide à l'indigence véritable. Cette substitution, ne se bornant point à satisfaire moralement les donateurs, pourrait créer d'une façon détournée une interdiction de faire l'aumône à ceux qui la demandent.
Dans un mémoire présenté au comité d'Assistance aux mendiants par plusieurs de ses membres, il est dit: "Ceux qui désirent remplacer l'aumône simple faite dans les magasins, boutiques et maisons particulères, pourront acheter au prix minimum de dix roubles, à la caisse du comité, des plaques de cuivre avec l'inscription: " La mendicité est interdite par la loi.", portant le timbre et l'adresse du comité. Toute personne désirant l'extinction de la mendicité achètera volontiers une de ces plaques pour la clouer à la porte extérieure de son magasin, ou de son logement particulier, en prévenant ainsi les quémandeurs qu'on remplace ici l'aumône par un versement à la caisse du comité."
On peut espérer de cette mesure:
1° la diminution des aumônes qui encouragent le métier lucratif de mendiant, et
2° l'augmentation des ressources du comité, nécessaire à la création d'une " maison de travail" déjà projetée.

Journal des voyages, dimanche 11 février 1889.