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lundi 17 novembre 2014

L'utilisation des vieux obus.

L'utilisation des vieux obus.


L'année terrible n'est pas si éloignée de nous que nous ayons oublié de quelle façon les Parisiens utilisèrent les obus ennemis ou leurs éclats, recueillis après le siège dans les jardins de la banlieue, ou même dans les jardinets des faubourgs.
Tandis que les éclats devaient se contenter du modeste rôle de presse-papiers, les projectiles intacts devenaient des garniture de cheminée, voire des lampes. D'adroits artisans s'avisèrent même de loger des mouvements d'horlogerie à l'intérieur d'obus-souvenirs et de trouer leur flanc pour y insérer un cadran.
En Europe, il est de règle d'envoyer à la fonderie les obus réformés. En Amérique, on leur donne une destinée moins banale. Par exemple, à l'arsenal de Brooklyn, les vieux obus, convenablement concassés, servent à l'empierrement des chemins qui serpentent à l'intérieur de l'établissement.
A Sandy-Kook, le fort qui défend l'entrée de New-York, la première parcelle de territoire américain qu'aperçoivent les voyageurs venant d'Europe, on a découvert un autre usage pour les obus hors-service, comme en témoigne l'amusante photographie que nous reproduisons sur cette page.


L'énorme projectile que nous y voyons était destiné à un des canons monstrueux de Sandy-Hook; il fit explosion pendant qu'on le transportait du magasin à la batterie. Par un hasard providentiel, l'accident ne causa que des dégâts matériels, bien que de nombreux artilleurs et des ouvriers fussent exposés au heurt des éclats.
Fut-ce à cette heureuse circonstance que l'obus dut de ne pas être relégué dans le "hangar de la vieille ferraille?" Une autre coïncidence allait l'aider à conquérir des destinées flatteuses. La cloche qui donnait aux ouvriers de l'arsenal le signal du départ avait été brisée quelques jours auparavant, et un officier proposa de la remplacer par l'obus. L'idée ne manquait pas d'originalité: elle plut au commandant, d'autant plus que le son de ce bourdon improvisé, d'un diapason très particulier, ne pouvait plus être confondu avec celui des navires passant au large. Précisément, il arrivait parfois que des ouvriers abandonnassent leur travail avant l'heure réglementaire sous le fallacieux prétexte qu'il avaient cru percevoir l'appel de la cloche libératrice!
Les fonctions de sonneur (de batteur pour être plus exact, puisque la sonnerie s'obtient à l'aide d'un marteau) sont, à Sandy-Hook, l'apanage d'un vieux nègre, qui est incontestablement le doyen de l'établissement; voici plus de quarante ans qu'il fait partie du personnel. Mis à la retraite, il refusa de retourner en terre ferme. Et malgré ses quatre-vingts ans, c'est toujours d'une main robuste qu'il cogne à coups redoublés contre son cher obus.

                                                                                                                   V. Forbin.
La Nature, deuxième semestre 1907.

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