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samedi 22 mai 2021

 Inauguration de l'Exposition de 1867.


Le Moniteur du 31 mars annonçait que l'Empereur ouvrirait l'Exposition internationale le 1er avril, à deux heures précises. Le public croyait le contraire; le public a eu tort et le Moniteur avait raison.
Quoique le parc fût loin d'être terminé et que le palais n'eût pas, à beaucoup près, ses salles remplies et ses vitrines meublées, on ouvrait à midi les portes au public disposé à payer vingt francs pour voir une œuvre inachevée, une exposition à l'état d'ébauche.
Dans combien de temps aura-t-on fini? je n'en sais rien, mais j'entendais ce matin même un exposant affirmer qu'il n'étalerait ses produits que le 15 mai; et voilà pourquoi. En 1862, à Londres, il avait envoyé d'avance de superbes échantillons de matières complètement nouvelles; c'était de la céramique où les couleurs tendres atteignaient des teintes d'une douceur encore inconnue. Or qu'arriva-t-il? Dix jours après, un autre fabricant envoyait des produits semblables et, à la fin du mois, l'inventeur, au lieu d'avoir le privilège de son invention, se trouvait en concurrence avec quatre maisons de céramique. Cet exemple pourrait bien expliquer pourquoi les exposants ne se pressent pas davantage; sans compter les mécontents qui refusent de prendre possession des places qu'ils ont payées, au moins en partie, mais dont ils ne veulent plus dès qu'ils les voient. Tous voudraient la meilleure place; or il est facile de comprendre que, dans un bâtiment dont toutes les surfaces sont courbes, s'il y a quelques places privilégiées, il y en a aussi de désavantageuses.
Heureusement la partie française avait été poussée avec une ardeur toute patriotique dans les derniers jours de mars. Tous les efforts avaient été réunis pour que le soleil, en se levant le 1er avril, n'eût à éclairer que des œuvres terminées. Il n'y a pas jusqu'au Trocadéro qui, dans son zèle, a fait semblant d'être achevé. Les amours-propres des gros bonnets étaient en jeu; des ordres supérieurs avaient été reçus; il fallait ouvrir et l'on n'avait pas oublié la célèbre formule: " Si c'est possible, c'est fait; si c'est impossible, ça se fera."
La grande difficulté, me disait l'architecte d'un des principales constructions du Champ de Mars, est de trouver des ouvriers. J'ai en ce moment (31 mars) quatre maçons, onze menuisiers et dix-sept peintres; avec le quintuple, je pourrais à peine marcher. Mais voici ce que font les ouvriers: les décorateurs veulent vingt-cinq francs par jour. Quoique la somme soit exorbitante, la nécessité, qui n'a pas de loi, fait qu'on ne marchande pas et qu'on leur alloue ce qu'ils demandent. Ces ouvriers travaillent deux heures, et exigent un à-compte de dix francs de leur journée; ils s'en vont au café et... ne reviennent pas. Ce n'est certainement pas leur intérêt... mais que puis-je faire? En chercher d'autres? C'est recommencer avec les mêmes ennuis. Dieu merci, je me hâte de le dire, tous les ouvriers n'ont pas agi ainsi.
Ce sont ces diverses raisons qui ont empêché la commission d'offrir, aux privilégiés et au public à vingt francs, une œuvre achevée. Si vous ajoutez que le temps n'a favorisé en rien les constructions et que la date fixée pour l'ouverture était d'un choix malheureux, parce que la saison n'était pas assez avancée, vous aurez une juste idée des bâtons mis dans les roues du char auquel étaient attelés la commission impériale et les divers entrepreneurs.
Malgré tant d'obstacles, on a eu raison de croire que remettre l'ouverture du palais à quelques semaines de là ferait le plus mauvais effet et jetterait un discrédit irréparable sur l'exhibition toute entière.
Le 1er avril, dès le matin, une masse compacte de sergents de ville, de gardes de Paris, et de soldats garnissait tous les abords du Champ de Mars, afin d'en défendre l'entrée à tous les curieux qui n'étaient ni payants, ni exposants, ni invités. Dire toutes les plaintes qui se sont élevées contre la sévérité des consignes serait une œuvre de longue haleine. Qu'on pardonne cette simple mention à l'un de ceux qui ont soufferts de cette sévérité. Des ingénieurs fort connus ont été vus errants de porte en porte; c'est ainsi que les ombres, qui n'avaient point l'obole, réclamée par le vieux Caron, demeuraient sur les bords du Styx. On parle même de la déconvenue de l'ingénieur en chef des promenades de Paris qui, se présentant pour entrer dans le parc, tanquam in rem suam, s'est vu éconduire au nom d'une consigne inexorable.
Voici, du reste, une anecdote qui donnera une idée de la manière dont toutes les entrées étaient gardées.
Il existe, on se le rappelle, un cercle international situé près du pont d'Iéna. Dans ce cercle, on doit donner ou plutôt vendre à dîner, à tous les membres qui en font partie. A sept heures du matin, les cuisiniers, marmitons, aides, etc., arrivent processionnellement par le pont d'Iéna avec tous les ustensiles nécessaires à leur art. Ils voulurent entrer, mais... ils manquaient de laisser-passer; ils durent bivouaquer trois heures; après quoi, on parvint, à force de parlementer, à faire comprendre aux gardiens des portes qu'il n'y a pas de cuisine sans cuisiniers.
A deux heures, avec une exactitude exemplaire, le cortège impérial arrivait en voiture à la porte du palais située en face du pont d'Iéna, où il était reçu par la princesse Mathilde, par le comte de Flandre, le prince d'orange, le duc de Leuchtemberg et les membres de la commission générale. Il s'est dirigé vers le Palais en passant sous l'immense Velum vert parsemé d'abeilles d'or qui, le lendemain a été pénétré et détérioré par la pluie. La musique militaire saluait l'arrivée du cortège en jouant un brillant morceau d'ouverture. L'empereur, accompagné de l'impératrice, parcourut la plateforme situé dans la grande galerie des machines, en commençant par traverser la galerie des arts usuels français, belges, prussiens, pour terminer cette rapide exploration par une visite aux machines anglaises. Dans chaque secteur correspondant aux différentes nations, se trouvaient les commissaires des différents pays. Le cortège impérial était formé des députations des grands corps de l'Etat et des officiers et dames du palais et de la Commission de l'Exposition.
Quand on passait devant les différents pays, on s'arrêtait un instant pour la présentation des commissaires délégués. Devant la section hollandaise un orgue gigantesque a vociféré sur ses formidables jeux l'air de la reine Hortense: Partant pour la Syrie. Quand le cortège est arrivé à la section chinoise, une musique du pays (cinq ou six artistes) a joué un air d'une belle monotonie composée, je crois, de ces notes: do, , mi, fa, mi, , do. De temps en temps, des sons plus aigus accompagnés de chapeaux chinois viennent relever la fadeur de ce ragoût musical servi par les virtuoses du Céleste-Empire. Les assistants se demandaient d'où venaient ces accords équivoques, et les attribuaient d'abord à une machine mal graissée, car toutes les machines en mouvement chantaient la grande chanson du travail.
Aussitôt la musique française a repris pour faciliter la comparaison entre les mélodies des deux pays.
L'empereur est sorti du palais après avoir traversé la galerie des machines anglaises et, suivi du même cortège, a fait quelques pas dans la partie française du parc. Après quoi, il est venu se reposer quelques minutes seulement dans son pavillon. A quatre heures moins vingt minutes, la cérémonie était terminée, et les voitures de la cour reprenaient le chemin des Tuileries.
En apparence,  l'ouverture de l'Exposition universelle, favorisée par un temps superbe, était faite. Mais sur le passage de l'empereur, on n'avait pas même eu le temps de faire disparaître tous les échafaudages. Il faut encore deux à trois semaines pour que l'on puisse voir une œuvre complète. Les expositions les plus avancées, après l'exposition de la France, sont celles de l'Angleterre et de la Belgique. Cependant déjà le parc attire l'attention par ses constructions curieuses; le palais de l'Isthme de Suez avec son immense diorama, le plan en relief de la basse Egypte et du canal qui unit la Méditerranée et la mer Rouge; le palais du bey de Tunis avec son perron en marbre, ses fontaines jaillissantes; le palais du Maroc avec ses lions, les bains turcs, la fabrique de l'opium de la Chine et le théâtre chinois; la pagode indienne. Quelques-uns des visiteurs ne seront pas un des spectacles les moins curieux de l'exposition; on parle de la visite prochaine du roi de Bonny, dont le royaume est situé au nord de la Guinée, entre le Niger et l'un de ses affluents. Ce roi et sa cour ont renoncé depuis à peu près vingt ans à l'anthropophagie; mais son peuple a conservé la tradition de la cuisine nationale. Crainte d'un tentation rétrospective, je crois qu'il sera prudent de faire déjeuner S. M Noire, avant chaque visite, à un des nombreux restaurants dont est flanqué le Palais; ce qui permettra d'écrire sur l'affiche: les lions du Maroc et S. M. le roi de Bonny ont déjeuné ce matin.

P.-S. On ne s'étonnera pas, après ce que nous venons de dire que les premiers jours qui ont suivi l'inauguration, l'affluence des visiteurs n'a pas été considérable. Il faut encore un peu de temps avant que les huit portes qui donnent accès dans le Champ de Mars transformé, la porte d'Iéna, dite porte d'honneur, malgré son aspect peu monumental, la porte de l'Ecole-Militaire, la porte Saint-Dominique, la porte de la Bourdonnaye, la porte Rapp, côté est du Champ de Mars, qui sera probablement la plus assiégée parce qu'elle s'ouvre devant les visiteurs venant des profondeurs de Paris par le quai d'Orsay et le pont de l'Alma; les portes Kléber, Desaix, Suffren, côté ouest, laissent passer les multitudes qui viendront plus tard.

                                                                                                             Alfred Nettement, Fils.

La Semaine des familles, samedi 13 avril 1867.



* Nota de Célestin Mira:

Exposition internationale de 1867:













* Partant pour la Syrie:




mardi 18 mai 2021

Au Jardin des Plantes.


Où se passe la scène que le crayon de Fellmann a mise sous nos yeux?




Est-ce à la petite Provence des Tuileries*, cette espèce de lieu d'asile où, au début du printemps, quand la température est encore rude, les bonnes d'enfants, les nourrices et les vieillards, vont chercher un lieu d'asile abrité contre le vent du nord et un rayon de soleil? Il suffit de jeter un regard sur la toilette antédiluvienne des personnages assis sur ce banc pour résoudre la question. Ces costumes impossibles sont plus impossibles aux Tuileries que partout ailleurs. Certes, si cette vénérable matrone, coiffée d'un bonnet formant abat-jour, se présentait à l'une des portes du jardin des Tuileries, le fonctionnaire effrayé crierait: Qui vive? et l'on entendrait retentir de proche en proche l'avertissement réglementaire: "Sentinelles, prenez garde à vous!" Ces paletots étranges et ces redingotes incroyables appartiennent à une autre latitude, et malgré la population bariolée que l'Exposition nous amène, je maintiens que ces types n'ont jamais été visibles au centre de Paris. Chapeaux, redingotes, pantalons, parapluies, gilets et physionomies, tout, jusqu'aux chiens et au jeune galopin à la culotte trop courte de deux doigts, qui a quitté son cerceau et se repose entre les jambes de son grand-père, sont de la rive gauche de la Seine, et je dis des quartiers les plus lointains et les plus perdus.
Ce banc serait-il un banc du jardin du Luxembourg?
Favete linguis! Qui parle du Luxembourg? Qui parle d'un jardin? Il n'y a plus, quant à présent, de jardin du Luxembourg. C'est un chaos, un tohu-bohu étrange! Les arbres qui restent et qui commencent à bourgeonner ne reconnaissent plus leur ancien séjour en se réveillant à la vie, au retour de la sève. Ils se demandent, en penchant l'un vers l'autre leurs cimes au souffle du vent: "Qu'y a-t-il? Le sénat, notre voisin, aurait-il été envahi par les Gaulois comme jadis le sénat de Rome? Où sont les acacias nos frères, et d'où vient que les becs de gaz empestent l'air sur l'emplacement où, le printemps dernier, les branches parfumées répandaient leurs suaves odeurs".
Les oiseaux chuchotent de leur côté et se demandent entre eux ce qu'est devenue la pépinière aux lilas desquels ils ont, l'an dernier encore, suspendu leur nid. J'ai entrevu l'autre jour, sur la branche élevée d'un tilleul, une corneille fatidique qui tenait à ce sujet des propos peu rassurants:

Sæpe sinistra cava prædixit ab ilice cornix.

Les moineaux francs forment des réunions illicites sur les branches et ne ménagent rien dans leurs caquets. Les hirondelles sont attendues, mais l'on craint qu'averties par leur extrême avant-garde, elles ne rebroussent chemin et ne cherchent un plus agréable séjour.
C'est une désolation parmi les oiseaux et les arbres comme parmi les enfants et les poètes. Quant aux philosophes et aux vieux habitués du Luxembourg, ils ne se risquent pas au milieu des charrettes et des tombereaux. Ils songent à émigrer dans un autre quartier.
Ce n'est donc pas un banc du Luxembourg qu'a dessiné Fellmann. Fellmann ne va plus au Luxembourg.
Je croirais plutôt que c'est un banc du Jardin des Plantes. Ce qui achève de me confirmer dans cette idée, c'est la muraille tapissée de verdure contre laquelle le banc est adossé.
Ces petites Provences abritées contre les vents du Nord et ouvertes du côté du midi existent dans le Jardin des Plantes comme dans le jardin des Tuileries; mais le personnel qui siège sur le banc n'existe certainement que dans le quartier du Jardin des Plantes. La plupart de ces vénérables habitués viennent des pensions bourgeoises qu'on rencontre encore dans ce quartier, et où de vieux et pauvres rentiers, sans amis et sans famille, tombés peu à peu dans la vie végétative, achèvent de mourir. Dans leurs tristes réduits, il n'y a ni air ni lumière. Les murailles qui transpirent et les dalles qui suent répandent une insupportable odeur de moisi. Dans quelques unes de ces maisons bourgeoises, il est vrai, on trouve un petit jardinet avec des buis taillés comme ceux d'un cimetière, et un bassin vide où trône un Amour verdâtre; mais les arbres rabougris et rongés par la mousse ou le lichen qui végètent dans ces vieux jardinets, semblables aux vieux pensionnaires, ont comme eux un aspect si chétif et si maladif, le gazon a l'air si maigre et si malingre, et les rares plantes qui surgissent çà et là par bouquet ont quelque chose de si vieillot que, dès que le temps le permet, les habitants de ces tristes asiles vont demander au Jardin des Plantes un souffle d'air pur et un rayon de soleil plus chaud.
Le Jardin des Plantes, qui ne contient pas moins de quatre-vingt-dix arpents, compris entre le quai saint-bernard et la place Valhubert au N-E, la rue Cuvier au N-O, la rue Geoffroy-Saint-Hilaire au S-O, et la rue Buffon au S-E, leur paraît tout un monde. Les quatre bosquets de grands arbres, le bosquet  du printemps, le bosquet d'été, le bosquet d'automne et le bosquet d'hiver, plantés du côté de la rue Buffon; les deux grandes allées de tilleuls qui s'étendent du quai Saint-Bernard jusqu'au jardin de zoologie, en renfermant un espace où sont cultivées les plantes alimentaires, industrielles et médicinales; le bassin circulaire qui sépare les carrés Chaptal, destinés aux plantes d'ornement, l'orangerie, les serres, la ménagerie, la petite butte, le labyrinthe, le jardin anglais avec ses animaux en plein air, le palais des singes, la galerie des reptiles, sont pour eux un sujet perpétuel d'étonnement, d'admiration. Les plus ingambes arpentent le jardin et, quand ils se sentent vaillants, montent au labyrinthe du haut duquel ils contemplent le panorama de Paris, sans préjudices des autres spectacles que, grâce au microscope, leur offre un morceau de fromage. Dans les jours de suprême prodigalité et quand on a son petit fils, comme ce brave grand père que vous voyez assis, on achète un petit pain de seigle d'un sol et l'on procure à M. Dodolphe le délicieux plaisir de le distribuer par petit morceaux aux pachydermes-bébés qui folâtrent gentiment pour obtenir leur part de gâteau. C'est un luxe qu'on ne s'accorde que rarement. Les rhumatisants, les goutteux et les asthmatiques s'asseoient sur ce banc et font leur provision d'air et de soleil avant de rentrer dans la maison bourgeoise.
Le Jardin des Plantes, loin d'avoir perdu de sa beauté, comme d'autres jardins, s'est embelli dans ces dernières années. En ce moment même, les ouvriers sont à l'œuvre dans cette partie de la promenade qui s'étend entre le labyrinthe, la ménagerie et l'amphithéâtre, pour élargir les allées, et spécialement pour remanier de fond en comble le sol de la pelouse ovale, située en cet endroit et destinée à recevoir, pendant la belle saison, les arbres exotiques les plus remarquables qui ont passé l'hiver dans la serre tempérée. A l'autre extrémité du jardin, du côté du quai Saint-Bernard, on a récemment achevé toute une suite de nouveaux parcs pour les ruminants. Ces parcs de formes variées et abrités d'une manière pittoresque ajoutent à l'agrément de la promenade.

                                                                                                                                         Félix-Henri.

La Semaine des familles, samedi 13 avril 1867.

* Nota de Célestin Mira:

* La petite Provence des Tuileries:


Lecture du journal à la petite Provence des Tuileries.
(A l'arrière plan, l'ancêtre des sanisettes)

Les tuileries servaient aussi de latrines comme en témoigne le Tableau de Paris:





 

dimanche 16 mai 2021

 Chroniques diverses de 1867.


On a dansé avec fureur les derniers jours du carnaval. Les musiciens manquaient aux orchestres tant les bals étaient nombreux. Une des nuits les plus brillantes a été celle de l'hôtel du ministère des affaires étrangères qui, illuminé de haut en bas avec des cordons de gaz, étincelait dans les ténèbres comme un palais des Mille et une nuits. L'affluence était énorme dans les rues, et l'on dit que la population flottante s'était accrue de cent cinquante mille nomades accourus pour jouir des plaisirs du carnaval à Paris. Il faut qu'on s'ennuie terriblement en province et en Europe, pour que tant d'étrangers et de provinciaux aient jugé à propos de faire un long voyage afin de voir quelques masques hideux traîner leurs oripeaux dans la boue, et d'assister à la promenade monotone du bœuf gras, ou plutôt des bœufs gras, car cette monarchie ruminante est devenue une oligarchie. J'allais oublier les ritournelles du bal, les queues des danseuses se déchirant sous les pieds des cavaliers, les grincement des cors de chasse enroués, dans lesquels soufflent toutes les lèvres, les trompes des Gavroches qui vous poursuivent dans les rues. Mais les bals surtout, qui nous délivrera des bals? La fatigue est si grande après ces nuits d'agitation et d'insomnie, que le carême, qui nous rend le repos, est presque devenu une sensualité.
Je sortais le mercredi des cendres de l'église avec un père de famille de ma connaissance, qui, pendant tout l'hiver, a conduit ses quatre filles au bal quatre fois pas semaine.
- Ah! monsieur, me disait-il, je n'aurais jamais cru que le jour qui nous appelle que nous sommes poussière et que nous retournerons en poussière, pût me sembler un beau jour. Mais je suis sur les dents, et le mercredi des cendres me rappelle en même temps que la nuit est faite pour dormir et que je coucherai ce soir dans mon lit.

***

On nous assure qu'on a constaté une nouvelle maladie dite: maladie du chignon. Depuis qu'il est convenu que toutes les femmes, sans distinction d'âge, doivent avoir derrière la tête la chevelure de Samson, ou moins deux ou trois livres de cheveux tombant dans un filet qui a quelque ressemblance avec ces paniers où l'on secoue la salade, il paraît que les fabricants de postiches ne savent à qui entendre; la production, selon l'expression consacrée, ne peut suffire à la demande. Qu'arrive-t-il? Suivant l'homme de science de qui nous tenons ce fait, voici ce qui arrive. La crinière que la moitié au moins de la plus belle moitié du genre humain trouve à propos d'annexer à sa chevelure naturelle et insuffisante n'a pas toujours subi toutes les préparations nécessaires. Or il advient que le cheveu mort est souvent habité par des animaux microscopiques qui sont à la vermine dont je ne veux pas prononcer ici le nom ce que celle-ci est à l'éléphant. Dans le mouvement effréné de la polka et de la mazurka, qui pendant les derniers jours du carnaval se déroulaient dans nos salons, ces chignons peuplés d'une poussière d'animalcules invisibles répandaient une pluie d'atomes animés dans l'atmosphère. " Ce qu'il y a d'affreux à penser, ajoutait le savant qui m'a transmis ces détails, c'est que ces atomes nés sur le cheveu mort, lorsqu'ils sont absorbés par la respiration, peuvent produire le même effet que la trichyne."  N'y a -t-il pas de quoi faire trembler les danseurs les plus intrépides? N'aurait-on pas le droit, avant d'inviter une danseuse, de lui poser, relativement à cet appendice chevelu de la toilette des femmes, une question d'origine? Que dites-vous de l'apparition de ce nouveau fléau, la trichyne du chignon?

***

Le P. Félix a commencé ses conférences à Notre-Dame devant une nombreuse assistance. Il a prêché avec un rare talent sur l'art en général et sur le progrès dans l'art, et nous avons retenu de son discours cette belle pensée: "L'idéal du philosophe, c'est le vrai; l'idéal du saint, c'est le bien; l'idéal de l'artiste, c'est le beau."

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La Société des Publications populaires, 82,  rue de Grenelle, fait paraître en ce moment la liste raisonnée des œuvres charitables de Paris, destinée aux visiteurs de l'Exposition, et accompagnées de courtes notices qui serviront de guide à ceux qui voudraient connaître ces œuvres et les visiter à leurs sièges. Cet opuscule indique en même temps les monuments religieux, les lieux de pèlerinage, enfin les services religieux qui seront faits dans diverses églises de Paris pour les Anglais, les Allemands, les Flamands et les Italiens.
Il y a bien des gens qui, venus à Paris pour voir Babylone, ne seront pas fâchés de voir par la même occasion Jérusalem.

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C'est à tort qu'on avait prétendu que l'obélisque de Louqsor serait transféré de la place Louis XV sur les hauteurs du Trocadéro. Le journal qui s'était permis de donner cette nouvelle légèrement hasardée a reçu un Communiqué qui rétablit les faits et assure à l'obélisque la continuation de son domicile. Nous sommes également en mesure d'affirmer que les tours de Notre-Dame resteront à leur place, ce qui ne peut pas manquer de réjouir les habitants du quartier, habitués à leur bourdon.

                                                                                                                     Nathaniel.

La Semaine des familles, samedi 23 mars 1867.

vendredi 14 mai 2021

Chronique de la démolition de Paris.


Je sais que je n'ai que les simples droits d'un flâneur et d'un poète qui, en tirant son chapeau bien bas à MM. les édiles, peut leur présenter respectueusement ses humbles doléances, après avoir commencer par s'incliner devant leur infaillibilité. Ils n'auront nul besoin de me communiquer le respect que je leur ai depuis longtemps voué. Mais on est Parisien ou on ne l'est pas. Or je le suis, et dans Paris capitale du monde, tel que l'on fait, tel que le font les travaux contemporains, et tel que l'ont décrit deux hommes d'esprit qui ont la parole un peu vive et parfois un peu leste, mais le sens droit, deux Parisiens comme moi, j'imagine, MM. Edmond Texier et Kampfen, je ne reconnais plus mon Paris.
Vous me croirez, si vous le voulez; mais, en me promenant au milieu des maisons qui tombent et des rues qui disparaissent, sous prétexte de s'élargir, j'ai envié les plus humbles campagnards qui, du moins,  ne voient pas se métamorphoser sous leurs yeux les champs où ils sont nés.

O fortunatos nimium sua si bona norint
Agricolas!

Oui, heureux les campagnards s'ils avaient le sentiment de leur félicité! 




Heureux celui qui, du haut de son grenier, suit d'un regard béat dans les airs les évolutions de ses pigeons, espoir de son garde-manger! Il est sûr de trouver à la même place, en rentrant le soir, la maison qu'il a quitté le matin, de vivre où ont vécu ses pères, de mourir où il est né.
Son humble toit de chaume est plus solide que nos maisons pompeusement bâties en pierre de taille. Heureux l'habitant des villages! Le toit de ses pères ne se trouve pas sur le chemin de ce despote intraitable, devant lequel tout doit s'effacer et disparaître, le boulevard!
A ce propos, je supplierai MM. de l'Académie française de vouloir bien introduire un erratum, dans leur dictionnaire, au mot boulevard. Je l'ouvre et on lit ce qui suis: "On dit figurément d'une place forte qui met un grand pays à l'abri de l'invasion, qu'Elle est le boulevard du pays". Un boulevard protégeait autrefois, maintenant, il renverse; il empêchait la destruction, il l'opère. MM. de l'Académie pourront dire d'Attila, qui a fait tant de ruines, "qu'il a été le boulevard du monde".
Quelle mouche vous a piqué aujourd'hui? dira-t-on. Et pourquoi votre style prend-il ainsi les pleureuses?
Vous voulez savoir de qui je suis en deuil? Eh bien, sachez-le donc, je suis en deuil de Paris. Partout la grande armée de la pioche et de la truelle poursuit ses opérations. Allez sur le boulevard des Capucines, vous trouverez le combat engagé contre la rue de la Chaussée d'Antin; plus bas, la rue des Mathurins a disparu, et les bureaux de chemins de fer de Lyon, traqués d'asile en asile, sont pour la quatrième fois obligés de déménager. Descendez plus bas, on démolit autour de l'église de la Trinité. On démolit sur la place du Palais-Royal la rue des frondeurs et l'entrée de la rue Richelieu. Sur le quai, en face du pont Neuf, on démolit en partie la rue de la Monnaie. Rue de Grenelle, on démolit pour prolonger la rue des Saints-Pères. On démolit autour des chemins de fer du Nord et de Strasbourg. On démolit aux abords de la rue Saint-Victor. On va démolir dans la rue Saint-Dominique les plus beaux hôtels de Paris, sans préjudice de ceux de la rue de Bourbon: l'hôtel de Vogüé est en ruines, et l'hôtel de Noailles va disparaître, en attendant l'hôtel de Broglie. On démolit jusqu'aux montagnes, témoin le Trocadéro qui n'est plus qu'une pente douce. Eh bien, quand je vois tout cela, quand je vois mon pauvre Paris qui tombe et qui s'en va; je voudrais être à cent lieues des démolisseurs et des démolitions. Oui, dussé-je casser les pierres sur la grand route, et fumer ensuite philosophiquement ma pipe, un pied chaussé et l'autre nu, comme disait une ancienne chanson qui valait bien celles que l'on chante aujourd'hui.




Je sais ce que vous allez me dire: "MM. les édiles ont leurs raisons".
Qui en doute? Ce n'est pas moi assurément, car je fais profession d'aimer et de respecter, en pupille docile, les tuteurs que je ne me suis pas donnés. MM. les édiles ont leurs raisons, je suis le premier à le reconnaître. Comment n'auraient-ils pas leurs raisons? La philosophie définit l'homme un animal raisonnable, et certainement ils ne font pas exception à la règle.
Vous ajouterez à cela qu'il fallait bien donner de l'air et du jour à Paris, et je serai encore sur ce point de votre avis, quoique j'ai quelque peine à comprendre qu'on ait été forcé pour nous donner de l'air et de la lumière de démolir une partie de notre beau et regretté jardin du Luxembourg. Mais je me tais. Il faut quelque fois approuver de confiance, comme on opine du bonnet, et pour être sûr de ne pas refuser son admiration au génie dont les hautes conceptions échappent aux yeux du vulgaire, ne pas attendre qu'on comprenne pour admirer. D'ailleurs je vois d'ici venir l'argument décisif: "Voulez-vous donc qu'on laissât subsister ces maisons de bois, ces tristes masures où les blanchisseuses étendaient leurs guenilles et les nourrices leurs drapeaux?




"Elles pouvaient convenir à nos pères, mais elles auraient déshonoré Paris, capitale du monde".
A la bonne heure! Il me semblait qu'il y avait longtemps que nous habitions à Paris des maisons de pierre de taille. Mais vous avez raison, j'ai tort, et je me tais."
Seulement, en ma qualité de Parisien, je me serai bien passé de Paris, capitale du monde; Paris, capitale de la France, me suffisait. Je suis, sur ce point, de l'avis des deux écrivains dont je vous ai parlé, MM. Texier et Kamfen. Depuis qu'on a mis dans un bain de plâtre et de chaux Paris, ce vieil Eson, pour le rajeunir, la société a voulu faire peau neuve; les mœurs anciennes s'en vont, la tradition expire, l'esprit parisien s'évapore; Plus de style nulle part, ni dans l'architecture, ni dans les livres; plus d'originalité. Tout le monde ressemble à tout le monde; il y a des modes courantes, de l'esprit courant sur l'asphalte et sur les scènes du boulevard, comme il y a  des compte courants à la Bourse. Quand cet esprit-là court les rues, fermez votre porte et n'oubliez pas de bien clore vos croisées. C'est une mal'aria intellectuelle, dans laquelle entrent par doses égales les mots à double entente, les quolibets grivois, les calembours par à peu près et les plaisanteries banales et triviales, comme l'an passé: "Ohé, Lambert" et, cette année, le mot qui revient comme une rime, dans une pièce d'ailleurs intéressante de M. Sardou, les Bons villageois: "Je me le demande!" Esprit facile, créé pour les menus plaisirs des sots, qui étaient autrefois ici-bas pour nos menus plaisirs.
Que voulez-vous? Ce n'est pas, au fond, la faute de M. Sardou, comme le font remarquer les auteurs de Paris, capitale du monde: "On y accourt de partout , ajoutent-ils, et avec un appétit du diable, le branle est donné, le reste suit. Voyez le théâtre, s'il ne se ressent pas de ces convives plus avides que délicats? C'est pour eux qu'il charge sa table de mets où le poivre n'est pas épargné, non plus que le sel gris. Voyant à quels estomacs il a affaire, le cuisinier dramatique fait une cuisine au goût des convives. Tu veux des épices? En voici. Tu aimes le vin bleu? En voilà. Ce qui se sous-entendait autrefois sur la scène, on le crie ou on le souligne. Le mot cru est là comme chez lui; la bouffonnerie règne, et quand Bobèche s'en va, c'est Galimafré qui arrive."
J'ai peur que les deux auteurs ne calomnient Bobèche et Galimafré, ces aimables paillasses, dont la bêtise était plus drôle, plus amusante et plus spirituelle que l'esprit des bouffons de nos jours. sauf cette rectification, rien de plus juste que leurs observations.
"Je traversais l'autre jour le jardin des Tuileries, s'écrie le médecin idéal dont ils disent tenir leur manuscrit. Une petite fille sautait à la corde: "Plus vite, plus vite! disait-elle à ses compagnes qui tournaient la corde. Le mot de la petite fille est le mot de ce temps-ci."
Il est vrai, il est impossible d'aller plus vite. On démolit vite, on construit vite; on fait fortune vite, on se ruine vite, on voyage vite, on écrit vite, on vit vite, on meurt vite, témoin les morts subites qui n'ont jamais été plus fréquentes que cette année. On improvise des maisons, on plante des arbres tout venus, et il faut biffer le vers du bonhomme de la Fontaine:

Passe encore pour bâtir; mais planter à cet âge!

La littérature à un sol, composée de fantaisies éphémères qui vivent l'espace d'une soirée, remplace la littérature aux chefs d'œuvre immortels. Les quartiers meurent et naissent, les maisons paraissent et disparaissent comme des décorations de théâtre au coup de sifflet du machiniste. Il y un Paris capitale du monde bien aligné, bien espacé, bien badigeonné; ce Paris a toutes les qualités, d'accord, mais il a un défaut à nos yeux, celui de n'être plus Paris.

                                                                                                                            Nathaniel.

La Semaine des familles, samedi 9 mars 1867.

samedi 8 mai 2021

 La vendeuse de journaux.


Quelle histoire que celle des journaux, si on savait la faire, et si on possédait les documents indispensables pour l'écrire! On retrouverait probablement le journal partout, comme le docte M. Victor Leclerc l'a retrouvé chez les Romains sous son nom, qui était déjà inventé, Diurnum, aussi bien que celui des journalistes Diurnarii. Mais, pour écrire l'histoire du journal, un journal ne suffirait pas, il faudrait un livre, un gros livre. Je n'entreprendrai même pas de remonter jusqu'à la première gazette française, celle dont le roi Louis XIII accorda le privilège, en 1631, au docteur Théophraste Renaudot. Il suffira de dire que le docteur Renaudot rapporta de Venise l'idée de cette publication périodique; de là le nom de gazette*, qui vient du mot italien gazetta, petite pièce d'une valeur de deux sous, coût de chaque numéro, et non du mot gazza, comme le prétendent les esprits méchants qui accusent la presse de bavarder comme une pie borgne. Le cardinal de Richelieu, ce grand et puissant rédacteur, ne dédaignait pas de se servir de la gazette de Renaudot, pour parler à la France et à l'Europe. Le roi Louis XIII la lisait fort exactement, et condescendait, dans les cas importants, à exercer les fonctions de censeur royal; il daigna même, en plusieurs occasions, collaborer au dit journal, comme l'affirme Renaudot dans sa requête à la régente Anne d'Autriche: "Chacun sait que le roi défunt ne lisait pas seulement mes gazettes et n'y souffrait pas le moindre défaut, mais qu'il m'envoyait presqu'ordinairement des mémoires; ma plume n'a été que greffière, mes presses ne sont pas plus coupables d'avoir roulé pour ces mémoires que la trompette qui publie les nouvelles."
Sous le règne suivant, Vauban qui a touché à toutes les questions dans ses Oisivetés, a fait une proposition qui, négligée quand il la fit, ne l'a peut-être pas été toujours après lui: "Les ennemis de la France, écrit-il, ont publié et publient tous les jours une infinité de libelles diffamatoires contre elle et contre la sacrée personne du roi et de ses ministres... La France foisonne en bonnes plumes... Il n'y a qu'à choisir une certaine quantité des plus rares et à les employer. Le roi le peut faire aisément sans qu'il lui en coûte rien et pour récompenser ceux qui réussiront, leur donner des bénéfices de 2, 3, 4, 5 et 6 000 livres de rente, ériger ces écrivains en anti-lardonniers et anti-gazetiers."
Je passe rapidement sur le Journal des Savants* qui, comme la Gazette de France*, continue fièrement encore aujourd'hui sa carrière deux fois séculaire. Les journaux burlesques obtinrent une vogue extraordinaire; mais cette vogue ne dura qu'un moment et expira avec Scarron et Cyrano de Bergerac. Le Mercure galant*, avec son langage de petits vers, de relations, de nouvelles, d'énigmes, d'histoires, d'historiettes, de description et de dessins de mode*, d'ariettes et de chansonnettes notées*, eut une vie plus longue; il était entré dans une foule de maisons pour lesquelles il représentait à lui seul toute la littérature. François Colletet, le Colleté crotté jusqu'à l'échine dont parle Boileau dans ses Satires, avait publié, en 1676, le Journal des avis et des affaires de Paris, contenant ce qui se passe tous les jours de plus considérable pour les affaires publiques.*
Les noms se pressent sous ma plume comme ces ombres du Styx qui, dans l'Enéide, assiègent la barque du vieux Caron. La Fronde eut ses Mazarinades*, quoique ce genre d'écrits fût peu encouragé, témoin l'imprimeur Morlot condamné à être pendu et étranglé pour avoir imprimé un pamphlet diffamatoire contre la reine. Le malheureux n'échappa à la potence que grâce à une émeute populaire qui dispersa l'escorte de la charrette entre le Palais-de justice et la Grève. Un poète du temps, c'était l'abbé de Laffemas, nous a conservé, dans sa prose rimée, les noms des principaux pamphlets du temps; car, pendant la Fronde, comme à l'époque de la Révolution française, on criait les journaux dans les rues:

Les crieurs d'huîtres à l'écaille,
Les apprentis et les plus gueux,
Ne sont pas les plus malheureux;
Car n'ayant aucun exercice,
D'abord, comme en titre d'office,
Eux et messieurs les crocheteurs
se sont tous faits coleporteurs (sic).

Les chroniques du temps disent que les crieurs gagnaient plus que les pamphlétaires en vers et en prose. Vraiment, si tous les vers ressemblaient à ceux que nous venons de citer, ce n'était qu'une application de la célèbre formule saint simonienne: "A chacun selon sa capacité, la capacité suivant les œuvres." Mais laissons l'abbé de Laffenas terminer sa nomenclature, en nous montrant les distributeurs:

Aussitôt que le jour commence,
Criant, sans mettre l'Eminence,
Voici l'arrêt de Mazarin,
Voici l'arrêt de Mazarin,
La lettre du cavalier George,
Si le nom n'est vrai, on le forge.
Puis, voici le Courrier françois
Arrivé la septième fois;
Voici la France mal régie;
Puis votre Généalogie;
La Lettre au prince de Condé
Qui vous a si bien secondé.
Après Maximes authentiques
Tant morales que politiques,
Remontrances du Parlement
Qui sont faites fort doctement...
Bref, tout le long de la journée,
Chacun, comme une âme damnée,
S'en va criant par-ci, par-là
En vers, en prose et cætera.

Ces vers n'ont qu'un mérite, mais ils l'ont au suprême degré, celui de donner une idée du mouvement et du bruit qui animaient les rues de Paris à l'époque de la Fronde. Si les Mazarinades ne valaient pas grand chose, on ne les payait pas cher. En général, les auteurs les vendent un petit écu la rame imprimée aux libraires et ceux-ci les vendaient deux liards le feuillet ou le cahier au public par l'intermédiaire des crieurs qui gardaient une remise d'un quart pour leur salaire. Dans ce temps-là, le Petit Journal* à un sol et le Petit Moniteur* eussent été un objet de luxe.
Il y a en histoire des jours qui se suivent et qui se ressemblent, parce que les situations analogues se révèlent par les mêmes symptômes. Quand la Révolution de 89 éclata, il y eut une explosion de journaux comme à l'époque de la Fronde. Au commencement, l'esprit et la gaieté trouvèrent leur expression dans ce pêle-mêle de publications; il suffira de rappeler les Actes des apôtres*. Mais, à mesure que le ciel s'assombrit, la gaieté tomba, l'épigramme, qui passe en sifflant comme un oiseau moqueur, replia ses ailes. La déclamation emphatique, l'invective furieuse, la sensiblerie révolutionnaire qui prenait les pleureuses entre deux massacres, l'ironie amère, la malédiction sanglante, régnèrent dans tous les journaux. On vociféra dans les carrefours: la Grande trahison du comte de Mirabeau*! Peu de temps après, les innombrables crieurs qui sillonnaient les rues, dès le matin, remplirent la ville de ces clameurs qui firent si souvent tressaillir Marie-Antoinette et Madame Elisabeth déjà prisonnières aux Tuileries, avant de l'être au Temple. Puis bientôt on cria dans les rues le Vieux cordelier*, de Camille Desmoulins, l'Ami du peuple*, de Marat, et enfin le Père Duchesne*, de l'immonde Hébert, ce journal qui, tous les matins, était étrangement en colère, et dont on vociférait les facéties à la fois fangeuses et sanglantes sous les fenêtres de la Conciergerie où Mme Roland attendait la mort. Ceux qui habitaient Paris au moment où la République de 1848 fut proclamée peuvent se faire une idée de ce mouvement, de ce bruit, de l'émotion sinistre que produisaient les voix de stentor des crieurs annonçant ces feuilles dont le nom seul était une évocation d'un sombre et sanglant passé. Mais ce n'était heureusement qu'une reprise impuissante et décolorée de l'épouvantable drame qu'avaient vu nos pères. Ces fantômes du passé qui venaient traîner leurs chaînes et leurs haillons sanglants dans le présent disparurent bientôt dans les catacombes de l'histoire.
Depuis ce temps-là, la voix discordante des crieurs de journaux est rentrée dans le silence; le type a disparu; les crieurs et les crieuses à la voix enrouée ont été remplacés par des vendeurs et des vendeuses, personnes muets et inoffensifs qui ne provoquent point le passant par leur appel, mais ne lui livrent leur marchandise imprimée que sur sa demande. Aux Tuileries, dans le jardin du Palais-Royal, sur les boulevards, on a construit des kiosques aux marchands et aux marchandes de journaux. 




Le kiosque que vous avez sous les yeux est celui du boulevard Poissonnière. C'est l'heure où la marchande vient de recevoir ses feuilles encore tout humides, et les acheteurs affluent. Cette petite dame fringante dont le chignon contourné affecte la forme d'un casque de pompier, à demandé si la Patrie* contenait la suite du feuilleton de M. Ponson du Terrail (Bonbon du Sérail, ainsi que l'appellent ses admiratrices), et comme la suite a été remise au lendemain, elle achète le Figaro* où elle espère trouver une chronique poivrée signée de M. Marx, l'historiographe de la robe de chambre du regrettable marquis de Boissy et des chaussons de M. Louis Veuillot. J'aime à croire que Mlle Fifine, que son bébé tient par la robe, veut acheter la Semaine des Familles* et non le Journal des Romans pour tous*. Quant à ce large bonhomme au vaste chapeau, nul doute, il vient chercher le Journal des Actionnaires. Le jeune gentleman qui le suit demandera le Journal des Cochers, car bientôt nous aurons tous notre journal; les chiffonniers ont déjà le leur, sans compter que la plupart des autres journaux finissent par se rencontrer dans leur hotte, ce qui leur a procuré l'honneur d'une épitre de M. Viennet:

Artisans, vagabonds qui dans l'ombre des nuits, 
La lanterne à la main désertez vos réduits...
Vous ne savez donc pas qu'en votre hotte immonde
Vous portez entassés tous les fléaux du monde.

Hélas! Il faut bien le reconnaître, les journaux commencent et finissent par les chiffons!

                                                                                                                         Félix-Henri.

La Semaine des familles, samedi 23 février 1867.

* Nota de Célestin Mira:

* La gazette de Théophraste Renaudot:




* Le Journal des Savants:





* La Gazette de France:



* Le Mercure galant:




* Dessins de mode du Mercure galant:







* Chanson du Mercure galant:




* François Colletet: En fait, dans ses Satires, Boileau parle du père de François Colletet,  Guillaume Colletet:

Tandis que Colletet crotté jusqu'à l'échine
S'en va chercher son pain de cuisine en cuisine.

Cependant, on confondit souvent le père et le fils et le qualificatif de "crotté" fut aussi attaché au fils, qui suivit les traces de son père. Le père avait la réputation d'être un pochard invétéré et un grand amateur de femmes:
" Je n'ai pas pu encore donner à M. Colletet celle (une lettre) qui estoit pour luy dans vostre paquet précédent, les vendanges l'ayant attirées à la campagne et vous sçavés qu'il est amy de la vendange."
" Il étoit naturellement voluptueux, et pour le tenter, il ne falloit estre ni belle ni jeune. Comme il ne vouloit point estre en scandale en son voisinage et qu'il ne pouvoit vivre sans quelque servante, il épousoit celle qu'il avoit prise, et qui n'estoit pas plutost morte qu'il en cherchoit quelqu'autre dont il ne manquoit pas de faire sa femme."
Guillaume, dans sa jeunesse fit partie d'un groupe de poètes libertins. Il composa ces vers d'introduction au Parnasse satyrique:

Tout y chevauche, tout y fout,
L'on fout en ce livre par tout, 
Afin que le lecteur n'en doute;
Les odes foutent les sonnets,
Les lignes foutent les feuillets,
Les lettres même s'entrefoutent!

ce qui ne l'empêcha pas d'être un des tout premier membre de l'Académie française.


Journal de la ville de Paris de François Colletet.



* Mazarinade de 1651:



* Le Petit journal du 3 juillet 1867:





* Le Petit Moniteur du 7 juillet 1914:



* Les Actes des apôtres, journal royaliste créé en 1789, numéro du 1er janvier 1791





* La trahison du comte de Mirabeau:



* Le vieux cordelier:




L'Ami du peuple:




Le Père Duchesne:




* La Patrie:




* Le Figaro, journal non politique du 10 janvier 1867:



* La Semaine des familles:



* Journal pour tous:





mardi 4 mai 2021

Les petits ménages.


Au moment où nous écrivons ces lignes, les Petits-Ménages, qu'on appela dans l'origine les Petites-Maisons*, ont quitté le vaste local qu'ils occupaient rue de la Chaise, n°28, en étendant une de leurs façades du côté de la rue de Sèvres, et se sont établis à Issy. Nous lisons en effet, dans l'excellent Manuel des œuvres et institutions charitables de Paris, tout récemment publié, les lignes suivantes: "Hospice des ménages, 1317 lits à Issy: maison de retraite pour les époux âgés, desservie par les sœurs de Saint-Vincent de Paul. On y reçoit les époux mariés depuis plus de quinze ans et âgés de plus de soixante ans, pourvu que leur âge réunis donnent le chiffre de cent trente ans; les veufs et les veuves de soixante ans et ayant eu dix ans de ménage; les religieuses au nombre de douze, âgées de soixante ans ou atteintes d'infirmités. Il y a 80 chambres gratuites pour les ménages pauvres et 150 lits dans les dortoirs pour les personnes devenues veuves pendant leur séjour dans la maison. On est admis à l'hospice des Ménages soit sur présentation, soit en payant. Le capital à payer pour les époux en chambre, 3200; pour les veufs ou les veuves en chambre, 1600 francs. Toute personne admise doit verser 200 francs ou apporter un mobilier qui consiste en une couchette de fer, une paillasse, deux matelas, un traversin, un oreiller, deux couvertures de laine, deux paires de draps en toile, deux chaises et un buffet; son habillement reste à sa charge."
Ce sont les sœurs de Saint-Vincent de Paul, au nombre de trente, qui desservent et qui desservaient quand il était dans l'immeuble de la rue de la Planche, l'hospice des Ménages, dont l'appropriation à cet usage n'est pas très-ancienne. Nous voyons, en effet, dans les anciens historiens qui ont traité de ces matières, que vers une époque qui ne doit pas être très-éloignée du règne de Louis le Jeune, on créa à Paris ou plutôt hors de Paris deux maladreries destinés à servir d'asile aux infortunés lépreux, très-nombreux à cette époque et auxquels on interdisait l'entrée des villes, parce qu'on redoutait la contagion de leur affreuse maladie. Ces deux maladreries furent celles de Saint-Germain et celle de Saint-Lazare. La première s'élevait sur l'emplacement où plus tard nous avons vu l'hospices des Ménages et où, en attendant la démolition de l'édifice, on entretient aujourd'hui un certain nombre de malades, colonie souffrante venant de l'Hôtel-Dieu.
Plus tard, vers le milieu du seizième siècle, le parlement fut informé que les lépreux reçus dans cet asile, où la charité pourvoyait à leur subsistance, se répandaient dans la ville comme s'y répandent aujourd'hui les pifferari*, afin d'y demander l'aumône. Mais la mendicité de la lèpre était autrement dangereuse que celle de la harpe et du violon, et dont nos oreilles ont seules à souffrir. Le parlement, considérant que l'extension continue de la ville l'avait trop rapprochée de la maladrerie de Saint-Germain, ordonna la démolition de cette maladrerie, qui serait reconstruite dans un lieu plus distant de la cité, soit avec les même matériaux si cela était jugé utile, soit avec d'autres matériaux, auquel cas les anciens seraient vendus au profit des pauvres ainsi que l'emplacement. Le cardinal de Tournon, abbé de Saint-Germain, représenta alors que la maladrerie était bâtie sur la terre de son abbaye, la vente devait avoir lieu à son profit. Le parlement reconnut que sa demande était fondée en droit, et il fut fait comme l'abbé de Saint-Germain l'avait demandé.
Treize ans plus tard, en 1557, la ville acheta le terrain et y fit construire les bâtiments qui subsistent encore aujourd'hui, mais qui seront bientôt démolis. Ces bâtiments, lors de leur construction, furent destinés à recevoir les mendiants incorrigibles, les pauvres, les infirmes, les vieillards, les femmes sujette au mal caduc, les teigneux et les fous. On voit que la triste collection des plus hideuses misères humaines, celles qui s'attaquent à l'esprit comme celles qui s'attaquent au corps, était là au grand complet. Les premiers seigneurs du lieu, les lépreux, étaient dignement remplacés. Ce n'est pas sans raison qu'Alexis Monteil fait dire à un personnage de son livre, dans le troisième volume qui montre les Français des divers Etats au seizième siècle: "De notre temps il s'est élevé à Paris, sous le nom d'Hôpital des Teigneux, un établissement où se trouve, passez-moi cette manière de parler, un assortiment complet d'infirmités, où chacun a pour ainsi dire sa tablette, au moins sa loge, où le service est fait à aussi bon marché et aussi bien qu'il est possible; les infirmes eux-mêmes sont surveillants, ils sont eux-mêmes tailleurs, lingers, blanchisseurs, commissionnaires, garde-malades. Le gouverneur est le seul qu'on paye."
Il y a un grand nombre d'anciens hôpitaux dont on ignore les fondateurs. La main droite a caché à la main gauche ses aumônes, selon le précepte évangélique, et comme ces maîtres des pierres vives du moyen âge, en élevant les plus beaux monuments, désiraient que la gloire en fut à Dieu et que les noms des architectes fussent oubliés, les hommes généreux qui consacraient une partie de leurs biens au pauvres ont souvent voulu que leur bonne œuvre subsistât seule et que le nom des ouvriers de charité fût oublié.
" A Rouen, fait dire Alexis Monteil à l'un de ses interlocuteurs, les Normands ont été plus fins. J'y ai été malade. Je me souviens que tous les samedis, à six heures du soir, une voix se faisait entendre: Guillaume Lebreton, écuyer, conseiller, échevin, fut un des principaux bienfaiteurs de cette maison. Pauvres, priez; n'oubliez pas celui qui ne vous a jamais oubliés. Un jour la cloche sonna extraordinairement. Tous les malades se mirent à prier. J'avais dans ce moment une colique violente.
"-Mon voisin, me dit en nasillant un gros homme du pays, alité à côté de moi, c'est la fondation du chanoine Brice, il faut dire un Pater et un Ave si l'on peut. Tâchez de le dire, vous ne vous en repentirez pas!"
"Véritablement, un moment après, on servit un gros pigeon rôti et une bouteille de vin à chaque malade. Ce bon chanoine a fondé six pareilles fêtes de malades, qui ont lieu tous les ans. Un autre jour, la cloche sonna à une heure non accoutumée. Les malades se jettent aussitôt à genoux et l'un d'eux dit le Pater noster. A l'instant, la porte s'ouvre, et un serviteur de l'hôpital, tenant un grand sac d'argent, nous donna à chacun dix sous. Ah! combien de bénédictions furent données au nom du fondateur Cotterel, grand prieur de Saint-Ouen!"
J'ai cité cette aimable page d'Alexis Monteil parce qu'elle donne une idée de la différence de la charité affectueuse et prodigue de nos pères avec la charité correcte mais un peu sèche de notre temps. La charité de nos pères ne se contentait pas de donner le nécessaire aux nécessiteux, elle leur ménageait des douceurs, elle leur faisait des surprises, et vous reconnaissez le sentiment qui dicta la disposition du testament de Suger par laquelle il prescrivait qu'à certaines grandes fêtes de l'année on donnât à ses moines, en l'honneur de sa mémoire, une pitance plus forte avec une mesure de bon vin. Ce grand homme, ce bon père savait que le cœur humain a besoin d'être quelquefois réjoui pour avoir le courage de reprendre le fardeau de ses misères. La charité de ce temps était ingénieuse, attentive, prévenante; savez-vous pourquoi? c'est qu'elle aimait. Elle avait à la bouche un mot charmant: "Mes bons pauvres." La charité de nos jours est digne de louange sans doute, mais elle est plus raisonnable qu'affectueuse. Elle n'a point d'effusion, elle ne baise point les pieds des lépreux, comme saint Louis après les avoir lavés. Elle n'aime pas, elle remplit un devoir, elle fait strictement le nécessaire pour les nécessiteux, elle calcule, elle administre. Voilà le grand mot lâché. Notre temps est administrateur.
Cela dit, faisons comme le gros homme du pays, situé à côté du malade d'Alexis de Monteil, et disons que le principal fondateur de l'hôpital Saint-Germain fut Jean Huillier de Boulencourt, président de la chambre des comptes. Il donna des rentes et des meubles et fit élever plusieurs des bâtiments. La forme de leur construction, qu'il faut attribuer vraisemblablement à la diversité de leur destination, les fit appeler les Petites-Maisons, parce qu'effectivement ces édifices étaient petits et séparés les uns des autres; or, comme il y avait une partie de cet établissement consacrée à recevoir les fous, on voit quelle est l'origine de cette locution, les Petites-Maisons, appliquée comme un synonyme de la folie: "Il est bon à mettre aux Petites-Maisons."
La chapelle de l'hôpital, rebâtie en 1615, fut dédiée sous le nom de Saint-Sauveur, et l'on bénit, en 1656, celle de l'infirmerie sous le nom de la Sainte-Vierge. Au moment de la révolution de 1789, l'hôpital Saint-Germain ne formait qu'un seul et même établissement avec le grand bureau des pauvres et était destiné à quatre usages principaux: on y recevait quatre cents personnes vieilles et infirmes des deux sexes, les fous, les personnes atteintes de maladies contagieuses, les enfants teigneux. Le bâtiment construit sur la rue de la Chaise avait cette dernière destination. C'est à partir de la Restauration de 1815 que l'ancien hôpital Saint-Germain est devenu exclusivement l'asile des personnes âgées et infirmes des deux sexes et qu'on l'a appelé l'Hospice des Ménages.




Le banc dessiné par Felleman et que nous plaçons sous les yeux des lecteurs a été pris sur nature dans le jardin de la rue de la Chaise avant la translation de l'établissement à Issy. C'est un triste tableau que celui de la vieillesse et de la pauvreté, surtout quand les vieillards, détachés du foyer de la famille, viennent abriter sous le même toit leurs souffrances et leurs infirmités. Auprès du foyer domestique, ceux qui s'en vont ont leur place marquée auprès de ceux qui viennent, ce sont des souvenirs auprès des espérances; et le grand-père et la grand'mère, ainsi entourés, ressemblent à ces vénérables ruines sur lesquelles on voit des plantes vivaces grimper ou s'épanouir de fraîches giroflées qui les embaument de leurs parfums. C'est une triste chose, au contraire, qu'une réunions de caducités et de maladies, ramassés dans un cadre où aucun rayon ne luit, où aucune espérance ne vient sourire, et l'on dirait, quand on pénètre dans ces mornes asiles de la souffrance et de la vieillesse, qu'on entre dans l'antichambre d'une nécropole. N'importe. Il faut se souvenir que ces lieux existent afin d'avoir le cœur piteux envers les vieillards, comme disaient nos pères. Il faut adoucir les jours que Dieu les oblige à passer encore sur la terre et se souvenir que sous cette enveloppe flétrie par les ans, dans ces corps courbés et infirmes, il y a une âme immortelle qui trouvera des ailes plus agiles que celle de la colombe pour remonter vers son Créateur, et qui reviendra un jour vivifier, rajeunir, transfigurer le corps, son compagnon de route sur la terre, et lui communiquera sa bienheureuse immortalité.

                                                                                                                                  Félix-Henri.

La semaine des familles, samedi 24 août 1867.

* Nota de Célestin Mira:

* Les Petites-Maisons: l'hôpital des Petites-Maisons a remplacé en 1557, au faubourg Saint-Germain, une maladrerie datant de 1497. C'était, en autre,  un asile d'aliénés destiné à recevoir "des personnes insensées, faibles d'esprit ou même caduques"

* Pifferari: voir l'article sur Les pifferari.