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mardi 31 mars 2015

Musées cantonaux.

Musées cantonaux.
Leur but-Ce qu'ils contiennent-Comment on peut les créer.



Les musées cantonaux, qui commencent à se propager en France (1), ont déjà rendu de grands services à l'éducation populaire dans d'autres pays, en Suisse, en Angleterre, en Belgique, en Russie et aux Etats-Unis d'Amérique.
Ces musées, établis surtout dans l'intérêt des petits centres de populations agricoles, diffèrent des musées des grandes villes; ils sont naturellement beaucoup plus modestes, bien que leur cadre puisse s'élargir considérablement avec les années, en proportion de la générosité des donateurs, des ressources des communes, et surtout de la curiosité intelligente des habitants.
Un musée cantonal comprend ordinairement quatre sections: une section artistique, une section agricole et industrielle, une section scientifique et une section historique.
La section artistique est en général assez restreinte: il est très-utile d'initier tous nos concitoyens aux nobles jouissances de l'esprit et de l'imagination; mais on estime qu'il faut avant tout se préoccuper de ce qui se rapporte aux travaux et aux besoins journaliers.
La section agricole et industrielle admet tout objet se rattachant à l'agriculture et à l'industrie de la localité. On y trouve des gravures programmes, ou des modèles réduits de machines et des instruments qui peuvent être utilisés dans le canton (2). On y voit figurer des spécimens de graines, de fruits, de racines, de produits manufacturés. On y expose les objets les plus simples, depuis les pierres servant à l'entretien des routes, les briques employées à la constructions des maisons, le bois des forêts, jusqu'à des échantillons de pains. Les métiers et les professions manuelles du canton y sont représentés.
La section scientifique offre des éléments d'études pour la physique, la chimie, la mécanique, la géologie et l'histoire naturelle. On y remarque quelques uns des instruments les plus en usage dans les laboratoires de physique et de chimie; des gravures ou tableaux représentant les grands aspects de la nature (aurores boréales, volcans, etc.) , avec des notices explicatives; des spécimens géologiques des principaux terrains du canton, avec l'indication exacte de la localité dans laquelle ils se trouvent, de leur composition physique et chimique, du mode de culture qui leur convient suivant l'altitude et l'orientation du lieu; enfin les fossiles qui les caractérisent. On y met sous les yeux des habitants des cartes géographiques, géologiques, agricoles, industrielles, etc.; des insectes utiles et nuisibles, de petits quadrupèdes empaillés, des reptiles, des poissons, des mollusques, des oiseaux propres à la localité, avec une notice expliquant leurs mœurs, les avantages et les dangers de la présence de chacun d'eux; enfin, quelques collections botaniques où les propriétés médicales sont indiquées avec les moyens de les propager ou de les détruire.
La section historique contient des gravures, des photographies représentant les principaux monuments du canton. Une notice sur chaque édifice indique l'époque approximative de sa fondation, de sa destruction, le style dans lequel il a été construit, son usage, et les principaux événement dont il a été le théâtre. On y réunit aussi des notices biographiques sur les hommes nés dans le pays et dont il est bon de rappeler les nobles exemples; on y ajoute la liste des cultivateurs et des négociants récompensés dans les concours et les expositions.
Les directeurs des musées cantonaux organisent de plus, à certaines époques, diverse séries d'expositions d'une durée plus ou moins longue, suivant l'importance qu'ils croient devoir accorder à tel ou tel enseignement.
Si dans un musée cantonal on a des doubles ou plus d'objets scientifiques, industriels ou agricoles qu'on n'en peut placer, on dote de ce surplus les petits musées scolaires des écoles rurales du canton, à la condition que les instituteurs et les institutrices en feront réellement profiter leurs élèves et inaugureront en France les promenades scolaires, que par expérience l'on sait être si utiles au point de vue de l'enseignement par l'aspect, et si favorables à la santé des enfants.
Les musées cantonaux doivent avoir pour résultat:
- de faire naître l'esprit d'observation parmi les enfants des écoles;
- de favoriser leur vocation pour telle ou telle profession par la vue des objets qu'ils auront constamment sous les yeux;
- de contribuer à accroître les richesses matérielles de chaque région par la vulgarisation des meilleures machines agricoles et industrielles, des meilleurs procédés de culture et des meilleures races d'animaux à protéger dans le canton, enfin par le développement d'une légitime émulation entre les cultivateurs et les industriels dont les produits sont représentés au musée cantonal. (3)
Ajoutons que pour organiser un musée cantonal il suffit de s'assurer de l'autorisation de l'administration municipale. Il importe de ne pas trop avoir d'ambition en commençant. Plusieurs des musées actuels sont installés dans une salle de la mairie ou de la caisse d'épargne, ou même dans une des salles de la justice de paix; mais il faut quelque argent pour la construction des vitrines et pour l'achat de quelques collections en nature, de cartes, de planches en noir ou coloriées. Les collections qui se rapportent à l'histoire naturelle peuvent se faire peu à peu dans les promenades. Il est besoin, en somme, pour réussir dans ces fondations, de plus d'efforts de bonne volonté et d'esprit que de ressources pécuniaires. (4)

(1) Il existe des musées cantonaux: à Lisieux, Honfleur, Mézidon, Bayeux, Isigny, dans le Calvados; Pont-Audemer, dans l'Eure; Flers et Domfront, dans l'Orne; Villedieu et Granville, dans la manche; Pornic, dans la Loire-Inférieure; Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme; Saint-Tropez, dans le Var; etc. etc.
(2) Ces gravures-programmes et ces modèles réduits sont généralement envoyés gratuitement par les inventeurs et les marchands de machines.
(3) Les organisateurs du musée cantonal de Mézidon, en quatre mois, sont parvenus à construire des vitrines murales de plus de sept mètres de longueur, et ont réunis des collections de spécimens géologiques et d'histoire naturelle, trouvés dans la localité, trop nombreux pour pouvoir y être contenus
Toutes les places disponibles dans les vitrines du Musée de Lisieux ont été retenues avant même leur construction.
Les conseils municipaux de Flers et de Pont-Audemer ont voté des fonds pour la construction des vitrines du musée cantonal de leur localité.
(4) Parmi les personnes qui ont concouru jusqu'ici avec le plus de zèle à la création de musées cantonaux, nous devons citer M. E. Groult, auquel la Société libre pour le développement de l'instruction et de l'éducation populaire a décerné, en avril 1877, sous la présidence de M. le duc de Doudeauville, une médaille d'or.

Magasin pittoresque, septembre 1877.

Lannion.

Lannion.
(Côtes-du-nord)


Lannion ressemble à beaucoup d'autres petites villes de Bretagne. Sans avoir rien de particulier par elle-même, elle est dans une situation pittoresque qui fait que l'artiste s'y arrête avec plaisir, et l'inscrit comme un agréable souvenir sur son journal de voyage.
Quand on arrive par la route du Léguer, si fraîche et si accidentée, on aperçoit d'une certaine distance Lannion, les collines qui l'entourent et les arbres qui les couronnent: toute cette verdure fait un fond gracieux aux maisons qui s'étagent sur les pentes.
Lorsque vous serez entré dans la ville, vous trouverez peut-être des pentes un peu roides, les pavés un peu inégaux, les maisons un peu tristes; mais vous songerez que les environs sont charmants, que les quais offrent une jolie promenade, et qu'après tout il n'est pas mal qu'une petite ville ait des rues sinueuses et montantes: cela repose de la beauté uniforme des rues interminables et tirées au cordeau, qui sont aujourd'hui trop à la mode dans toutes les grandes villes.
On trouve le nom de Lannion cité dès le douzième siècle, dans des chartes relatives à des donations religieuses: c'était une ville fortifiée. Pendant la guerre de cent ans, en 1346, le capitaine anglais Richard Toussaint, maître de la Roche-Derrien, avait essayé à plusieurs reprises de prendre et de surprendre Lannion, qui était dans une position très-commode pour communiquer avec la mer et pouvait fournir du butin. 
Deux soldats de la garnison trahissant leurs concitoyens, se laissèrent gagner et ouvrirent une poterne, un matin, au point du jour. Les Anglais entrèrent, et, une fois en nombre, se mirent à tuer et à piller.
"Réveillé par le bruit, un chevalier nommé Geoffroy de Pontblanc, qui était encore au lit, se leva, et, saisissant une lance et une épée, descendit dans la rue, où il se défendit vaillamment contre tous ceux qui se présentèrent, jusqu'à ce qu'un archer, lui ayant décoché un trait, le blessa au genou et le fit tomber: les Anglais se précipitèrent alors sur le brave chevalier, lui arrachèrent les dents avec fureur, et finirent par le tuer. Le souvenir de la mort héroïque de Geoffroy de Pontblanc est consacré par une croix que les Lannionais ont érigée à sa mémoire et scellée contre une des maisons de la rue de Tréguier, à l'endroit même où ce vaillant défenseur de la ville reçut la mort.
"Le château de Lannion fut démantelé à cette époque, et il ne paraît pas qu'il ait jamais, depuis, été remis en défense. Dès la fin du quinzième siècle, il était complètement ruiné, ainsi que le constate une charte de 1489."
La chapelle du château a été remplacée par l'église Saint-Jean du Baly, construite pendant les seizième et dix-septième siècles. On la voit au milieu de notre gravure, avec sa nef sans transept et sa grosse tour carrée, comme on en trouve à plus d'une église du seizième siècle.



Le quinzième et le seizième siècles sont encore représentés à Lannion par quelques maisons curieuses à encorbellements et à pignons, qui entourent l'hôtel de ville de construction récente.
D'autres édifices religieux du dix-septième siècle, élevés soit sur la rive droite, soit sur la rive gauche du Léguer, méritent l'attention.
Au dix-huitième siècle, le duc d'Aiguillon assista à la pose de la première pierre des quais de Lannion; une inscription en fait foi. Il venait autrefois à Lannion des bateaux d'un plus fort tonnage qu'aujourd'hui; il s'y fait néanmoins toujours un commerce assez actif d'importation et d'exportation.
Le dix neuvième siècle laissera à son tour sa trace dans cette ville, grâce à la construction d'un édifice philanthropique. Depuis une dizaine d'années, Lannion possède un bel hospice civil, et comme les pauvres et les malades manquent en Bretagne moins encore peut-être qu'ailleurs, cet établissement est appelé à rendre de grands services.
Si vous sortez de Lannion dans la direction du nord, vous trouverez d'abord un verdoyant vallon, plein d'ombre et de fraîcheur. De l'autre côté de ce vallon commence une colline assez escarpée. Montez jusqu'en haut par le long escalier de dalles qu'on y a ménagé; une fois au sommet, vous jouirez d'une belle vue sur Lannion et sa campagne, et de plus vous pourrez voir de près un édifice qui a sa valeur: c'est l'église de la commune de Brélévenez. Bâtie vers la fin du douzième siècle, à l'époque où le style roman s'acheminait vers le style ogival, elle fut remaniée à l'époque du gothique de la troisième période, et complétée par une belle flèche en pierre de ce dernier style. On voit dans notre gravure le clocher qui s'élève au-dessus des maisons, des arbres, et domine ce coin du pays.

Magasin pittoresque, septembre 1877.

Aiguières ou aquamanilles.

Aiguières ou aquamanilles.

Parmi les ustensiles de fonte que nous a laissé l'art allemand du moyen âge, les plus curieux et les plus originaux peut-être sont les vases à eau destinés au lavement des mains avant et après le repas et désignés communément sous le nom d'aiguières ou aquamanilles.



Presque tous ces vases affectaient la forme d'animaux réels ou chimériques. 



On retrouve un peu partout, du reste, à cette époque, des objets usuels fabriqués en façon d'animaux, et nous en avons fréquemment donné des exemples (notamment des chandeliers).



Ce goût s'étendait même aux objets destinés au service des autels. Dans l'inventaire du mobilier dont Théodoricus, abbé du célèbre monastère de Saint-Tron, près de Liège, avait enrichi son église, on voit figurer une colombe de bronze servant d'aiguières et destiné au lavement des mains de l'officiant.



L'usage de ces aquamanilles était général; nulle part on ne se mettait à table sans se laver les mains, ou tout au moins l'extrémité des doigts, avec de l'eau aromatisée et surtout de l'eau de rose ou eau rose si appréciée de nos ancêtres; l'annonce des repas, faite chez les princes et les grands seigneurs au son du cor, avait même reçu un nom particulier qui témoigne de la généralité de cette habitude: on l'appelait corner l'eau.



Tous ces vases de bronze étaient habituellement fondus avec beaucoup de soins et souvent retouchés au burin avec art. La plupart ne manquent pas de style et d'un certain caractère décoratif. 


Quelques aiguières présentaient à la partie antérieure une sorte de biberon à robinet; mais le plus ordinairement l'eau, qu'on introduisait au moyen d'un petit couvercle à charnière dissimulé au-dessus de la tête, s'écoulait par le conduit que l'animal tenait dans sa bouche. Ces sortes d'ustensiles étaient fabriqués principalement aux environs d'Augsbourg et à Nuremberg.

Les aiguières représentées ici sont du treizième et quatorzième siècle. (collection de M. Pickert)
Dessins d'Edouard Garnier.

Magasin pittoresque, septembre 1877.

lundi 30 mars 2015

Le match nautique du 22 mai 1892.

Le match nautique
        du 22 mai 1892
entre la Seine et la Marne.

(dessins de M. de Lagesse.)



Nous ignorons si beaucoup de nos lecteurs font partie des sociétés canotières qui entourent Paris, mais un grand nombre d'entre eux s'intéressent aux efforts de la génération actuelle pour reconquérir la force corporelle de nos aïeux, porteurs d'armures.










Les courses à pied, la lutte,  le lawn-tennis, la paume, l'escrime, les sports nautiques et même le vélocipède concourent à cette résurrection physique qui ne peut nuire, espérons-le, à la résurrection morale.




La France illustrée, 28 mai 1892.

Vive la France!

Vive la France!




                                                 Salon de 1892. -Vive la France!

               Exécution de C. Gombald (de Dinan), sergent au 2° Tirailleurs, à Ingols'tad, Janvier 1871.

                              Tableau de M. Moreau de Tours (Georges).- (Phot. A. Block).


M. Moreau de Tours a rendu avec un profond sentiment de vérité et de patriotisme cette scène poignante de la guerre de 1870.
Condamné à mort, à la suite d'une altercation avec un caporal allemand, C. Gombald, sergent au 2° tirailleurs, interné à Ingols'tad, fut amené garrotté, sans bandeau sur les yeux. Il n'en a pas voulu. Six mille français, qu'on force à jouir du spectacle, l'entourent.
"Vous autres, dit-il aux fusiliers bavarois, ne tirez que lorsque j'aurai donné le signal."
"Et vous, chers camarades, je vais mourir; mais avant, criez tous avec moi:"Vive la France!"
Et une immense clameur s'élève dans tous les rangs des Français, et les rives du Danube sont forcées de répéter: "Vive la France."

                                                                                                                 Abbé Landau.
                                                                                                                                               (Six mois en Bavière.)

La France illustrée, 14 mai 1892.

Ceux dont on parle.

Bérenger.


M. Béranger est un brave homme. Ses discours sont ennuyeux, parce que c'est le propre des braves gens d'être ennuyeux, surtout quand ils sont sénateurs. Il ne faut pas leur en vouloir.
C'est dans la magistrature debout que M. Bérenger a commencé sa carrière: il y resta dix-sept ans. Il était en 1870 avocat général à Lyon. S'étant mêlé aux luttes politiques de l'époque, il fut arrêté par le procureur de Lyon, dont il avait voulu prendre la défense: on le relâcha au bout de douze jours de captivité.
M. Bérenger se fit alors inscrire au barreau ainsi que sur les contrôles de la garde nationale. Mais, voyant que ces marques de bonne volonté ne paraissaient pas à ses adversaires politiques, les radicaux, des gages suffisants de son loyalisme, il ne craignit pas, bien qu'il eut quarante ans, qu'il fut marié et père de famille, de s'engager comme volontaire parmi les mobilisés du Rhône et de se faire blesser à la bataille de Nuits. Des travaux plus paisibles lui incombèrent alors: il fit partie de l'Assemblée nationale et fut même ministre des Travaux publics du 19 au 24 mai 1873; vous pensez bien qu'il n'eut pas le temps de faire construire le moindre viaduc ni même de s'assurer des opinions républicaines de nos cantonniers. Aussi, l'histoire ne gardera-t-elle qu'une bien faible trace de la participation de M. Bérenger à l'administration des affaires du pays.



Il devait sous peu prendre une éclatante revanche: il fut, en 1875, nommé sénateur inamovible. Dix-sept ans passés dans la magistrature debout valait bien un siège, on lui en a donné un pour la vie.
Depuis lors, les préoccupations de M. Béranger sont plutôt morales que politiques: d'abord monarchiste convaincu, puis excellent républicain, il n'est peut être pas entièrement satisfait du régime auquel il s'est rallié; mais au lieu de changer les institutions, il prétend aujourd'hui changer les hommes!
Les criminels l'ont particulièrement intéressé. Sans doute, c'est pour leur faire oublier les réquisitoires qu'il prononça autrefois contre eux qu'il s'est voué à leur relèvement. Il est l'auteur de plusieurs lois destinées à adoucir l'effet des condamnations et il a, comme l'on sait, donné son nom à l'une d'elles, la plus humaine.
Il ne faudrait pas croire pourtant qu'à force de s'intéresser aux canailles, M. Bérenger ait oublié les honnêtes gens. Sa sollicitude s'étend sur la nation toute entière, et il a entrepris de relever notre moralité: pénible tâche! C'est dans cette vue qu'il ne perd pas une ligne des journaux, qu'il furette dans l'arrière boutique des libraires et tend l'oreille aux propos galants. Curiosité? Non: abnégation. semblable à ces censeurs héroïques qui expurgent les pièces de théâtre et risquent la damnation pour nous l'épargner, M. Bérenger s'expose à toute heure à rencontrer cette hydre, la Licence. Il l'épie, il la provoque, il la dénonce; il s'est fait délateur par vertu, et ferme les yeux quand le soleil se découvre.

                                                                                                               Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 janvier 1905.

Saint-Martin, marquis de Miskou.

Saint-Martin, marquis de Miskou
          mandarin du royaume de Siam.



La Basse Normandie, et particulièrement la ville de Caen, furent réjouies, durant quarante années du règne de Louis XIV, par la vanité extravagante du grotesque personnage dont nous reproduisons les titres et la figure.
Cette vanité le rendit le jouet de nombreuses mystifications auxquelles prirent part, comme acteurs, tous les beaux esprits de la province, entre autre Segrais, Huet et l'intendant Foulcault. Ce dernier avait songé à faire recueillir, sous le titre de Sammartiniana, les faits et gestes de ce héros drôlatique; mais ce qu'il négligea d'accomplir, tous les ana du grand siècle l'ont fait, et Charles-Gabriel Porée, curé de Louvigny, et frère du célèbre jésuite professeur, a écrit un gros livre, sous le titre de Mandarinade, sur cette plaisante victime de la Basse Normandie.
A Caen, on n'appelait le pauvre homme que Saint-Martin de la Calotte, et il a conservé ce sobriquet dans la tradition du pays. On fit de lui mille portraits ou caricatures, soit en peinture, soit en sculpture. J'en ai vu qui étaient griffonnés à la plume sur la marge de ses ouvrages. Le portrait qui a servi de modèle pour notre gravure est aujourd'hui le morceau le plus curieux du Musée de Bayeux. 


L'abbé de Choisy possédait, en 1680, un buste de l'abbé de Saint-Martin, taillé par Jean de Saint-Igny, sculpteur et peintre normand.
Messire Michel de Saint-Martin, écuyer, sieur de la Mare du Désert, protonotaire du Saint-Siège apostolique, docteur en théologie de l'université de Rome, agrégé à celle de Caen, marquis de Miskou dans la Nouvelle-France, et mandarin du premier rang du royaume de Siam, était venu au monde vers le commencement du règne de Louis XIII. Il était fils d'un riche marchand de Saint-Lo, qui s'était fait anoblir en achetant une noblesse du Canada, le tant vanté marquisat de Miskou. Michel de Saint-Martin voyagea durant sa jeunesse en Italie et en Flandre; mais il n'y observa que l'étiquette et les costumes; si bien qu'à son retour, ayant été élu recteur de l'université de Caen, il se mit en tête de faire porter des robes grises et des toques à tous les étudiants, à la manière des collèges de Rome. Les juges de Caen ne lui ayant pas donné raison, il en appela au parlement de Rouen, devant lequel il plaida lui-même sa cause en habit de recteur. Messieurs du parlement, pour ne point abattre trop cruellement sa vanité, lui accordèrent deux articles sur soixante, dont se composait sa longue requête.
Il entreprit aussi de réformer la cave des Cordeliers de Caen; mais ceux-ci, comme le logement qu'il occupait dépendait de leur couvent, le firent sommer par huissier de déménager dans trois mois et un jour, suivant la coutume de Normandie. Le principal moyen de défense qu'employa contre eux l'abbé de Saint-Martin fut l'inconvénient de démolir et de rebâtir son lit de brique en si peu de temps; raison péremptoire et sans réplique dans un temps d'hiver où la maçonnerie ne sèche qu'à force de feu, où le mortier par sa transpiration peut causer des maladies et la mort même. Le marquis de Coigny, gouverneur et bailli de Caen, voulut juger lui-même cette affaire, et, après les plaidoyers et conclusions des avocats, il prononça gravement que le sieur de Saint-Martin aurait six mois pour démolir et rebâtir son lit, aux termes des ordonnances qui accordent ce temps aux boulangers et pâtissiers à cause de leurs fours. 
Ce lit merveilleux, dont il a été tant parlé dans la province, méritait en effet le nom de four. Représentez-vous, dit l'auteur contemporain, un de ces vieux carrosses ou coches du temps passé, qui n'avaient qu'une portière. Les côtés étaient des murailles de brique assez épaisses, bien cimentées. L'impériale était une voûte aussi de brique liée avec du bon ciment. Le tout était natté en dedans et en dehors; la natte qui était au dedans était couverte de peaux de lièvre. A l'un des côtés était l'ouverture par où l'on était introduit dans ce lit singulier. Au-devant de  cette portière était un double rideau, dont l'un était de peaux. Sous le lit était pratiqué un fourneau où l'on mettait de la braise pour y entretenir une douce chaleur. Là, l'excentrique abbé, couvert d'un pantalon doublé de peaux de lièvre, reposait entre deux couvertures de la même étoffe. C'est ainsi qu'il faisait la nique, disait-il, au plus grand froid et aux vents coulis, ses ennemis irréconciliables.
Dans le fort de l'été, il avait un lit ordinaire et se servait de draps; mais dans les plus grandes chaleurs, il quittait rarement son pantalon, disait assez souvent qu'il valait mieux suer que trembler, et que c'était la chaleur seule qui nous entretenait la vie. Son habillement de jour était plus singulier encore: outre neuf calottes en hiver et six en été, il avait par-dessus un capuchon doublé de peaux en hiver, et de futaine en été. Le tout était couronné d'un bonnet à la polonaise qu'il ne quittait que lorsqu'il allait en visite. Ce bonnet fit place ensuite à son digne bonnet de mandarin. Il n'usait pas de moindre précaution pour ses jambes que pour sa tête; il portait neuf paires de bas et des bottines de maroquin par dessus, doublées de peau d'agneau. En été, il se contentait de six paires de bas, et quittait ses bottines qu'il remplaçait par des chausses de drap doublées de peau. Cet ajustement lui donnait une figure des plus comiques. Enfin, outre un petit pantalon plus léger que celui de la nuit, il portait un justaucorps de drap noir doublé en tout temps de peaux de lièvre.
Ces étranges habitudes lui avaient été conseillées, disait-il, par le fameux médecin gentilhomme Delorme, personnage presque aussi extravagant que son élève l'abbé de Saint-Martin. Celui-ci ne crut pas devoir priver ses compatriotes des recettes inestimables qu'il avait recueillies dans une aussi docte fréquentation, et il publia "les Moyens faciles et éprouvés par M. Delorme pour vivre plus de cent ans." Un certain bouillon rouge, dont la base était l'antimoine, composait le "Remède royal merveilleux", la panacée universelle ordonnée par l'abbé de Saint-Martin, et célébrée par les chansonniers bas-normands.
Ce pauvre abbé avait toujours à la fois, cinq ou six procès contre les étudiants et les gentilshommes qui se permettaient de rire de trop près de sa perruque et de ses grimaces. Une livraison entière de notre recueil ne pourrait suffire à raconter, ni même à rappeler toutes les aventures comiques de l'abbé de Saint-Martin. Le récit le plus complet que j'en puisse indiquer a été écrit par Adrien Pasquier, le curieux cordonnier rouennais, dans son immense compilation de biographie normande qui se trouve à la bibliothèque de Rouen. Il cite l'histoire de la Bastille de Constantin de Renneville, le Huetiana, le Segraisiana, les Mélanges de Vigneul de Marville, vingt autres livres encore. 
Je dois me borner à expliquer en quelques mots la comédie archifolle qui valut au marquis de Miskou, protonotaire du pape, le titre et le bonnet de mandarin de première classe du royaume de Siam. Cette mystification splendidement machinée eut pour occasion l'étrange scène jouée à Versailles, l'ambassade du roi de Siam à Louis XIV. En 1685, le chevalier de Chaumont fut nommé ambassadeur à Siam; deux ou trois beaux esprits de Rouen, qui connaissaient le caractère de l'abbé de Saint-Martin, lui écrivirent au nom du chevalier. M. de Chaumont priait M. de Saint-Martin, qui connaissait si parfaitement les usages de la cour de Rome et de celles de Venise, Parme, Plaisance, Gènes, Bruxelles, de vouloir bien lui fournir des mémoires pour se conduire avec succès dans son importante mission. Une si haute marque d'estime remplit de joie le pauvre abbé, qui composa sans désemparer les instructions, et les fit tenir à M. de Chaumont avec un exemplaire de son livre de médecine pour le plus grand bien de M. l'ambassadeur, de tout son équipage et de Sa Majesté siamoise.
A peine M. de Chaumont fut-il arrivé à Siam, et eut-il été présenté au roi, que l'abbé de Saint-Martin reçut de lui des lettres de remerciements pour ses instructions. Le roi de Siam avait mis le livre de médecine dans la place d'honneur de sa bibliothèque, et voulait le buste de l'auteur pour le placer sous un dais au milieu des plus illustres savants de l'Orient.
M. de Grandmaison, enseigne de vaisseau, qui avait été du voyage de Siam, étant passé par Caen, se prêta à entrer dans la plaisanterie du pays, et alla porter à M. de Saint-Martin les compliments de M. de Chaumont et les témoignages d'estime de la cour de Siam. Puis on ne tarda pas à annoncer à l'abbé que l'ambassadeur de Siam, venant d'arriver à la cour de France, était chargé entre autres choses, de la part du roi son maître, d'emmener M. le marquis de Miskou avec lui lors de son retour à Siam, pour être le premier médecin de Sa Majesté siamoise, avec de gros appointements et la dignité de mandarin du premier ordre. Enfin, au bout de trois semaines, vers le temps du carnaval de 1687, l'abbé de Saint-Martin fut informé que l'ambassadeur du roi de Siam, mandarin du premier ordre, et huit autres mandarins, étaient arrivés à Caen avec une grande suite et un nombreux cortège de chameaux, d'éléphants et de dromadaires. Les acteurs de cette colossale bouffonnerie, ambassadeur, ambassadrice, interprète et mandarins, étaient tous des écoliers de l'université de Caen, dont le plus vieux n'avait pas plus de vingt ans, et quelques-uns étaient de la famille même de l'abbé de Saint-Martin, qui ne songea pas à les reconnaître. Ils se peignirent d'ailleurs le visage de plusieurs couleurs et en firent autant à leurs camarades. Ils louèrent chez un habilleur de théâtre des habits à la romaine, par dessus lesquels ils passèrent une robe de chambre dont les manches étaient retroussées jusqu'en haut. La robe de chambre était attachée elle-même par derrière avec des rubans. Les bras et les jambes étaient nus et peints comme le visage. Ils étaient coiffés de bonnets en forme de pains de sucre, qui couvraient entièrement les cheveux. Le bonnet de mandarin que l'on devait présenter à M. de Saint-Martin était aussi pyramidal; mais il différait de ceux des mandarins en ce qu'il était un peu ouvert par le haut comme une mitre. Il était de grandeur à pouvoir contenir les neuf calottes et le capuchon dont sa tête était couverte en cette saison.
Quant à l'abbé, pour bien recevoir cette ambassade qui allait se rendre à son logis le soir aux flambeaux, suivant le cérémonial siamois, il avait pris l'habit de protonotaire, et avait appelé auprès de lui son bon parent et ami M. Gonfrey, qui servait traîtreusement toutes les plaisanteries dressées contre lui.
L'ambassadeur, s'étant incliné profondément, fit en siamois une longue harangue que l'interprète répéta en la traduisant; puis l'ambassadeur tira d'une cassette dorée une lettre du roi de Siam, laquelle avait été préalablement traduite en latin. M. de Saint-Martin accepta de tout son cœur la dignité de mandarin, mais se débattit contre l'honneur d'être médecin de Sa Majesté siamoise, à 50.000 écus d’appointements. L'ambassadeur lui répondit qu'il y allait de sa tête de s'en retourner sans lui, et lui donna jusqu'au lendemain pour régler ses affaires et prendre congé de ses parents et de ses amis.
L'abbé de Saint-Martin pria l'ambassadeur de lui faire mettre sur la tête le bonnet pyramidal qu'il voyait entre les bras d'un des mandarins. On le fit mettre à genoux: deux mandarins lui tenaient les bras; les autres, avec l'ambassadeur, se mirent à danser autour de lui, le sabre nu à la main, proférant des chants et des cris inarticulés que M. de Saint-Martin prenait pour du bon siamois. Il y eut une seconde cérémonie, plus grotesque que la première, pour la coiffure solennelle du bonnet à trois cercles d'or. 
Le pauvre fou vaniteux recourut à M. de Gourgues l'intendant et à M. de Segrais pour obtenir qu'on ne l'embarquât pas de force à Brest pour Siam. On mit une garde à sa porte; mais on fit en revanche force régalades à ses dépens. On lui fit accroire que le grand roi s'interposait entre lui et le roi de Siam. Il acheva sa vie dans la douce illusion de son mandarinat.
Ce personnage, d'une crédulité si extravagante, avait la passion de la gloire, et cette passion, il la fit tourner du moins au bien de sa ville de Caen. S'il composa un certain nombre de livres que les curieux se disputent aujourd'hui, et que, de son vivant, il imprimait à ses frais et distribuait à ses amis, il fut plus utile en décorant les places et carrefours de Caen de fontaines et d'agréables statues; il entreprit aussi de doter la ville d'une bibliothèque publique, et mérita que son historiographe finit sa Mandarinade par cette sorte d'épitaphe honorable:

Était-ce un sage? Non;
Mais seul il a fait plus pour Caen que tous les sages.

Magasin pittoresque, Août 1849.

dimanche 29 mars 2015

Le commissaire est perplexe.

Le commissaire est perplexe.
           (Dessin de G. Lion.)











































Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 janvier 1905.

Le plus curieux des animaux.

Le plus curieux des animaux.

La femme est plus curieuse que l'homme. Cela va de soi, et personne n'en doute. C'est peut être un signe de supériorité, car on ne retrouve le même péché mignon que chez les animaux les plus élevés en organisation et en mentalité. Et l'animal est presque aussi curieux, sinon plus, que la femme. Le chien est sans cesse en éveil et cherche à s'expliquer tout ce qui frappe ses yeux ou ses oreilles. Quand il voit un objet pour la première fois, il tourne tout autour et cherche à comprendre son usage. Son attention est toujours attirée par le nouveau: j'en ai rencontré qui riaient devant un objet bizarre pour eux. Le chien rit très bien; il suffit de l'observer pour s'en convaincre. Le cheval est curieux, moins que l'oiseau, pourtant. Quelques oiseaux sont d'une indiscrétion rare.

Les chiens ne se trompent pas de vêtements.

On dirait que certains chiens cherchent à faire eux-mêmes leur éducation, les gros chiens de montagne sont à ce point de vue particulièrement curieux. On met un vêtement neuf. Le chien s'approche et vous sent pendant un certain temps, se demandant sans doute si vous avez fait peau neuve. On change de gants. Il flaire le gant pendant des minutes si le gant est neuf. S'il a déjà servi, il n'y prête aucune attention.
Je me suis amusé plusieurs fois à mettre des gants qui appartenaient à diverses personnes présentes. Le chien était un Saint-Bernard. Chaque fois que je changeais de gant, comme poussé par un ressort, automatiquement, l'animal s'approchait de la main; après une seconde, il s'en allait se faire caresser par le propriétaire du gant. Et ainsi, chaque fois le gant semblait éveiller en lui le nom de celui qui avait prêté son gant.

Un chien qui cause avec les arbres.

Le chien du Saint-Bernard possède un flair étonnant. Il a la manie de causer dans un langage inconnu des minutes entières avec les arbres. Il a ses arbres préférés. Il les sent, tourne autour. On croirait qu'il éprouve une sensation particulière pour chaque essence. Pourquoi ces têtes-à-tête si longs et si renouvelés? Il faut un rappel énergique pour lui faire quitter la place. Qu'y a-t-il dans l'arbre? Une odeur sui generis, ou bien des insectes qui attirent son attention. Non, sans doute, puisqu'il en est de même hiver comme été. Aussitôt libre, le chien court à ses arbres. J'ai essayé de faire pénétrer des parfums un peu violents au pied des arbres. Le chien n'y prend pas garde. Cependant s'il reconnaît une odeur portée par quelqu'un de son entourage, il insiste un peu plus longtemps sur son examen et passe la tête haute, comme s'il cherchait la personne qui porte d'habitude le parfum.
La curiosité du chien est quelquefois mal récompensée. Romanes se mit un jour à préparer des bulles de savons. Son chien manifesta un intérêt particulier pour l'expérience. Naturellement, il s'approcha d'une bulle et la flaira. La bulle s'éloigna; il s'approcha encore et de la patte toucha le petit ballon. Mais la bulle creva. Le chien, tout surpris et effrayé, s'enfuit et court encore.
Un matin, au Bois, une fillette tenait à la main une boîte carrée du volume d'un kodak. Mon Saint-Bernard voulait savoir absolument ce que c'était que cette boîte. Il la regardait, la sentait, appuyait son museau sur le maroquin. L'enfant, pour s'amuser, poussa un ressort. La boîte s'ouvrit brusquement, et, comme un diable, sortit un long serpent en baudruche qui frappa le chien. Celui-ci ne fit qu'un bond et, pris d'une frayeur folle, se sauva chez lui, à un kilomètre de distance. Depuis, il ne s'est jamais plus approché de la fillette et s'éloigne en courant quand il l'aperçoit. Curieux, mais aussi plein de mémoire!    

                                                                                                        Henri de Parville.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er janvier 1905.            

Cathédrale Saint-Pierre de Troyes.

Cathédrale Saint-Pierre de Troyes
 (département de l'Aube).


La cathédrale de Troyes, si remarquable par son étendue, la beauté de sa décoration architecturale et la richesse de ses vitraux, n'était, au troisième siècle,  qu'une chapelle placée sous l'invocation du Sauveur. Une église plus vaste remplaça ce premier temple au quatrième siècle et fit elle-même place à un autre monument élevé en 870 par l'évêque Othulphe, ruiné par les Normands en 898, et reconstruit par l'évêque Milon en 980.
Le terrible incendie de 1198, qui consuma une grande partie de la ville, atteignit aussi la cathédrale, alors couverte en plomb. Ce désastre ruina les habitants, et ce ne fut que vingt ans après que l'évêque Hervée commença à jeter les fondements du nouvel édifice qu'il voulut rendre magnifique; mais la mort arrêta ses projets. 
En 1223, le sanctuaire et les chapelles qui l'entouraient étaient seuls élevés. Le chœur, très-avancé sous l'évêque Nicolas de Brie (1253-63), fut achevé par Jean d'Auxois, élu en 1304.
Les transepts sont du temps des rois Philippe le Bel et Louis le Hutin, dont on voyait, avant le badigeonnage, les écussons peints aux voûtes. La nef, continuée au quatorzième siècle, fut interrompue par les guerres et reprise en 1450 pour être achevée en 1492. Le clocher, construit au centre des transepts, ayant été renversé par une tempête, ne fut relevé qu'en 1430. Les premiers fondements du grand portail et des tours furent posés, en 1506, par l'évêque Jacques Raguier. Ce fut Martin Chambige, de Beauvais, maître de maçonnerie, qui en dirigea les travaux en 1510; il fut remplacé par Jean de Soissons, qui céda sa charge à Jean Bailly en 1550. Celui-ci continua la tour, qui ne fut achevée qu'en 1648. Le clocher, qui s'élevait à 60 mètres environ au-dessus des combles de l'église, attira plusieurs fois la foudre sur le monument; en 1700, il fut incendié et il communiqua le feu aux toits de l'église.



Le portail principal est percé de trois portes a 53 mètres de largeur sur 33 mètres de hauteur, jusqu'à l'appui de la balustrade qui règne au-dessus de la rose centrale. La tour du nord a seule été achevée; elle s'élève à 64 mètres jusqu'à la plate-forme, et les deux tourelles qui la surmontent ont 10 mètres d'élévation. Cette façade, divisée en trois parties verticalement par des contre-forts, présente le développement complet de l'arc ogival qu'on désigne sous le nom de flamboyant. Toutes les surfaces lisses sont tapissées de moulures; ce n'est partout que rinceaux, que clochetons. Le bord intérieur des arcades des trois portes est festonné en dentelles de pierre; le même motif décore les voussures et descend jusqu'au niveau du sol. Les doubles trumeaux des portes sont bordés de feuillages et de figurines, et les tympans tapissés de moulures et de dais destinés à des statues qui n'existent plus, et que l'on attribuait au sculpteur Gentil; les contre-forts sont dissimulés par des niches couronnées de dais où se voyaient autrefois des statues de saints; la balustrade qui règne sur la plate-forme au-dessus des voussures des portes, et celle qui sépare le portail proprement dit de la base des tours, sont découpées à jour, et figurent des fleurs de lys ajustées à des trèfles et réunis par des petits pilastres. La rosace centrale est un chef d'oeuvre de combinaison géométrique; le pignon qui la surmonte et se rattache à la balustrade était terminé autrefois par l'écusson de France, qu'on a converti pendant la révolution en une figure des Tables de la loi.
La tour du nord, élevée, comme on l'a vu, à la fin du seizième et du dix-septième siècle, est en désaccord dans les parties supérieures avec le style du reste du portail; les architectes l'ont terminée par un couronnement corinthien; celle du sud n'a pu monter au-dessus du portail.
Le portail nord du transept, dit le petit portail, construit au treizième siècle, a été modifié dans les temps postérieurs; il est divisé horizontalement par des balustrades en trois étages: le porche, l'étage intermédiaire formé d'une colonnade ogivale formant fenêtres, et la rose de style flamboyant. Le pignon terminal est un pan de bois recouvert d'ardoises qui fait un contraste fâcheux avec la légèreté de la rose qui est en-dessous.
Le portail sud, rétabli récemment, est disposé comme le précédent; il avait déjà éprouvé de grands accidents à la fin du quatorzième siècle, et sa rose fut refaite vers 1530.
Les contre-forts qui soutiennent la poussée des voûtes, surtout le sanctuaire, font un effet pittoresque par leurs arcs-boutants à meneaux et leurs clochetons pyramidaux. La balustrade en forme de créneaux, qui règne au-dessus du grand comble, lui donne de la légèreté.
Le plan de la cathédrale forme cinq nefs, avec chapelles latérales et transepts. Les cinq nefs se réduisent à trois au sanctuaire, autour duquel rayonnent des chapelles, et qui est terminé circulairement. L'étendue du vaisseau est de 120 mètres de longueur dans son oeuvre, sur 48 mètres de largeur. Treize arcades ogivales forment le chœur et sont appuyées sur des piliers cantonnés de colonnes qui se changent en monolithes autour du sanctuaire. Les fenêtres supérieures sont divisées comme le triforium en quatre compartiments et disposées dans la forme rayonnante. De belles verrières y brillent d'un bel éclat.
Les chapelles qui entourent la cathédrale sont nombreuses et construites dans le style des parties du corps du monument qu'elles avoisinent; celles d'autour du sanctuaire, celle de la Vierge en particulier, sont admirables. Les autres, à mesure qu'on avance dans la nef, présentent les diversités du style ogival des quinzième et seizième siècles. Des vitraux nombreux et remarquables en remplissent les fenêtres, ainsi que les immenses baies de la haute nef et du sanctuaire, et les trois roses des portails. Les peintres troyens se sont signalés aux différentes périodes de l'histoire de la cathédrale par des œuvres d'un grand mérite. Cette église possède encore des pierres tombales fort curieuses des chanoines des quinzième et seizième siècles. (1)

(1) Cette notice est empruntée à la Géographie départementale classique et administrative de la France, ouvrage consciencieusement commencé par M. Badin, directeur de l'école normale de l'Yonne qu'une mort prématurée a enlevé à ses amis l'an dernier, et par notre collaborateur M. Quantin, archiviste du département de l'Yonne.

Magasin pittoresque, juin 1849.

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.

Nulle part la tolérance ne paraît aussi admirable que lorsqu'on la rencontre dans un prêtre. Dernièrement, soixante Arabes, pèlerins de la Mecque, étaient débarqués au port de Joliette. Comme l'heure de la prière était venue, ces musulmans se sont agenouillés sur le quai et ont récités à haute voix des versets du Coran, avec toutes les génuflexions accoutumées. Ce spectacle a mis en gaieté les gamins de la ville, et l'un deux s'est oublié jusqu'à envoyer une pierre à la tête d'un des pèlerins. On ne sait ce qu'il allait advenir de cette attaque, sans doute une violente querelle, lorsqu'un ecclésiastique, l'abbé Durant, venant à passer, a dignement pris le parti des musulmans, et a dit aux gamins comme à toute la foule:
"Respectez toujours ceux qui prient Dieu, sans que les fatigues du voyage, ni les besoins du corps, ni l'arrivée sur une terre étrangère puissent les détourner de leur devoir: leur conviction est sincère."

*****

Il paraît que quelques personnes suppose encore que le corps d'un débiteur mort insolvable peut être donné en payement à ses créanciers, comme cela se pratiquait chez les anciens Juifs. Cette semaine, un homme de bonne tenue se présenta chez un restaurateur du boulevard de Strasbourg, et se fit servir un excellent dîner, accompagné de tous ses accessoires. Ensuite il demanda l'addition. Au moment où la note était posée sur la table, il prit un couteau et se l'enfonça d'une main ferme dans le cœur en disant:
"Payez-vous."
Une lettre trouvée sur cet homme indiquait qu'il était privé de ressources, ayant mangé toute sa fortune. Mais avant de mourir, il avait voulu manger jusqu'à son corps, qu'il laissait en payement au restaurateur.

*****

Au nombre des choses que nous ne pouvons comprendre est la durée si différente de la vie des animaux. Par exemple, comment se fait-il que, lorsque la conformation d'un perroquet et d'un pigeon présente si peu de dissemblance, l'un vive cent ans et l'autre dix ans? Pourquoi les carpes vivent quatre cents ans et plus, tandis que d'autres poissons de même taille ne vivent pas deux printemps?
Quoi qu'il en soit, voici sur la longévité animale des chiffres fort exacts: le chien et le loup vivent environ vingt ans; le chat et le renard quinze ans; le lapin sept ans; l'éléphant, le doyen des quadrupèdes, vit cinq cents ans; les poules vivent jusqu'à trente ans; les aigles parcourent un siècle; les perroquets en voient quelquefois jusqu'à deux; des cygnes ont vécu jusqu'à trois cent cinquante ans. Parmi les poissons, les marsouins infectent l'eau de leur personne pendant vingt ou trente ans; les carpes restent dans les fossés des châteaux pendant quatre à cinq siècles; enfin les baleines, les doyennes des mers, vivent mille ans.

*****

A propos d'animaux, voici ce que nous venons d'apprendre:
La gendarmerie d'une de nos banlieues et le commissaire de police de la commune, faisaient cette semaine une descente dans l'établissement d'un sieur X..., marchand de vin, et dans cet endroit ils arrêtaient... soixante-deux chiens!
En effet, dans une salle du premier étage, formant une espèce d'arène, deux bouledogues s'entre-déchiraient d'une horrible manière, tandis que les autres mâtins attendaient dans la coulisse le moment d'entrer en scène, et que plus de trois cents spectateurs applaudissaient à ce hideux et cruel spectacle.
Ce jeu affreux durait depuis longtemps; et le sieur X... percevait chaque soir un franc d'entrée par personne qui venait y assister.
La police a tout saisi, et dressé procès-verbal contre le maître de l'établissement, pour avoir ouvert, sans autorisation, un spectacle de combat d'animaux... Pendant qu'on y était, que n'imposait-on aussi un peu d'amende et de prison à des spectateurs d'un goût aussi stupide et féroce!

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Il vient de mourir, à l'âge de cent-trois ans, une femme qui se nommait Lec, et portait le titre de Reine des Bohémiennes. Elle a vaillamment tenu jusqu'à cette époque avancée le sceptre de l'une de ces peuplades répandues sur toute l'Europe. Décédée à Woodford, son corps a été vingt-quatre heures exposé sous sa tente, et ensuite porté en terre au milieu d'un beau cortège, accompagnés de huit pleureurs et des plus fidèles sujets de sa couronne.

                                                                                                                 Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 6 décembre 1857.



samedi 28 mars 2015

Cage d'escalier d'un ancien manoir.

Cage d'escalier d'un ancien manoir
                  à Chartres, (Eure-et-Loir).


A l'époque dite de la renaissance, les traditions architecturales de la Grèce et de Rome se substituèrent à notre architecture nationale. Les premiers édifices où ce passage devienne visible sont d'un charme particulier que balance à peine la régularité plus savante des édifices ultérieurs.



La cage d'escalier que nous donnons ici appartient à cette époque de transition. Nous craignons que l'architecte qui a indiqué par de si gracieuses colonnettes la spirale de l'escalier, ait négligé d'établir une proportion suffisamment juste entre les dimensions de la cage et celles de la porte d'entrée au-dessus de laquelle elle se trouve.

Magasin pittoresque, juin 1849.


Micco Spadaro.

Micco Spadaro.

Domenico Garginoli, plus connu sous les noms de Micco Spadaro, est né à Naples en 1612, et est mort en 1679.





Magasin pittoresque, juillet 1849.

Quelques supercheries des prêtres du paganisme.

Quelques supercheries
des prêtres du paganisme.



Nous avons déjà mentionné l'emploi que les prêtres de l'antiquité savaient faire de leurs connaissances en physique expérimentale, pour produire certains effets singuliers et frapper d'étonnement les adorateurs des faux dieux.
Les appareils qu'ils employaient, soit à l'entrée, soit dans l'intérieur même des temples, étaient disposés d'une manière si ingénieuse que non-seulement le vulgaire y voyait l'influence directe de la divinité, mais que, parmi les auteurs qui en ont fait mention, il y en a beaucoup qui ont cru y reconnaître quelque chose de surnaturel. Les chrétiens eux-mêmes ne se sont pas toujours défendus de cette singulière idée. Le P. Kircher a réuni un certain nombre de ces procédés et les a fort clairement expliqués. Nous lui empruntons une partie de ce qui va suivre.

Le lait de la bonne déesse.

Certains temples dédiés à la mère des dieux possédaient une statue de la déesse disposée de telle sorte que l'on voyait le lait jaillir de toutes les mamelles dès que l'on allumait des flambeaux fixés à l'autel. Ce phénomène avait paru à plusieurs auteurs si difficile à expliquer, qu'ils l'avaient attribué à l'influence des démons. Mais le P. Kircher, dans son ouvrage célèbre intitulé: Oedipus Egyptiacus, prouve très-clairement, de la manière suivante, qu'il n'est aucun besoin de magie ni de sortilège pour en rendre compte.



La construction ABCKL (fig. 1) se compose d'un dôme hémisphérique creux ABC, supporté par quatre colonnes. Au centre de l'espèce de pavillon ainsi formé, était l'autel MN surmonté de la coupe GH et de la statue aux nombreuses mamelles.
Aux colonnes BK, CL, étaient adaptés des candélabres à bras mobiles S, T. L'hémisphère étant bien hermétiquement fermé par une plaque métallique BC, on remplissait de lait le petit autel MN, qui communiquait, d'une part, avec l'intérieur de la statue par un tube marqué d'un trait pointillé au milieu de l'autel; d'autre part, avec le dôme creux par un autre tube deux fois recourbé NKBX. Au moment du sacrifice, on allumait les deux lampes D, E en tournant les bras S, T, de manière que la chaleur de la flamme allât frapper le plafond CB du dôme. L'air enfermé à l'intérieur de cette boîte hémisphérique, se dilatant sous l'influence de la chaleur, sortait par le tube XBK, pressait le lait renfermé dans l'autel et le faisait remonter par le tube droit jusque dans l'intérieur de la statue, à la hauteur des mamelles. une série de petits conduits, entre lesquels se divisait le tube principal, portaient le liquide jusqu'aux mamelles, par où il jaillissait au-dehors, à la grande admiration des spectateurs. Le sacrifice fini, on éteignait les lampes et le lait cessait de couler.

Portes qui s'ouvraient quand on allumait le feu sur l'autel.

Les anciens avaient aussi construit dans leurs temples des sanctuaires dont les portes s'ouvraient toutes seules au commencement du sacrifice, et se refermaient spontanément à la fin. Héron d'Alexandrie nous a transmit la description des deux procédés qu'ils employaient pour obtenir ce résultat.



Soit d'abord (fig. 2) une base creuse ABCF, sur laquelle sont posés l'autel ED et la porte. Les deux battants de cette porte tournaient autour d'axes dont les prolongements ab, cd faisaient corps avec les battants eux-mêmes; de sorte que si les grands cylindres ab, cd venaient à tourner, ils faisaient mouvoir les battants de la porte. Les extrémités inférieures et supérieures de ces axes portaient sur des tourillons; mais la figure ne fait voir que ceux de l'extrémité inférieure en c et en d. Dans l'intérieur du compartiment creux ABCF, il y avait un vase GK qui communiquait par un tube Gf avec le creux de l'autel ED, et par un siphon KL avec un autre vase NX. L'anse de ce second vase était attachée aux deux cylindres ab, cd par des cordes qui s'enroulaient, l'une de haut en bas, l'autre de bas en haut. Deux autres cordes étaient enroulées en sens contraire à la partie inférieure des cylindres, et étaient tendues par un poids Q qui passait sur une poulie de renvoi V. Le vase GK était préalablement rempli d'eau par l'orifice P que l'on bouchait ensuite bien hermétiquement. Au moment du sacrifice, le feu étant allumé sur l'autel, l'air dilaté par la chaleur à l'intérieur de cet autel ED pressait la surface du liquide renfermé en GK, et forçait l'eau à monter dans le siphon KL, d'où elle tombait dans la marmite NX. Celle-ci, devenue plus pesante descendait, et, tirant les cordes enroulées à la partie supérieure des cylindres ab, cd, faisait ouvrir les portes. Lorsque le feu venait à s'éteindre, l'eau repassait de la marmite NX dans le vase GK par le même siphon, par suite de la raréfaction de l'air, et, les effets contraires se produisant, les portes se fermaient.
Le P. Kircher a proposé, en décrivant cet appareil, d'y ajouter un nouveau siphon vv, au moyen duquel le mouvement de fermeture s'opère sans qu'il soit préalablement nécessaire d'éteindre ou d'enlever le feu.
La marmite NX étant remplie, le siphon vv se trouve amorcé, et la marmite se vide entièrement par ce siphon. Bientôt alors, le contre-poids Q devient plus lourd que la marmite, et, par la traction qu'il exerce sur les cordes enroulées à la partie inférieure des cylindres, il referme les portes. de l'une ou de l'autre manière, le sacrifice se trouve terminé mystérieusement au grand ébahissement des assistants.
Le second procédé, indiqué plutôt que décrit par Héron d'Alexandrie, diffère peu du précédent. Il suffit encore d'enlever le feu de l'autel pour que les portes se referment. La fig. 3 en donne la représentation. 


Nous n'avons pas à nous arrêter aux parties communes aux deux figures, parties désignées par les mêmes lettres. Le mécanisme fondamental consiste ici dans la faculté que possède une outre G de forme convenable de se dilater en largeur quand elle gonflée, tandis qu'elle s'allonge et descend plus bas quand elle se vide. Un trait pointillé indique la position de l'outre vide, position dans laquelle le poids H tire sur les axes des portes, de manière à tenir ces portes fermées. Au contraire, dès que la flamme de l'autel a suffisamment dilaté l'air renfermé dans le compartiment creux DE, cet air gonfle l'outre, et le poids H, prenant la position marquée en traits pleins sur la figure, ce poids cesse sur les portes qui sont alors ouvertes par l'influence du contre-poids. Le contraire a lieu dès que l'extinction du feu vient à raréfier de nouveau l'air de l'autel.

La roue à l'eau lustrale.

Clément d'Alexandrie rapporte, au sixième livre de ses Stromates, que, dans les temples égyptiens, on trouvait des roues qu'il suffisait de tourner pour obtenir en abondance de l'eau lustrale dont on avait besoin. C'est encore Héron d'Alexandrie qui, par la trente et unième question de ses Pneumatiques, nous fournit l'explication du mystère. Dans les temples égyptiens, dit-il, il y a sous les portiques des roues d'airain mobiles autour de leur axe, que ceux qui entrent font tourner, parce que l'airain passe pour purifier. Il y a aussi des vases pour recevoir l'eau que les personnes qui vont entrer doivent employer aux aspersions. Voici comment la rotation de la roue fera couler l'eau dans ces vases. 


Derrière le portique est caché un vase ABCD rempli d'eau, percé au fond d'un orifice E. A la base inférieure est fixé un tube FHK que traverse l'orifice E prolongé. Un autre tube LM est fixé par le bout L au fond du premier tube, et est muni d'un orifice P percé dans le prolongement du premier orifice E. Enfin un tube intermédiaire NOQ portant une roue S, et percé d'un orifice qui peut prendre une position verticale dans l'axe des deux premiers, se meut à frottement entre les deux premiers. Pour que l'eau coule, il suffira de tourner la roue S, de manière à amener l'orifice intermédiaire dans la même verticale que les deux premiers.
On voit donc qu'il ne s'agissait là que d'une espèce de robinet tout à fait analogue à celle que nous employons encore aujourd'hui pour tirer le vin. Mais ce robinet dont on a fait plus tard un robinet à plusieurs fins, et qui est, à proprement parler, le premier linéament de l'ingénieux tiroir de la machine à vapeur, était un des procédés dont les prêtres égyptiens avaient longtemps gardé le secret pour eux seuls. Il paraît qu'ils croyaient faire par la roue un appel aux intelligences supérieures qu'ils appelaient inges, ministres de la Divinité suprême. C'était Mophta, le génie de la nature aquatique, qui fournissait l'eau sacrée nécessaire au culte, et surtout aux cérémonies lustrales.

Magasin pittoresque, juillet 1849.