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mercredi 12 août 2015

La Parisienne.

La Parisienne.


Est-elle jolie? - Oui. Ses yeux d'une couleur aussi changeante que le fleuve, ont des rayons de vive intelligence et des lueurs de tendresse infinie. Sa bouche sourit avec douceur aux malheureux, avec charme à l'amitié, avec malice aux indifférents. Ses traits, esquissés au pastel qui immortalisa Latour, n'éblouissent pas au prime abord. Mais ils attirent et subsistent dans le souvenir avec une persistance étrange. Quant à sa grâce, elle est proverbiale. Nul ne sait recevoir, causer, saluer et marcher mieux qu'elle. Elle a toutes les audaces permises par la coquetterie et le bon goût. Elle innove des modes et porte des toilettes que toute l'Europe copiera.
Le peintre Gervex, dont le grand talent est surtout fait d'une haute puissance d'observation, nous la montre ici sous les dehors les plus simples, en pleine saison ingrate, mais elle ne perd rien de son caractère que nulle autre ne sait, ne peut avoir.



"Personne comme la Parisienne ne sait traîner avec une simplicité triomphante les quatre-vingt mètres d'alençon ou de malines qui frissonnent sur le satin de sa robe de bal, ou les lourdes splendeurs de sa robe de grand dîner, écrit Étincelle, cette Parisiennes des Parisiennes. Elle a l'art de prêter son esprit aux autres. Altière et câline, sa coquetterie a deux tranchants, exige le respect en caressant le sentiment. Elle sait tout sans jamais n'avoir rien appris; elle comprend sans avoir écouté; elle devine sans qu'on ait parlé... Sa vie, mosaïque ingénieuse, est faite de morceaux d'heure où chaque chose trouve sa place: les enfants, la famille, le mari, l'amitié, les devoirs du monde, la charité, l'art, les fêtes, les spectacles, la toilette, la science et la religion. Elle trouve encore moyen de se réserver des moments perdus comme les ministres ont des fonds secrets."
Toutes les Parisiennes ne sont pas à Paris, et beaucoup d'entre elles n'y sont point nées?
C'est une qualité d'être Parisienne, ce n'est pas un état.
La petite femme sémillante, moitié gamin, moitié duchesse, qui piétine la neige avec autant d'aisance que si elle foulait le tapis de son boudoir, en est une.
Elle va, portant le sourire et la joie, à la demeure qu'elle visite. Pour plaire, ne partage-t-elle pas, de bonne grâce, les manies de chacun?
Elle est tour à tour le partner de l'aïeul infirme dans un whist silencieux, la confidente discrète des chagrins domestiques et l'amie adorée des enfants.
Elle prodigue rarement ses conseils, si ce n'est pourtant au sujet des toilettes et de l'ameublement; car là surtout, elle excelle.
Le nid de la Parisienne est fait de bribes élégantes de tous les pays et de tous les temps, image de l'encyclopédie dans laquelle elle se plait à vivre.
Quant à son esprit et à son cœur, ils sont insondables comme l'océan. Car, nature de sensitive, la Parisienne se replie sur elle-même dès qu'on veut l'effleurer.
Portée avec exaltation vers tout ce qui est noble et beau, une notion exacte des choses plutôt intuitive que savante, la fait revenir sur une admiration exagérée, un enthousiasme immérité. De là cette réputation de légèreté qui n'est, en somme,  qu'un retour à la justesse de ses sentiments.
Bien que son existence soit taillée en habit d'Arlequin, la Parisienne n'en trouve pas moins le chemin des cœurs et celui du paradis, elle fait son salut en souliers de satin, dit Mme Anaïs Ségalas dans sa poésie intitulée: "Le Colosse de Rhodes."
Les belles dames, soi-disant Parisiennes, qui scandalisent hélas! les plus hauts échelons de la société, sont rarement nées à Paris, nées en France... Grattez l'écusson armorié et vous trouverez des mines d'Amérique servant de doublure...
La vraie Parisienne est honnête, active, courageuse.
Sensible aux hommages, elle méprise l"impertinence. Allant partout, elle n'est heureuse que chez elle. accablée par la misère ou le malheur, elle se relève fièrement, à l'aide du travail et de la prière, deux leviers avec lesquels toute faible femme peut soulever le fardeau de sa trop pesante vie!
Enfin ses œuvres, on les connait. Elle donne au pays qu'elle adore, à la ville sans laquelle elle ne peut vivre, parce qu'on y respire l'intelligence, la gloire rayonnante qui sert d'auréole à l'image de la patrie, anime nos poètes, soutient nos savants, fortifie nos soldats, cette lumière qui vient d'elle et se nomme le prestige!

                                                                                                                              Luciole.

Grand Almanach Français illustré, 1891.

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