La Pie.
Cette fillette et ce jeune gars sont évidemment frère et sœur; la pie aussi est de la famille, et, qu'on nous permette cette supposition, elle est de plus leur aînée.
Suivant nous, on ignore la date de sa naissance, et nous croyons que ceux qui l'auraient pu dire ne sont plus de ce monde. Qu'il nous soit encore permis de supposer que le plus âgé des deux enfants n'avait pas encore fait son entrée dans la vie quand depuis longtemps déjà l'oiseau bavard et tracassier jacassait et faisait tapage au logis. Nous n'avons pas, en avançant ce fait, l'intention de citer un exemple de cette longévité merveilleuse que la crédulité du vulgaire attribue, sans examen, aux commères emplumées de son espèce. Nous ne pouvons admettre qu'il y a ou qu'il y a eu des pies plusieurs fois centenaires; car nous savons que quelques unes, mourant à l'âge de vingt à vingt-cinq ans, aveugles et goutteuses, semblaient être parvenues alors à ce qui est pour leurs semblables la limite de l'extrême vieillesse.
Quelque soit positivement l'âge de celle dont il est ici question, il suffit de la voir pour pouvoir affirmer qu'elle occupe dans la maison la position la plus élevée. Ceci soit dit sans allusion à ce clou haut placé, où, d'ordinaire sa cage en osier pend au mur. Il ne s'agit que des privilèges que lui assure la soumission habituelle de ses maîtres à son despotisme incontesté; privilèges dont elle use jusqu'à l'abus; celui, par exemple, de prendre à tout propos la parole, de parler insolemment à chacun et plus haut que tout le monde. Importune et exigeante, elle ne cesse d'assourdir les gens de ses réclamations. Ainsi, à table, nul repos pour les convives, si d'abord elle n'a pas reçu sa part de la pitance commune. Il lui faut la première cuillerée de soupe, et au dessert l'entame du fromage blanc. Enfin, vienne le souper, il n'y aura pas de trêve à ses cris tant qu'elle n'aura pas prélevé sa becquée sur la rôtie trempée dans le cidre.
Passe encore si, des soins qu'on lui donne, naissait chez elle la sympathie pour la main qui la nourrit. Il n'en est rien, et gare à cette main qui, tout à l'heure se tendait pour donner, se présente vide au tranchant des mandibules de l'oiseau oublieux sinon ingrat! la chair saignera, et il y aura blessure cuisante pour le bienfaiteur imprudent qui se fie au souvenir du bienfait. La pie, qui a presque toujours le bec ouvert, n'ouvre, dit-on, le bec que pour babiller, pour manger ou pour mordre.
Donc, pour en revenir au jeune gars et à la fillette du joli tableau de notre paysagiste Charles Fortin, l'auteur de tant de toiles justement estimées où son habile pinceau reproduit finement des types et des scènes familières de sa chère Bretagne, nous disions, et c'est chose convenue, ces deux enfants sont frères et sœurs. A voir empreint sur leurs visages ce sérieux teinté de mélancolie, on les devine orphelins. Si jeunes, laissés à eux-mêmes, ils ont déjà tous les soucis de la vie: le deuil dans le passé, les besoins du jour présent à satisfaire, et la préoccupation de l'avenir.
Comment la fillette aurait-elle conservé le rayonnement de l'insouciante enfance? Elle vient à peine d'atteindre ses douze ans, et, seule, elle a charge de ménagère dans la maison. Son frère, qui compte quelques années de plus qu'elle, est ouvrier dans une fabrique située au loin. Le bâton de voyageur qu'il a déposé près du buffet sur lequel il se tient assis indique qu'il a un long chemin à faire pour aller gagner, durant sa laborieuse journée, le pain que pétrira sa sœur.
On est le matin; la prière à deux a été faite sous les yeux de la sainte image devant laquelle les anciens de la famille ont prié jadis. Margot s'est réveillée à son heure, on a descendu la cage sur le buffet. La pie mise en liberté s'est juchée sur le plus haut de son toit, attendant la soupe que la fillette, plus matinale encore, a déjà trempée. Avant de partir, le jeune gars, assisté de sa sœur, procède au déjeuner de l'oiseau qui leur fut légué par le dernier descendant de leur parenté, avec l'habitation où ils sont nés tous les deux. Il est facile de voir, au calme pour ainsi dire attristé de leur physionomie, que le soin journalier de nourrir tour à tour Margot est un devoir qu'ils remplissent et non un plaisir qu'ils se donnent.
La pensée de l'auteur de cette naïve et charmante composition nous semble avoir été celle-ci:
A deux braves enfants, une vieille grand'mère qu'ils vénéraient a confié la tâche de continuer ses soins envers sa pie bien-aimée, et ils s'acquittent de ces soins avec la gravité et le respect qu'impose la religion des pieux souvenirs.
Pourquoi la bonne femme a-t-elle tant aimé ce méchant oiseau qui ne sait, dit-on, aimer personne? C'est qu'elle était parvenue à cet âge du renoncement pour soi-même où, bêtes et gens, on se hâte de les aimer gratuitement, sans arrière-pensée de réciprocité, parce qu'on n'a plus que le temps de les aimer pour eux. Les enfants ont le cœur moins désintéressé, moins facile; ils ne sont disposés tout au plus, qu'à payer de retour, et, en fait d'amitié, le naturel de la pie, on le sait, ne la porte guère à faire des avances.
Un savant zoologue, observateur exact et sagace autant que spirituel, l'auteur de l'Ornithologie passionnelle, M. Toussenel, ce défenseur éloquent des moineaux méprisés parce qu'ils sont méconnus, s'est fait accusateur public pour lancer contre la pie un réquisitoire qui se peut dire sanglant, car il ne tend qu'à rien moins qu'à le destruction générale de l'espèce. Sa colère, qui n'est que l'indignation d'une nature généreuse contre le naturel méchant, sa colère est telle qu'il voudrait lui-même être l'exterminateur de ceux qu'il a condamnés. Il accuse la pie de tous les vices, il lui attribue l'instinct de tous les crimes, depuis l'espionnage qui inquiète jusqu'à la délation qui tue, depuis le vol jusqu'à l'infanticide. Que l'accusation soit juste, nul ne le contestera: c'est le meilleur ami des oiseaux qui l'a fulminée; mais en tous cas l'arrêt n'est-il pas trop sévère? D'ailleurs, dans quelques unes de nos rues de Paris où il est encore permis au savetier de bâtir son échoppe, dans celles de nos maisons qui ne sont pas assez des palais pour qu'il soit interdit au portier de suspendre une cage à la porte de sa loge, la pie qui fait la gloire de son maître amuse les piétons qu'elle insulte au passage. Donc, tant qu'il y aura des gens qui aimeront les pies, ne parlons pas de détruite celles-ci: il ne faut priver personne ni d'un plaisir innocent, ni d'une affection.
Le Magasin pittoresque, octobre 1865.
Quelque soit positivement l'âge de celle dont il est ici question, il suffit de la voir pour pouvoir affirmer qu'elle occupe dans la maison la position la plus élevée. Ceci soit dit sans allusion à ce clou haut placé, où, d'ordinaire sa cage en osier pend au mur. Il ne s'agit que des privilèges que lui assure la soumission habituelle de ses maîtres à son despotisme incontesté; privilèges dont elle use jusqu'à l'abus; celui, par exemple, de prendre à tout propos la parole, de parler insolemment à chacun et plus haut que tout le monde. Importune et exigeante, elle ne cesse d'assourdir les gens de ses réclamations. Ainsi, à table, nul repos pour les convives, si d'abord elle n'a pas reçu sa part de la pitance commune. Il lui faut la première cuillerée de soupe, et au dessert l'entame du fromage blanc. Enfin, vienne le souper, il n'y aura pas de trêve à ses cris tant qu'elle n'aura pas prélevé sa becquée sur la rôtie trempée dans le cidre.
Passe encore si, des soins qu'on lui donne, naissait chez elle la sympathie pour la main qui la nourrit. Il n'en est rien, et gare à cette main qui, tout à l'heure se tendait pour donner, se présente vide au tranchant des mandibules de l'oiseau oublieux sinon ingrat! la chair saignera, et il y aura blessure cuisante pour le bienfaiteur imprudent qui se fie au souvenir du bienfait. La pie, qui a presque toujours le bec ouvert, n'ouvre, dit-on, le bec que pour babiller, pour manger ou pour mordre.
Donc, pour en revenir au jeune gars et à la fillette du joli tableau de notre paysagiste Charles Fortin, l'auteur de tant de toiles justement estimées où son habile pinceau reproduit finement des types et des scènes familières de sa chère Bretagne, nous disions, et c'est chose convenue, ces deux enfants sont frères et sœurs. A voir empreint sur leurs visages ce sérieux teinté de mélancolie, on les devine orphelins. Si jeunes, laissés à eux-mêmes, ils ont déjà tous les soucis de la vie: le deuil dans le passé, les besoins du jour présent à satisfaire, et la préoccupation de l'avenir.
Comment la fillette aurait-elle conservé le rayonnement de l'insouciante enfance? Elle vient à peine d'atteindre ses douze ans, et, seule, elle a charge de ménagère dans la maison. Son frère, qui compte quelques années de plus qu'elle, est ouvrier dans une fabrique située au loin. Le bâton de voyageur qu'il a déposé près du buffet sur lequel il se tient assis indique qu'il a un long chemin à faire pour aller gagner, durant sa laborieuse journée, le pain que pétrira sa sœur.
On est le matin; la prière à deux a été faite sous les yeux de la sainte image devant laquelle les anciens de la famille ont prié jadis. Margot s'est réveillée à son heure, on a descendu la cage sur le buffet. La pie mise en liberté s'est juchée sur le plus haut de son toit, attendant la soupe que la fillette, plus matinale encore, a déjà trempée. Avant de partir, le jeune gars, assisté de sa sœur, procède au déjeuner de l'oiseau qui leur fut légué par le dernier descendant de leur parenté, avec l'habitation où ils sont nés tous les deux. Il est facile de voir, au calme pour ainsi dire attristé de leur physionomie, que le soin journalier de nourrir tour à tour Margot est un devoir qu'ils remplissent et non un plaisir qu'ils se donnent.
La pensée de l'auteur de cette naïve et charmante composition nous semble avoir été celle-ci:
A deux braves enfants, une vieille grand'mère qu'ils vénéraient a confié la tâche de continuer ses soins envers sa pie bien-aimée, et ils s'acquittent de ces soins avec la gravité et le respect qu'impose la religion des pieux souvenirs.
Pourquoi la bonne femme a-t-elle tant aimé ce méchant oiseau qui ne sait, dit-on, aimer personne? C'est qu'elle était parvenue à cet âge du renoncement pour soi-même où, bêtes et gens, on se hâte de les aimer gratuitement, sans arrière-pensée de réciprocité, parce qu'on n'a plus que le temps de les aimer pour eux. Les enfants ont le cœur moins désintéressé, moins facile; ils ne sont disposés tout au plus, qu'à payer de retour, et, en fait d'amitié, le naturel de la pie, on le sait, ne la porte guère à faire des avances.
Un savant zoologue, observateur exact et sagace autant que spirituel, l'auteur de l'Ornithologie passionnelle, M. Toussenel, ce défenseur éloquent des moineaux méprisés parce qu'ils sont méconnus, s'est fait accusateur public pour lancer contre la pie un réquisitoire qui se peut dire sanglant, car il ne tend qu'à rien moins qu'à le destruction générale de l'espèce. Sa colère, qui n'est que l'indignation d'une nature généreuse contre le naturel méchant, sa colère est telle qu'il voudrait lui-même être l'exterminateur de ceux qu'il a condamnés. Il accuse la pie de tous les vices, il lui attribue l'instinct de tous les crimes, depuis l'espionnage qui inquiète jusqu'à la délation qui tue, depuis le vol jusqu'à l'infanticide. Que l'accusation soit juste, nul ne le contestera: c'est le meilleur ami des oiseaux qui l'a fulminée; mais en tous cas l'arrêt n'est-il pas trop sévère? D'ailleurs, dans quelques unes de nos rues de Paris où il est encore permis au savetier de bâtir son échoppe, dans celles de nos maisons qui ne sont pas assez des palais pour qu'il soit interdit au portier de suspendre une cage à la porte de sa loge, la pie qui fait la gloire de son maître amuse les piétons qu'elle insulte au passage. Donc, tant qu'il y aura des gens qui aimeront les pies, ne parlons pas de détruite celles-ci: il ne faut priver personne ni d'un plaisir innocent, ni d'une affection.
Le Magasin pittoresque, octobre 1865.
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