Le régiment de la calotte.
Un jour, dit-on, vers la fin du règne de Louis XIV, quelques officiers, gens d'esprit, parmi lesquels Théophile Aymond, qui avait titre de porte-manteau du roi et TH. Emmanuel de Torsac, exempt des gardes du corps, devisaient après boire. L'un d'eux, qui ne faisait peut être ce jour-là que ressentir les effets d'un écart de la veille, se plaignit d'avoir le crâne comme un calotte de plomb dont la compression paralysait en quelque sorte l'usage de ses facultés mentales.
Cette expression fut par hasard remarquée, commentée, et l'entretien se continua de façon qu'en fin de compte, avoir une calotte sur le crâne devint symboliquement synonyme d'être sous le coup d'un détraquement intellectuel. Séance tenante le titre de calotin se trouva dévolu à toute personne donnant des preuves passagères ou permanentes de cette disposition d'esprit, et en même temps fut décidé la création d'un régiment calotin ou de la calotte, sur les cadres duquel seraient inscrits de droit ceux qui se seraient fait remarquer par quelque acte ou propos inconsidéré.
Aymond, qui le premier sans doute avait relevé avec le plus de verve la drôlerie de cette idée, fut investi du titre de premier colonel du régiment de la Calotte, avec Torsac pour coadjuteur ou lieutenant.
Le régiment, en la personne de ses fondateurs décida qu'il aurait un sceau, un étendard, des armes parlantes et l'expédition des brevets commença. Libellés ordinairement en petits vers fort bien tournés, qu'on faisait circuler imprimés, le plus souvent à la grande mortification ou fureur des brevetés, mais toujours aux grands éclats de rire du public.
Nul ne pouvait se flatter, à quelque condition sociale qu'il appartint, d'échapper aux arrêts de cette juridiction, qui devait à ses folâtres dehors la plus entière liberté d'action. C'était ouvertement, au grand jour, qu'Aymond, Torsac et leurs malins acolytes tenaient leurs assises burlesques et leurs sentences, aussitôt répandues à profusion, mettaient au pilori du ridicule ou livraient à l'examen sévère de l'opinion tel personnage ou tel acte qui semblait devoir commander le respect et le silence.
Rien de plus curieux que le recueil qui a été formé des décisions et considérations en vertu desquelles, pendant de longues années, le conseil du régiment de la Calotte délivra ses brevets, ordinairement rédigés par l'élite des esprits caustiques de l'époque: Desfontaines, Piron, Roy, Grécourt, etc.
En tête de ce recueil, resté fameux dans l'histoire de l'esprit satirique français, se voit la gravure que nous reproduisons: c'est le portrait d'Aymond, premier colonel du régiment.
Au-dessous ont été placées les armes parlantes de la Calotte, que le colligeur blasonne ainsi:
"L'écusson est d'or au chef de sable, chargé d'une lune d'argent et de deux croissants opposés de même métal (allusion aux lunatiques). L'écusson est chargé en pal du sceptre de Momus et semé de papillons sans nombre (symbole des idées vagabondes). Ledit écusson est couronné d'une calotte à oreillons. Le fronton de la calotte est garni de sonnettes et de grelots. Elle a pour cimier un rat passant (la locution "avoir des rats dans l'esprit" était déjà usuelle). Les armes ont pour supports deux singes (ce qui dénote l'innocence et la simplicité) et deux cornes d'abondance en lambrequins, d'où sortent les brouillards sur lesquels sont assignées les pensions du régiment."
La devise du régiment était: Luna influit, favet Momus. (La lune nous inspire, Momus nous est propice.)
Plus d'une fois, les membres du conseil, rigoureusement fidèles à leurs principes, prouvèrent que, le cas échéant, ils ne se faisaient pas grâce eux-mêmes.
En 1710, pendant que les nations alliées contre la France tenaient le siège devant Douai, Torsac, Gascon d'origine, s'avisa de dire en présence du roi qu'avec trente mille hommes et carte blanche non seulement il se chargeait de faire lever le siège aux ennemis, mais encore leur reprendrait en quinze jours, toutes les conquêtes qu'ils avaient faites depuis la guerre. Aymond, qui l'entendait, déclara tout aussitôt "qu'il remettait le bâton de généralissime de la Calotte dans les mains de cet habile conquérant, ne connaissant personne qui ne fût plus digne de commander le régiment."
Torsac s'excusa d'abord, mais enfin il accepta: et le roi ne fut pas, dit-on, le dernier à approuver cette investiture. Quelque temps après: "Ça, Torsac, demanda le monarque, quand ferez-vous défiler votre régiment?
- Jamais, sir.
- Pourquoi donc?
- Parce qu'il n'y aurait personne pour le voir passer.
Louis XIV, qui n'était plus cependant dans la période gaie de son règne, ne fit que sourire de cette réplique non moins irrévérente que malicieuse.
Grand Almanach français illustré, 1891.
Aymond, qui le premier sans doute avait relevé avec le plus de verve la drôlerie de cette idée, fut investi du titre de premier colonel du régiment de la Calotte, avec Torsac pour coadjuteur ou lieutenant.
Le régiment, en la personne de ses fondateurs décida qu'il aurait un sceau, un étendard, des armes parlantes et l'expédition des brevets commença. Libellés ordinairement en petits vers fort bien tournés, qu'on faisait circuler imprimés, le plus souvent à la grande mortification ou fureur des brevetés, mais toujours aux grands éclats de rire du public.
Nul ne pouvait se flatter, à quelque condition sociale qu'il appartint, d'échapper aux arrêts de cette juridiction, qui devait à ses folâtres dehors la plus entière liberté d'action. C'était ouvertement, au grand jour, qu'Aymond, Torsac et leurs malins acolytes tenaient leurs assises burlesques et leurs sentences, aussitôt répandues à profusion, mettaient au pilori du ridicule ou livraient à l'examen sévère de l'opinion tel personnage ou tel acte qui semblait devoir commander le respect et le silence.
Rien de plus curieux que le recueil qui a été formé des décisions et considérations en vertu desquelles, pendant de longues années, le conseil du régiment de la Calotte délivra ses brevets, ordinairement rédigés par l'élite des esprits caustiques de l'époque: Desfontaines, Piron, Roy, Grécourt, etc.
En tête de ce recueil, resté fameux dans l'histoire de l'esprit satirique français, se voit la gravure que nous reproduisons: c'est le portrait d'Aymond, premier colonel du régiment.
Au-dessous ont été placées les armes parlantes de la Calotte, que le colligeur blasonne ainsi:
"L'écusson est d'or au chef de sable, chargé d'une lune d'argent et de deux croissants opposés de même métal (allusion aux lunatiques). L'écusson est chargé en pal du sceptre de Momus et semé de papillons sans nombre (symbole des idées vagabondes). Ledit écusson est couronné d'une calotte à oreillons. Le fronton de la calotte est garni de sonnettes et de grelots. Elle a pour cimier un rat passant (la locution "avoir des rats dans l'esprit" était déjà usuelle). Les armes ont pour supports deux singes (ce qui dénote l'innocence et la simplicité) et deux cornes d'abondance en lambrequins, d'où sortent les brouillards sur lesquels sont assignées les pensions du régiment."
La devise du régiment était: Luna influit, favet Momus. (La lune nous inspire, Momus nous est propice.)
Plus d'une fois, les membres du conseil, rigoureusement fidèles à leurs principes, prouvèrent que, le cas échéant, ils ne se faisaient pas grâce eux-mêmes.
En 1710, pendant que les nations alliées contre la France tenaient le siège devant Douai, Torsac, Gascon d'origine, s'avisa de dire en présence du roi qu'avec trente mille hommes et carte blanche non seulement il se chargeait de faire lever le siège aux ennemis, mais encore leur reprendrait en quinze jours, toutes les conquêtes qu'ils avaient faites depuis la guerre. Aymond, qui l'entendait, déclara tout aussitôt "qu'il remettait le bâton de généralissime de la Calotte dans les mains de cet habile conquérant, ne connaissant personne qui ne fût plus digne de commander le régiment."
Torsac s'excusa d'abord, mais enfin il accepta: et le roi ne fut pas, dit-on, le dernier à approuver cette investiture. Quelque temps après: "Ça, Torsac, demanda le monarque, quand ferez-vous défiler votre régiment?
- Jamais, sir.
- Pourquoi donc?
- Parce qu'il n'y aurait personne pour le voir passer.
Louis XIV, qui n'était plus cependant dans la période gaie de son règne, ne fit que sourire de cette réplique non moins irrévérente que malicieuse.
Grand Almanach français illustré, 1891.
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