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samedi 8 août 2015

La veillée.

La veillée.

C'est le soir, c'est l'hiver; l'arbre n'a plus de feuilles et les toits rustiques sont fumants.
Dans la saison où l'aube est matinale, les bonnes femmes du pays font assez longues leurs laborieuses journées, aux champs et au lavoir, pour qu'à la nuit tombante elles puissent dire en rentrant au logis: "C'en est assez pour un seul jour; j'ai payé aujourd'hui de toutes mes forces épuisées mon droit au repos jusqu'à demain."
Mais vienne le temps où, progressivement, le crépuscule met plus grande hâte à descendre, la tâche quotidienne que s'imposent ces rudes travailleuses serait loin d'être accomplie au moment du coucher, si elles n'ajoutaient pas aux heures bien employées du jour celles de la veillée, qui assurent à chacun son content de travail.
Parfois, le voyageur attardé sur la route voit, à distance, marcher dans les ténèbres une vacillante lumière suivie d'une longue file d'ombres mouvantes. S'il est enclin à la peur, il frissonnera en souvenir des contes d'autrefois; esprit fort, il rira des vaines croyances de nos pères. Il ne faut ni trembler, ni rire; il faut saluer avec respect le cortège qui passe au loin, car cette lumière qu'on pouvait prendre jadis pour le feu follet moqueur menant les sorcières qui vont évoquer le démon, c'est la lueur qui guide au rendez-vous du travail les filles laborieuses, les ménagères infatigables, les courageuses mères de famille.



Comme elles veulent arriver toutes ensemble, celles de qui la demeure est située le plus près du lieu d'assemblée ont attendu devant leur porte, au passage, celles qui viennent de plus loin; toutes portent la quenouille également fournie de chanvre à filer; c'est la tâche de la veillée. La plus âgée, qui ne pourrait suivre l'allure habituelle de ses compagnes, ouvre la marche; et, pour obliger les autres à régler leur pas sur le sien, elle a pris la lanterne, dont la lumière projetée devant elle permet de signaler, chemin faisant, les flaques d'eau et les pierres d'achoppement. La bonne femme s'occupe peu de celles qui la suivent: c'est assez pour elle, durant la route, que le soin d'obliger la toute petite fille confiée à sa garde à marcher près d'elle dans le rayon de lumière. Les voici à quelques pas de la ferme où se tient la veillée. Elles étaient attendues: deux hôtes du logis sont venues au devant d'elles. Flairant les tartines cachées dans le petit panier que l'enfant porte suspendu à son bras, le maître chat s'est avancé dans la rue, et, solliciteur perfide, il se promet déjà de voler ce qu'on ne lui donnera pas. Plus discret, le chien de garde attend modestement sur la porte la caresse que chaque fileuse ne manque jamais de lui donner en entrant.
Soyez les bienvenues, bonnes femmes qui tenez maintenant la place que vos mères occupaient autrefois! Soyez les bienvenues, jeunes filles qui continuerez pour vos enfants le salutaire exemple que vos mères vous donnent aujourd'hui!

Le Magasin pittoresque, juillet 1865.

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