Caran d'Ache.
Il fut un temps où M. Caran d'Ache ne s'appelait pas ainsi: il portait un nom beaucoup moins original. Emmanuel Poiré, tel est celui que lui donnèrent les auteurs de ses jours. Ses instincts d'artiste durent certainement protester dès ce moment, mais personne ne s'en aperçut et ce n'est que plus tard que M. Caran d'Ache prit ce nom par lequel il a prétendu nous étonner. C'était trop présumer de notre ignorance: on est arrivé à découvrir que le mot Karandache n'est autre qu'un mot russe qui signifie crayon. M. Caran d'Ache s'appelle donc en réalité M. Crayon. Valait-il pas mieux rester Poiré?
Nul n'a le droit de changer d'état civil, et c'est fort juste. Autrement l'exemple de M. Caran d'Ache pourrait être suivi par une foule de personnes qui remplaceraient leurs noms plus ou moins mélodieux par celui des instruments de leur fortune, et cet usage ne manquerait pas d'occasionner certains abus, si par exemple le pétomane ou Mlle Clio de Mérode voulaient le mettre en pratique. Aux yeux de la loi, M. Caran d'Ache s'appelle toujours M. Poiré, et je préviens ses créanciers, s'il en a, que c'est à ce nom qu'ils auraient du l'assigner en paiement de ses dettes sous peine de voir annuler leur instance.
Mais M. Caran d'Ache n'a sans doute pas de créanciers: c'est un artiste "arrivé" et qui fait payer ses coups de crayon. Il s'est particulièrement appliqué, de même que Polin, artiste non moins fameux, à l'étude des militaires, et les a représenté avec beaucoup de verve dans leurs diverses attitudes: ses cavaliers seront surtout campés avec chic. C'est au ministère de la Guerre, où il fit son service, qu'il s'est exercé, paraît-il, à reproduire des costumes et des types de nos armées.
Il faut compter parmi ses principaux succès, ses histoires sans légende, genre dont il fut le créateur en France et qui est resté en faveur dans tous nos journaux illustrés. Il est facile de constater, en comparant ses dessins avec ceux qu'il a accompagné d'un texte, que M. Caran d'Ache a beaucoup plus d'esprit quand il dessine que quand il parle.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 Mars 1905.
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