Mission de M. Maurel au Cambodge.
M. Maurel, médecin principal de la marine, était chargé par le ministère de l'Instruction publique, à la fin de 1884, d'une mission au Cambodge, à la fois géographique, anthropologique et ethnographique, et comprenant en outre l'organisation, dans ce pays, du service de santé. C'est de cette mission, heureusement accomplie, que M. Maurel est venu entretenir la Société de géographie de Paris.
Après avoir montré l'importance prise à diverses époques par chacun des peuples qui se partagent l'Indo-Chine, par l'exhibition de cartes représentant cette vaste contrée dressées au VIIe siècle jusqu'à ce jour, M. Maurel fait paraître un groupe de jeunes Cambodgiens, à figure intelligente, revêtus du costume national; exhibition préalable à celle des huit squelettes complets et des treize crânes détachés qu'il a fait exhumer pour les soumettre à des mensurations qui se sont d'ailleurs étendues aux vivants. L'explorateur passe ensuite à la description de l'habitation, du mobilier, du costume, des objets d'alimentation, etc. Nous résumons comme suit cette partie de son discours.
L'habitation est construite en bambous et sur pilotis, pour éviter l'inconvénient de l'inondation. Elle n'a qu'un étage et se divise en plusieurs compartiments, dont quelques-uns exclusivement réservés aux femmes et aux enfants. Le mobilier, des plus primitifs, comporte le plus ordinairement une table, un matelas, quelques tabourets en bambous et des crachoirs. Des nattes et des armes sont suspendues aux murs. Le matelas et la natte des Cambodgiens sont, paraît-il, d'une extrême commodité. La femme et l'homme portent le même vêtement, le sampot, dont M. Maurel explique le mode d'emploi. Contrairement à ce qui s'observe chez la plupart des peuples, les femmes portent les cheveux courts. Une curieuse collection de sampots nous avait renseigné tout à l'heure d'une manière aussi complète que rapide sur les divers aspects de la toilette cambodgienne; voici maintenant une collection de fourneaux, de marmites et autres ustensiles de cuisine, qui va nous initier à tous les détails de l'alimentation. Un service de table est enfin placé sous les yeux du public. Il frappe par sa simplicité: le Cambodgien mange avec ses doigts. Cette simplicité n'exclut pas cependant un certain luxe: les quelques pièces de vaisselle peuvent être en argent ou en or massif finement travaillés.
Au moral, le Cambodgien est un joueur effréné. Ses deux jeux favoris sont le bacing et le "jeu des trente-six bêtes". Ce peuple a trois habitudes dominantes: l'usage du tabac, celui de l'opium et celui du bétel. Ces habitudes ne sont pas sans déterminer chez les individus des excès funestes pour la santé physique comme pour la santé mentale. M. Maurel s'occupe ensuite des arts: la céramique, le fin tissage de la soie, l'architecture elle-même, la musique sont cultivés au Cambodge.
Les ruines kmers attestent la grandeur et l'éclat de la civilisation dans cette contrée au VIIe et au VIIIe siècle. L'influence française fera-t-elle au Cambodge un avenir digne de son passé? M. Maurel n'en doute pas; et en patriote ardent, mais éclairé, il se fait vivement applaudir lorsqu'il démontre, par son histoire coloniale même, que le génie de la France n'est pas moins colonisateur, quoique d'autres façons peut être, que celui des nations les plus renommées sous ce rapport. C'est une vérité qu'on ne saurait trop répéter, jusqu'à ce que les Français eux-mêmes en soient bien convaincus, et renoncent enfin à se faire leurs propres diffamateurs.
Journal des Voyages et des Aventures de terre et de mer, dimanche 22 août 1886.
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