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vendredi 28 août 2015

Saint Crépin et saint Crépinien.

Saint Crépin et saint Crépinien.


"Tous ceux qui vivent d'un travail mercenaire font un métier dégradant", dit Cicéron avec toute l'antiquité païenne. Le christianisme vint rétablir le travail manuel. Quand saint Paul se retira chez le corroyeur Aquilas, l'Apôtre des nations, foulant aux pieds l'orgueil du citoyen romain, s'exerça généreusement au métier de son hôte. Aquilas fabriquait des tentes pour les armées romaines; Saint Paul prend part à la préparation des peaux. Laboramus, écrit-il aux Corinthiens, laboramus operantes manibus nostris. Ces simples mots transforment de fond en comble le monde social, en substituant au travail serf le travail libre.
Deux patriciens romains, Crépin et Crépinien, désireux de donner à nos pères le même enseignement, franchissent les Alpes et vont s'établir à Soissons. Les Gaulois n'estiment que la profession des armes. Crépin et Crépinien adoptent le métier réputé le plus abject. Peu à peu la grâce divine ensoleille l'atelier, qui devient une école de philosophie où pauvres et riches, vont s'initier à l’Évangile. 



Quand sonne l'heure de la persécution; quand le préfet Rictiovare, s'emparant des deux Romains, fait enfoncer des broches entre leurs ongles et ordonne au bourreau de découper sur leur dos des lanières de peau sanglante, Crépin et Crépinien opposent à ces horribles sévices une sérénité magnanime.
Nombre de chrétiens ne connaissent pas assez leurs héros. S'ils exploraient les épopées dont les Acta sanctorum déroulent les péripéties, peut-être se montreraient-ils plus fiers.
Il faut rendre à la corporation des cordonniers cette justice, qu'elle n'a jamais méconnu la noblesse de son origine. Aujourd'hui encore, fidèle au culte de ses saints patrons, elle célèbre leur fête par des cérémonies religieuses et des banquets.
Chaque année, à Soissons, les reliques des deux saints sont exposés à la vénération des fidèles, et les cordonniers de la ville tiennent à porter la châsse sur leurs épaules à la procession qui précède la grand'messe que fait chanter la corporation. A Doullens (Somme), la veille de la Saint-Crépin, un apprenti, la lèvre supérieure ombragée d'une épaisse moustache et le corps surchargé des outils de la profession, fait le tour de la ville, monté sur un cheval grossièrement harnaché.
" L'archiconfrérie royale des cordonniers de Paris" fut fondée par Charles V, au XIVe siècle, mais la corporation remonte au IXe siècle. Le même souverain fut le héros d'une scène curieuse. Un jour qu'il se trouvait à Troyes, il fit raccommoder ses chaussures par un cordonnier de la ville.
"Quel prix veux-tu pour ton travail? demanda le roi.
- Je ne veux aucun salaire, répondit le disciple de saint Crépin.
- Mais alors quelle grâce désires-tu obtenir?
- Une seule. Donnez à ma corporation la faveur de célébrer la Saint-Crépin à l'abbaye royale de Saint-Loup.
- Qu'il en soit fait comme tu le demandes" fit le roi.
Les "grands airs" de messieurs les cordonniers et les savetiers mettaient nos pères en liesse. Avec quelle joie on les satirisait! Mais les chevaliers de l'alène" ne se formalisaient pas de ces brocards, et ils riaient les premiers des bonnes plaisanteries dont on les blasonnait. Parmi les chansons que les cordonniers ont inspirées aux bardes des temps jadis, nous n'en citerons que deux.
 Voici la première:




II
Tous les lundis, ils s'en font une fête, (bis)
Et le mardi ils ont mal à la tête,
Lon la,
Battons la semelle, le beau temps reviendra.

III
Et le mardi ils ont mal à la tête, (bis)
Le mercredi ils vont boire chopinette,
Lon la,
Battons la semelle, le beau temps reviendra.

IV
Le mercredi ils vont boire chopinette, (bis)
Le jeudi ils aiguisent leurs alènes,
Lon la,
Battons la semelle, le beau temps reviendra.

V
Et le jeudi ils aiguisent leurs alènes, (bis)
Le vendredi ils sont sur la sellette,
Lon la,
Battons la semelle, le beau temps reviendra.
VI
Le vendredi ils sont sur la sellette, (bis)
Et le samedi petite est la recette,
Lon la,
Battons la semelle, le beau temps reviendra.

Au tour de messieurs les savetiers; la joyeuse cantilène que voici les concerne:




II
Des procureurs assis dedans leurs places, 
Les voyant v'nir, faisant laides grimaces,
Disent à leurs clercs: "Que demandent ces gueux?"
Et place à messieurs, etc.

III
Maître Tobie, le plus vieux de la bande,
Est député pour aller à l'offrande
Disant aux jeunes: "Laissez passer les vieux."
Et place à messieurs, etc.

IV
Maître Gervais, comme le plus capable, 
Aux Trois Maillets fait dresser la table;
Car en festins c'est lui qui s'entend le mieux.
Et place à messieurs, etc.

V
Et quand il vient à sortir de Saint-Pierre,
Aux Trois Maillets ils ont couru grand erre, 
Et le bedeau y marchait devant eux.
Et place à messieurs, etc.

VI
Le premier mets, ce fut une échignée,
Des pois au lard et de la fricassée,
Un haricot bien gras et plantureux.
Et place à messieurs, etc.

VII
Après suivaient le boudin et l'andouille;
De gros navets et des plats de citrouille;
Les aloyaux y allaient deux à deux.
Et place à messieurs, etc.

VIII
Les pieds de porc, les groins, les oreilles,
Dans ce festin leur semblaient des merveilles;
C'étaient leurs mets les plus délicieux.
Et place à messieurs, etc.

IX
Les raves étaient à deux doubles la botte, 
Il y avait cinq à six carottes,
Ragoût du tout réservé pour les vieux.
Et place à messieurs, etc.

X
Pour le dessert, il fut des plus honnêtes,
Du vieux fromage avecque des noisettes
Et un grand plat de marrons tout véreux.
Et place à messieurs, etc.

XI
Marrons pourris, poires et pommes molles,
En les mangeant on eut dit de la colle,
Car leurs mentons en étaient tout baveux.
Et place à messieurs, etc.

XII
Le vin clairet à trois sols ou quatre,
Il en fut bu presques à deux cents quartes;
Si ivres étaient qu'il leur ressort des yeux?
Et place à messieurs, etc.

XIII
Ils sont sortis lorsqu'on ne voyait goutte,
De son logis chacun a pris la route,
Minuit sonnait avant d'être chez eux.
Et place à messieurs, etc.

XIV
Les femmes ont dit: Voyez la diablerie
De ces messieurs de la savatterie;
Ils sont si fous, qu'il tombent deux à deux.
Et place à messieurs, etc.

XV
Ce sont pourtant de grands homme de guerre,
Qui sur la selle ont toujours le derrière,
La dague au poing, le pied à l'étrieux.
Et place à messieurs, etc.

XVI
Ceux qui ont fait cette chanson jolie
Étaient présents à cette confrérie,
Et au festin allèrent avec eux.
Et place à messieurs, etc.


Sous ce badinage parfois burlesque, on devine un sentiment de fierté chrétienne. Le savetier n'a pas honte de sa profession, et, s'il en parle avec une gravité comique, il ne faudrait pas essayer de prendre au sérieux ses plaisanteries: on sent que notre artisan se rebifferait. Au surplus, sous l'ancien régime, tous les corps d'état affichent, comme la communauté de Saint-Crépin, la même fierté. pour exercer un métier manuel, on ne s'en croit pas moins noble. Les corporations ont leurs armoiries, leur bannière et leur sceau, comme les plus puissants seigneurs de l'époque féodale. Pas un artisan n'oublie que l'Eglise, notre Mère, a ennobli le travail des mains; personne n'est humilié d'un condition que le Christ a daigné partager!

Les fêtes de nos pères, Oscar havard, Mame, 1898, Tours.

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