Le sâr Péladan.
M. Péladan s'est fait très jeune une place et un nom dans la littérature cabalistique. Un autre se fût contenté peut-être d'illustrer le nom de Péladan, la célébrité suffit à de petits cerveaux: au rénovateur de la Rose†Croix, il fallait des satisfactions plus raffinées. Constatant que les titres de mage et de sâr étaient inusités en France et probablement abandonnés en Chaldée, il se dit que ce qui n'était à personne était à tout le monde, et se décerna avec un grand sérieux la dignité de sâr merodack.
Ce que sont exactement les fonctions et les privilèges d'un sâr merodack, de plus savant vous l'apprendront; je puis dire seulement que celui qui porte ce titre est un personnage très important, quelque chose comme un évêque qui serait ministre. C'est très beau, en somme, pour M. Péladan d'être arrivé là si jeune et sans protection.
Jusqu'alors, il avait dirigé, rue d'Argenteuil, une petite revue bibliographique, et le soir il fréquentait quelques réunions de lettrés. Le titre de sâr et l'amitié d'un autre décadent illustre, M. Huysmans, le tirèrent tout à coup de l'ombre: M. Péladan devint le desservant d'une chapelle née du caprice de la mode et fréquentée, point n'est besoin de le dire, surtout par des femmes. Il était consulté sur des questions intimes et donnait des philtres pour se faire aimer. Son costume, comme sa profession, n'était pas bien défini: il n'était point parisien, ni français, encore moins chaldéen. C'était le plus souvent un veston, avec manchettes, col et jabot de dentelles. Il eut aussi un complet Watteau, bleu, avec un pli dans le dos, et porta un chapeau gris sans ruban.
Lorsque ses disciples et son tailleur lui laissaient des loisirs, M. Péladan écrivait. A la fois homme de lettre, philosophe et mystagogue, il a donné, sous le titre général de la Décadence latine, une série de douze volumes, qui témoignent encore sur les quais de sa fécondité et de l'indifférence du public. En même temps, il ressuscitait l'ordre de la Rose†Croix, dont il devenait d'emblée grand-maître; il s'entourait de commandeurs et de chevaliers, et pour rajeunir cet ordre quelque peu démodé, il fondait en 1892 le Salon de peinture de la Rose†Croix, où les visiteurs les plus moroses ne pouvaient conserver leur sérieux plus de dix minutes.
Aucune forme de l'art n'échappe à la connaissance d'un sâr merodack: M. Péladan organisa également des concerts au nom de la Rose†Croix et composa des pièces de théâtre, notamment Babylon, où voisinent, comme dans ses romans, la matière et le symbole. La Rose†Croix était alors à son apogée; la décadence des décadents allait bientôt venir.
Aujourd'hui, moins heureux que plusieurs de ses frères en cabale, qui, comme lui ont fait peau neuve, le sâr Péladan végète. Il écoule avec peine sa copie et n'est pas de l'Académie des Goncourt. Il est tombé de trop haut. Quelle situation, quel titre pouvait-on décemment offrir à un ancien sâr, à un mage démissionnaire?
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 2 avril 1905.
Ce que sont exactement les fonctions et les privilèges d'un sâr merodack, de plus savant vous l'apprendront; je puis dire seulement que celui qui porte ce titre est un personnage très important, quelque chose comme un évêque qui serait ministre. C'est très beau, en somme, pour M. Péladan d'être arrivé là si jeune et sans protection.
Jusqu'alors, il avait dirigé, rue d'Argenteuil, une petite revue bibliographique, et le soir il fréquentait quelques réunions de lettrés. Le titre de sâr et l'amitié d'un autre décadent illustre, M. Huysmans, le tirèrent tout à coup de l'ombre: M. Péladan devint le desservant d'une chapelle née du caprice de la mode et fréquentée, point n'est besoin de le dire, surtout par des femmes. Il était consulté sur des questions intimes et donnait des philtres pour se faire aimer. Son costume, comme sa profession, n'était pas bien défini: il n'était point parisien, ni français, encore moins chaldéen. C'était le plus souvent un veston, avec manchettes, col et jabot de dentelles. Il eut aussi un complet Watteau, bleu, avec un pli dans le dos, et porta un chapeau gris sans ruban.
Lorsque ses disciples et son tailleur lui laissaient des loisirs, M. Péladan écrivait. A la fois homme de lettre, philosophe et mystagogue, il a donné, sous le titre général de la Décadence latine, une série de douze volumes, qui témoignent encore sur les quais de sa fécondité et de l'indifférence du public. En même temps, il ressuscitait l'ordre de la Rose†Croix, dont il devenait d'emblée grand-maître; il s'entourait de commandeurs et de chevaliers, et pour rajeunir cet ordre quelque peu démodé, il fondait en 1892 le Salon de peinture de la Rose†Croix, où les visiteurs les plus moroses ne pouvaient conserver leur sérieux plus de dix minutes.
Aucune forme de l'art n'échappe à la connaissance d'un sâr merodack: M. Péladan organisa également des concerts au nom de la Rose†Croix et composa des pièces de théâtre, notamment Babylon, où voisinent, comme dans ses romans, la matière et le symbole. La Rose†Croix était alors à son apogée; la décadence des décadents allait bientôt venir.
Aujourd'hui, moins heureux que plusieurs de ses frères en cabale, qui, comme lui ont fait peau neuve, le sâr Péladan végète. Il écoule avec peine sa copie et n'est pas de l'Académie des Goncourt. Il est tombé de trop haut. Quelle situation, quel titre pouvait-on décemment offrir à un ancien sâr, à un mage démissionnaire?
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 2 avril 1905.
Le sâr Péladan pris pour un charlatan.
C'est par son vêtement plus encore que par ses théories métaphysiques que le sâr Péladan s'est fait une réputation d'excentrique. Il arborait volontiers des vestons de velours mauve ou blanc, des gilets jaunes, des pantalons bizarres, des chapeaux fous. Une amusante aventure lui arriva à Saint-Briac, plage bretonne où il aimait à passer la saison d'été.
Lorsqu'on le vit paraître pour la première fois sur la place du bourg, son costume provoqua une vive rumeur. Soit pour affirmer sa dignité de mage, soit dans le but de séduire la foule toujours amoureuse du clinquant, il avait orné son feutre de longues plumes d'autruche. Un justaucorps de velours chaudron lui serrait la taille et, très bouffants, ses chausses de peluche écarlate s'enfouissaient au dessus du genou en de hautes bottes de peau de daim. Une fraise aux plis empesés complétait ce vêtement archaïque qui rappelait celui des gentilshommes du XVIe siècle.
On s'empressa autour du personnage empanaché, chacun voulant savoir ce que ce déguisement signifiait. Les opinions les plus diverses étaient émises, lorsqu'un homme, sortant d'un groupe, avisa M. Péladan qu'il apostropha en ces termes:
- Je suis l'adjoint de Saint-Briac et vous pouvez m'en croire, c'est inutile de demander la permission, vous ne ferez pas un sou dans la commune, un de vos confrères est venu ici l'année dernière; il avait deux chevaux, un nègre et un musicien. Eh bien, il est parti comme il est venu, il n'a pas trouvé de clients...
Horreur! on prenait le mage pour un marchand d'orvétian et un arracheur de dents! Très confus, M. Péladan protesta et expliqua que s'il se culottait d'aurore et ceignait son front d'une auréole, c'était en poète désireux de mettre sa tenue en harmonie avec la beauté de la plage.
On le cru fou et personne ne s'occupa plus de lui.
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