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dimanche 16 août 2015

Les odeurs de Paris.

Les odeurs de Paris.

Ces jours derniers la nouvelle s'est répandue dans Paris que le livre de M. Louis Veuillot sur les Odeurs de Paris venait d'être saisi. C'était un de ces faux bruits qui, nés on ne sait où et répétés par je ne sais qui, font leur chemin dans le monde. Du reste, quand les nouvelles de ce genre se trouvent démenties par l'événement, elles sont loin de nuire au succès d'un livre; elles ajoutent à l'attrait qu'il peut avoir, qu'il ne peut manquer d'avoir quand il est dû à la plume de M. Louis Veuillot. Beaumarchais avait pris pour armes parlantes un tambour avec cette devise: Non sonat nisi percussus; il ne retentit que lorsqu'on le frappe. C'est donc beaucoup pour un livre que d'être frappé, c'est quelque chose d'être menacé, c'est même un avantage que de passer pour avoir été menacé, car à la saveur naturelle du fruit vient s'ajouter une autre saveur fort goûtée d'une grande partie du public, celle du fruit défendu.
Ce dernier cas est, selon nos renseignements, celui du livre de M. Louis Veuillot. Il avait écrit un livre sur les Parfums de Rome, il a voulu donner à ce livre un pendant ou, pour parler plus juste, un contraste; il a composé un volume sur les Odeurs de Paris. Les odeurs, ce mot rend-t-il bien sa pensée? J'en doute. Je connais un titre qui serait allé plus droit au but; mais, si le vrai titre ne se trouve pas sur le frontispice, on l'entrevoit dès les premières pages du livre.
"Faute de pouvoir aller chercher à leur source toutes les mauvaises odeurs parisiennes, dit l'auteur, j'ai donné une grande place aux produits littéraires. Après tout, peu de choses dans Paris et dans le monde à l'heure qu'il est sentent plus mauvais que le papier fraîchement imprimé, et ne contiennent plus de miasmes mortels... Ah! je viens de faire un dur voyage! A Rome, dans la belle clarté du jour, nous allions visiter les basiliques de marbre et d'or, toutes pleines de chefs-d'oeuvre et de grands souvenirs, de reliques sacrées, nous vénérions les tombeaux augustes et féconds, les ruines majestueuses où l'histoire est assise et parle toujours.
"Dans Paris, à travers la boue jaillissante, à travers la foule morne, à travers l'infecte nuit, j'allais des fumées de la pipe aux vapeurs de gaz, des cafés aux théâtres. C'est là que le peuple s'amuse, c'est là qu'il s'instruit. J'ai vu, j'ai entendu, j'ai noté la voix des histrions et les mouvements de la foule; j'ai senti le souffle et la main de la mort."
Ces lignes suffisent pour indiquer le sens et la portée du livre de M. Louis Veuillot. C'est une satire, la satire du temps présent, de tout ce qui se fait ou se dit, surtout de ce qui s'écrit. La grosse presse et la petite presse avec leurs chroniqueurs fustigés d'outrance, y ont leur couvert mis, comme le théâtre depuis les grandes scènes jusqu'au café chantant, y compris Mlle Thérésa, cette déesse de la licence qui remplace pour le paganisme contemporain les déesses de la liberté. Les quais, les rues, les boulevards, les lettres, les sciences, les beaux-arts qui sont souvent fort laids, y trouvent place. Tous ces sujets sont un peu mêlés, les idées s'accrochent de temps en temps dans les pages de M. Louis Veuillot, comme les voitures dans Paris. Mais on trouve dans son livre une honnête indignation, et dirai-je de vigoureux coups de pinceau ou de vigoureux coups de fouet. Vous vous rappelez la lettre de ce grand seigneur écrivant, pendant la Révolution, à son fils qui avait forligné: "Monsieur mon fils, si les coups de bâtons s'écrivaient, vous liriez cette lettre avec votre dos." J'ai peur que beaucoup de gens à Paris ne lisent pas le livre de M. Veuillot avec leurs yeux.
Je ne conseillerai cependant pas la lecture de ce volume à tout le monde, pas plus que je ne conseillerai à tout le monde la lecture des satires de Juvénal, qui était pourtant un galant homme et un grand satirique. Ce n'est pas la faute du peintre, ce n'est pas la faute du tableau, c'est la faute de l'original.

                                                                                                           Alfred Nettement.

La Semaine des Familles, 15 décembre 1866.

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