La France équinoxiale.
A côté des peuples jeunes et des pays nouveaux que nous passons actuellement en revue, et à l'avenir desquels nous voudrions quelque peu lier les destinées futures de notre patrie, d'autres régions et d'autres populations, tenues à l'écart, ignorants que nous sommes de leur valeur, méritent un peu de cette attention si prodigieuse aux choses acquises et si ménagée à tout ce qui n'est pas, comme on dit vulgairement, tombé dans le domaine public.
La France a été l'une des premières parmi les puissances européennes, à affirmer, sur tous les points du globe, l'esprit de conquête, et c'est sous le règne de Louis XIV que ce besoin d'expansion s'est particulièrement produit. N'avons-nous pas, en effet, au moment des affaires de Madagascar, fait remonter à l'époque du Roi-Soleil nos revendications sur la grande île africaine? Puisque aujourd'hui nous cherchons, en vertu de traités perdus dans la nuit des siècles, à recueillir quelques lambeaux de notre ancienne puissance coloniale, il est bon, croyons-nous, d'indiquer ces coins de terre que les vicissitudes de la situation actuelle nous font un devoir de réunir à la métropole.
Il y a deux cents ans, toujours sous le règne de Louis XIV, nous étions parvenus à établir nos droits sur un vaste territoire situé à l'embouchure du plus vaste fleuve du monde, sur les rives de l'Amazone, entre la rivière Oyapock et le rio Araguary. Bien que contigu à la Guyane, il lui est absolument différent. Il fait partie de l'Amazonie, de cette merveilleuse région brésilienne dont le commerce avec la France est supérieur à celui que nous entretenons avec la Grèce, le Portugal, le Venezuela, la Réunion, les Indes hollandaises, le Mexique, le Cap, le Sénégal, les Antilles anglaises, l'Australie, le Danemark, la Cochinchine, le Guatemala, les Indes françaises, la Guyane française, l'Equateur, les Philippines, la Bolivie et Siam: nous avions là, selon l'expression du temps, la France équinoxiale. La superficie totale de ce territoire est de 40.000 kilomètres carrés, soit six ou sept départements français; le Brésil, aujourd'hui, nous en conteste, non pas la totalité, mais tout au moins la moitié.
Il est à regretter que cette question du différend franco-brésilien n'ait pas encore été réglée d'une manière définitive depuis si longtemps qu'elle existe. En 1883 et 1884, il est vrai, on crut un instant que cette affaire allait sortir du long sommeil dans lequel toutes les diplomaties qui se sont succédé l'avait plongée; un échange de notes eut lieu entre M. Jules Ferry, alors ministre des affaires étrangères, et M. le baron d'Itajuba chargé d'affaires du Brésil. Comme trop souvent, il arrive en pareil cas, on se borna à un envoi réciproque de petits papiers, et la suite fut renvoyée au prochain numéro.
Cependant, il est certain que la France et le Brésil, grâce aux relations très amicales qui ne cessent de régner entre les deux pays, pourraient facilement arriver à un arrangement amiable. La presse brésilienne a fait preuve à cet égard des meilleures dispositions. Nous devons ajouter que les territoires qui se trouvent entre l'Oyapock et l'Amazone, à diverses reprises occupés, puis abandonnés par la France, sont en définitive toujours à l'état de marché neutre à peu près inutilisé. Les populations de cette contrée vivent aujourd'hui dans un état anarchique en dehors des influences française et brésilienne, à leur propre détriment et à celui des pays dont elles pourraient se réclamer.
M. Henri Coudreau, ancien Normalien, professeur à l'Université, a pris tâche d'apporter son concours à la solution de cette question si grave et si importante de l'Amazonie. Homme de grand talent, défenseur convaincu et acharné de l'influence française dans le Nouveau Monde, il a exploré et étudié à fond cette région si vaste, si riche, véritable grenier d'abondance des sociétés futures, et dont il nous a déjà donné la description dans son beau livre si bien écrit: Les Français en Amazonie.
Chargé d'une nouvelle mission dans cette contrée, M. Henri Coudreau est reparti il y a quelque temps, accompagné uniquement d'un jeune secrétaire, M. Laveaux, qui n'a cessé d'ailleurs de le suivre dans les missions antérieures qui lui ont été confiées.
Espérons que tous deux sauront amasser assez de preuves et de documents pour démontrer que l'oeuvre entreprise pas Louis XIV ne doit plus rester aujourd'hui lettre morte.
Nous avons en vérité trop perdu de nos conquêtes dans le Nouveau Monde, depuis les quelques arpents de neige dont parlait Voltaire, jusqu'à la colonie Malouine, et sans vouloir conquérir de nouvelles possessions sur la large et longue bande de terre qui sépare ces deux extrémités, nous désirons tout au moins conserver ce que nous avons pu acquérir, d'autant plus qu'en agissant ainsi nous ne portons ni ombrage, ni préjudice à aucune nation américaine: Monroë peut donc dormir tranquille.
Enfin, pour terminer et fixer le souvenir de ceux qui ignorent l'existence de l'Amazonie, nous leur citerons ces lignes que nous avons rencontrées dans le livre de M. Coudreau:
"A quelques lieues au nord de l'embouchure du gigantesque Amazone, un cours d'eau modeste, aux bords riants et heureux, aux gracieux méandres rappelant la Seine par son tracé et son parcours, descend à l'Atlantique entre un marais peuplé d'oiseaux d'eau et une montagne peuplée d'urnes cinéraires et funéraires, archives des tribus disparues. Ce fleuve modeste et beau, heureux et calme, c'est le ... Counani, le rio des prairies, des hautaines futaies et des cimetières indiens."
Le nom de ce rio rappellera que sa vallée a failli voir naître une république dont l'éclosion bizarre servit à égayer tant de gens... Le moment d'hilarité passé, souvenons-nous que si les républiques y meurent, des sociétés y vivront et viendront prospérer au milieu de cette nature grandiose de cette France équinoxiale qui inspirera peut être un jour quelques belles pages à Pierre Loti.
Georges Guilaine.
Revue Illustrée, Juin 1889- Décembre 1889.
Cependant, il est certain que la France et le Brésil, grâce aux relations très amicales qui ne cessent de régner entre les deux pays, pourraient facilement arriver à un arrangement amiable. La presse brésilienne a fait preuve à cet égard des meilleures dispositions. Nous devons ajouter que les territoires qui se trouvent entre l'Oyapock et l'Amazone, à diverses reprises occupés, puis abandonnés par la France, sont en définitive toujours à l'état de marché neutre à peu près inutilisé. Les populations de cette contrée vivent aujourd'hui dans un état anarchique en dehors des influences française et brésilienne, à leur propre détriment et à celui des pays dont elles pourraient se réclamer.
M. Henri Coudreau, ancien Normalien, professeur à l'Université, a pris tâche d'apporter son concours à la solution de cette question si grave et si importante de l'Amazonie. Homme de grand talent, défenseur convaincu et acharné de l'influence française dans le Nouveau Monde, il a exploré et étudié à fond cette région si vaste, si riche, véritable grenier d'abondance des sociétés futures, et dont il nous a déjà donné la description dans son beau livre si bien écrit: Les Français en Amazonie.
Chargé d'une nouvelle mission dans cette contrée, M. Henri Coudreau est reparti il y a quelque temps, accompagné uniquement d'un jeune secrétaire, M. Laveaux, qui n'a cessé d'ailleurs de le suivre dans les missions antérieures qui lui ont été confiées.
Espérons que tous deux sauront amasser assez de preuves et de documents pour démontrer que l'oeuvre entreprise pas Louis XIV ne doit plus rester aujourd'hui lettre morte.
Nous avons en vérité trop perdu de nos conquêtes dans le Nouveau Monde, depuis les quelques arpents de neige dont parlait Voltaire, jusqu'à la colonie Malouine, et sans vouloir conquérir de nouvelles possessions sur la large et longue bande de terre qui sépare ces deux extrémités, nous désirons tout au moins conserver ce que nous avons pu acquérir, d'autant plus qu'en agissant ainsi nous ne portons ni ombrage, ni préjudice à aucune nation américaine: Monroë peut donc dormir tranquille.
Enfin, pour terminer et fixer le souvenir de ceux qui ignorent l'existence de l'Amazonie, nous leur citerons ces lignes que nous avons rencontrées dans le livre de M. Coudreau:
"A quelques lieues au nord de l'embouchure du gigantesque Amazone, un cours d'eau modeste, aux bords riants et heureux, aux gracieux méandres rappelant la Seine par son tracé et son parcours, descend à l'Atlantique entre un marais peuplé d'oiseaux d'eau et une montagne peuplée d'urnes cinéraires et funéraires, archives des tribus disparues. Ce fleuve modeste et beau, heureux et calme, c'est le ... Counani, le rio des prairies, des hautaines futaies et des cimetières indiens."
Le nom de ce rio rappellera que sa vallée a failli voir naître une république dont l'éclosion bizarre servit à égayer tant de gens... Le moment d'hilarité passé, souvenons-nous que si les républiques y meurent, des sociétés y vivront et viendront prospérer au milieu de cette nature grandiose de cette France équinoxiale qui inspirera peut être un jour quelques belles pages à Pierre Loti.
Georges Guilaine.
Revue Illustrée, Juin 1889- Décembre 1889.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire