A saisir de suite.
Les marchands, les fournisseurs qui sont constamment en rapport avec la clientèle féminine ont sur la valeur relative de leurs multiples clientes des opinions qu'il est intéressant ce connaître.
Un employé de grand magasin de nouveautés, qui est en même temps un parfait psychologue, règle sa manière de présenter l'article et de faire mousser la marchandise sur l'extérieur de l'acheteuse. Ecoutez-le parler: Voici l'acheteuse sérieuse, affairée, liste en main, idée arrêtée. D'avance, elle a tracé, pour ne point perdre de temps, le plan de ses achats, elle ne s'égare à aucun comptoir et glisse, sans regarder, à droite, à gauche, les séductions les plus tentantes. Avec cette cliente, il n'y a point de bénéfice inespéré à réaliser, toutes les phrases ne pourraient la décider à prendre autre chose que ce pourquoi elle est venue. Elle fait son emplette et elle part, sans hésitation.
La bonne aubaine pour le vendeur est la simple visiteuse, la femme flâneuse qui entre là pour passer le temps, sans besoin précis, pour respirer l'odeur des chiffons, des dentelles, des fleurs, pour manier les rubans, soupeser les jupons de soie, examiner les coupons de dentelle, retourner, dénicher les occasions extraordinaires, les "bons marchés à saisir de suite", sans oublier les "fins de saison exceptionnelles."
Le voila bien, le miroir étincelant que déroule, pour nous attirer, le commis patient. Car ce miroir, c'est pour nous, les satins adroitement froissés, les tulles aux paillettes miroitantes, les écharpes de fourrure qui s'enlacent autour d'un mannequin vêtu de velours, les peignes, les fleurs, les aigrettes qui se piquent dans la chevelure onduleuse d'une tête de cire, les onguents, les eaux merveilleuses qui rendent souples les cheveux les plus rebelles, le corset qui emboîte admirablement un buste aux formes soigneusement modelée, etc. La promeneuse venue là pour s'exposer à la tentation, se laisse tenter, s'arrête et... succombe. Elle fait cependant quelques protestations timides pour se mettre en règle avec sa conscience, alors qu'il lui faudrait, au contraire, couler dans ses oreilles de la cire comme les compagnons d'Ulysse, pour ne point entendre la voix des sirènes représentées aujourd'hui par l'adroit vendeur.
- Oui, certes, ce coupon est très avantageux, mais je crains que le satin ne s'éraille.
- S'érailler! la trame est d'une résistance extraordinaire, madame!
- Cette dentelle me plait, mais je ne sais pas le métrage qu'il me faut.
- Qu'à cela ne tienne, prenez-là toujours, vous me rendrez le surplus.
- Vous pensez que ces plumes ne se défriseront pas à l'humidité, la couleur m'en semble passée?
- Passée, oh! non, madame, elle est toute fraîche, nous ne nous en dessaisissons à la moitié de sa valeur que parce que nous n'avons plus l'assortiment.
Petit à petit, à mesure qu'elle s'avance dans le magasin, l'acheteuse, venue pour voir, est prise dans l'engrenage. Elle achète et revient les mains garnies de paquets. Elle les déroule et, en les dépliant, ne leur trouve plus aucune des qualités qui l'avaient séduite dans le magasin; elle n'en voit même plus l'utilisation qui lui semblait immédiate, il y a une heure environ. Que d'argent gâché par ces dépenses imprévues qui détruisent l'équilibre du budget!
L'exemple, hélas! est fréquent de mères de famille, de maîtresses de maison qui se plaignent de la modicité de leurs ressources et gaspillent leur argent en des dépenses inconsidérées. Une femme vraiment raisonnable ne saurait agir ainsi; il est de toute justice qu'elle soit à l'affût du bon marché, pourvu que ce bon marché ne soit pas une occasion qui ne lui est pas indispensable. A l'avance, elle a étudié ses besoins de façon à ne point s'embarrasser d'objets d'une utilité contestable, et, supprimant ainsi des achats étourdis, elle arrive à réaliser de surprenantes économies.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 5 février 1905.
- Oui, certes, ce coupon est très avantageux, mais je crains que le satin ne s'éraille.
- S'érailler! la trame est d'une résistance extraordinaire, madame!
- Cette dentelle me plait, mais je ne sais pas le métrage qu'il me faut.
- Qu'à cela ne tienne, prenez-là toujours, vous me rendrez le surplus.
- Vous pensez que ces plumes ne se défriseront pas à l'humidité, la couleur m'en semble passée?
- Passée, oh! non, madame, elle est toute fraîche, nous ne nous en dessaisissons à la moitié de sa valeur que parce que nous n'avons plus l'assortiment.
Petit à petit, à mesure qu'elle s'avance dans le magasin, l'acheteuse, venue pour voir, est prise dans l'engrenage. Elle achète et revient les mains garnies de paquets. Elle les déroule et, en les dépliant, ne leur trouve plus aucune des qualités qui l'avaient séduite dans le magasin; elle n'en voit même plus l'utilisation qui lui semblait immédiate, il y a une heure environ. Que d'argent gâché par ces dépenses imprévues qui détruisent l'équilibre du budget!
L'exemple, hélas! est fréquent de mères de famille, de maîtresses de maison qui se plaignent de la modicité de leurs ressources et gaspillent leur argent en des dépenses inconsidérées. Une femme vraiment raisonnable ne saurait agir ainsi; il est de toute justice qu'elle soit à l'affût du bon marché, pourvu que ce bon marché ne soit pas une occasion qui ne lui est pas indispensable. A l'avance, elle a étudié ses besoins de façon à ne point s'embarrasser d'objets d'une utilité contestable, et, supprimant ainsi des achats étourdis, elle arrive à réaliser de surprenantes économies.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 5 février 1905.
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