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vendredi 14 août 2015

Une femme qui a un œil de lapin.

Une femme qui a un œil de lapin.

Un de nos lecteurs de New-York nous signale un événement extraordinaire qui vient de se passer dans une ville de l'Ohio; la victime de l'aventure étant très connue dans le grand monde américain, nous ne pouvons donner son nom, nous l'appellerons miss L***.
Miss L*** est jeune, jolie et fille d'un richissime propriétaire de mines; c'est aussi une chauffeuse émérite; en voulant battre un record le mois dernier sur sa machine de "60 chevaux", elle fit une fausse manœuvre, l'automobile versa et la lança sur la route.
On la releva dans un état piteux, tout le côté droit du nez avait été dépouillé de son épiderme, l’œil, arraché de l'orbite pendait, en dehors des paupières retenu par quelques ligaments. La blessure partant au-dessus du sourcil où le front déchiré sur une longueur de deux doigts, laissait pendre une sorte de lanière de peau dont l'extrémité était faite d'un fragment de cuir chevelu, garni de ses cheveux.
Tout d'abord, un jeune médecin de la ville voisine, mandé en hâte, crut le mal irréparable, cependant il se mit à réfléchir et à étudier les blessures; quelques minutes après, il s'était décidé à agir. Il réclama l'assistance d'un confrère du voisinage et demanda qu'on lui apporte un lapin; il fixa par d'habiles points de suture la peau du front et du cuir chevelu dont le lambeau recouvrait bien la déchirure. Puis d'une main résolue, il trancha les filaments qui retenaient encore l’œil écrasé et, saisissant le lapin, froidement, il extirpait de l'orbite de l'animal l’œil tout vivant qu'il introduisait sous les paupières de la blessée, en les maintenant dans la position la plus propice.
La jeune fille, sous la douleur atroce, s'agitait; le médecin fit un signe à son collègue et, relevant la manche de sa chemise, indiqua avec un calme effrayant un endroit de son propre bras d'où il fit détacher un carré de peau de cinq centimètres de côté. S'emparant de ce lambeau, il l'appliqua lui-même sur le côté dépouillé du nez de la malade et avec un sang froid extraordinaire le disposa en lui faisant épouser exactement les contours et les sinuosités du pauvre nez endolori.
Au bout de quatre mois, miss L*** put sortir. Son médecin a été si habile que personne, en la voyant, ne peut soupçonner l'épouvantable défiguration dont elle a été menacée; il suffit d'un léger nuage de poudre de riz pour cacher les imperceptibles lignes qui apparaissent sur le visage.
Quant à l’œil factice, grâce à des injections particulières, on lui a donné la nuance de celui qui est resté sain: il vit, mais il ne voit pas. Cette opération chirurgicale est regardée comme l'une des plus hardies qui aient jamais été entreprises.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 9 avril 1905.

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