La grand'déconfiture du peintre Brouillcolours.
A Tuybelim la première passe!
(Mais ce nom tant biscornu vous émeut. Vainement chercheriez saint Tuybelim ès calendriers. Triboulet fut le nom de ce bon apôtre, jusqu'au jour où passa par Angers le seigneur bohème qui, plus il essayait de bien dire Triboulet, et plus apertement en son jargon étrange prononçait Tuybelim, dont s'esbaudirent courtisans et menins et s'en dilatèrent les rates, tant et si bien que le fol en perdit son nom, et, dès ce temps en avant, Tuybelim fut nommé.)
Tuybelim donc, puisque Tuybelim y a, dextrement, en silence et d'aguet s'approche du fat Brouillcolours, tantôt en avant boutant sa jambe jaune et tantôt sa jambe rouge.
Pas plus que vous ni moi Brouillcolours n'était peintre. Brouillcolours était un fat. Depuis trente-six ans (sans compter les fériés) était apprentif en son art et pas plus qu'au premier jour ne savait rien mener à bien; et pensait pourtant, pour avoir trente-six ans sur belle toile de Laval broyé et brouillé ses couleurs, mériter un jour quelque bonne pension du roi René, à qui, comme chacun sait, enlumineurs et peintres étaient chers plus qu'à pas un monarque ou seigneur.
Et déjà, ce gâteur de belle toile croit voir Ma dame Marie lui sourire et lui promettre réussite et faveur de Messire le roi, et point n'aperçoit de quel air souffreteux et piteux le regarde la Dame des cieux, comme dolent d'être si méchamment pourtraiturée et quel visage grognon porte l'enfant Jésus mal peint et mal en point.
Crac! la toile crève, et au lieu que Madame Marie lui sourie, c'est un diable qui tire la langue et par qui, du même coup, l'entendement, les rêves, les couleurs, les escabeaux et la grosse personne du pauvre Brouillcolours, tout est bouleversé!
Grand Almanach français illustré, 1891.
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