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mardi 6 janvier 2015

L'ancienne serrurerie.

L'ancienne serrurerie.

La vue de ces deux clefs reporte notre pensée vers un art presque entièrement disparu aujourd'hui, et auquel nous ne saurions songer sans une admiration mêlée de regret. 


De nos jours, les clefs sont des instruments dont on se préoccupe seulement de diminuer le volume et le poids, de rendre la forme aussi simple et aussi commode que possible. Un anneau les termine invariablement et permet de les bien tenir en main, en même temps que de les suspendre au besoin. L'intention de l'ouvrier qui les fabrique ne va pas plus loin.
Aussi la clef n'a-t-elle d'autre valeur que son utilité; on s'en sert, on ne la regarde pas. Autrefois, il n'en était pas de même; au seizième siècle particulièrement, l'industrie ne se sépara pas de l'art. C'était alors une tendance instinctive et générale de chercher à répandre partout le beau, à confondre l'utile à l'agréable, dût-on empiéter un peu sur la part de l'un pour agrandir celle de l'autre, à ennoblir la vie humaine en intéressant le plus intellectuel de nos sens, la vue. Il fallait qu'une clef ne servit pas seulement à ouvrir et à fermer une porte, un meuble, mais qu'elle fût un objet élégant, gracieux, sur lequel le regard eût toujours plaisir à s'arrêter. L'artisan qui la façonnait y appliquait son esprit en même temps que sa main; il consultait son imagination, il rappelait et combinait ses souvenirs; il n'épargnait pas sa peine pour réaliser sa conception; il n'avait pas de machine, d'emporte-pièce, pour abréger son travail: avec la lime, avec le burin, il usait, il entaillait le fer; il y sculptait des figurines; il le découpait à jour comme une dentelle; la moindre surface nue sollicitait sa fantaisie, et il multipliait les ornements appropriés à chaque partie. C'était bien une clef qu'il voulait faire, mais c'était avant tout un ouvrage d'art, et souvent un petit chef-d'oeuvre sortait de ses mains.
Il en était de même pour la serrure, pour ses attaches et pour l'entrée; de même pour les pentures qui soutenaient la porte sur ses gonds. On ne dissimulait pas, comme nous le faisons maintenant, ces ferrures dans la menuiserie; on leur laissait toute leur saillie et leur importance, et on en tirait parti pour en faire des motifs de d'ornementation. On leur donnait un large développement ce qui permettait à la fois d'en augmenter la solidité et la beauté. Aussi les anciennes portes et les meubles de nos ancêtres présentent-ils un intérêt dont les nôtres sont complètement dépourvus. La serrurerie a pu faire des progrès matériels, grâce au perfectionnement de la mécanique; mais elle s'était placée au rang des arts et elle n'est plus guère qu'une industrie.

Magasin pittoresque, 1877.

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