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jeudi 8 janvier 2015

Un moyen comique.

Un moyen comique
employé en Kabylie contre les singes voleurs.



"L'animal qui caractérise la Kabylie, dit un voyageur, est le singe; la multiplication en est favorisée par le préjugé populaire, qui voit en eux des hommes dont les ancêtres, ayant encouru la colère de Dieu,  ont été privés de la parole: aussi leur vie est-elle toujours épargnée, malgré leurs méfaits. Du phare de Bougie jusqu'aux gorges de l'Ysser, ils se montrent partout, et leurs déprédations font, surtout en automne, le désespoir des montagnards, qui emploient, pour les mettre en fuite et les écarter, la plus active surveillance et les moyens les plus bizarres.
"Si la vigilance des gardiens vient à se relâcher un instant, les singes, avertis par leurs sentinelles, ont bientôt dépouillé les arbres et dévasté les jardins. Lorsque le secours arrive, les maraudeurs sont à l'abri, et du haut de leurs arbres narguent le propriétaire. Quelquefois, cependant, leur gourmandise leur est fatale; la bande, gorgée de raisin, étourdie par le suc capiteux des figues mûres, se laisse surprendre et abandonne aux mains des montagnards des otages ivres et titubants.
"Lorsqu'ils ont capturé un des malfaiteurs, les Kabyles lui attachent au cou un grelot et le lâchent ensuite. Le prisonnier, à peine rendu à la liberté, se met à la recherche de ses anciens compagnons; mais ceux-ci, effrayés du bruit insolite produit par leur camarade, refusent de le reconnaître et se sauve devant lui. il s'attache à leurs pas, et la troupe, toujours effrayée par le grelot, s'enfonce dans les profondeurs de la montagne, où elle reste longtemps à se remettre de son épouvante.
Mais les grelots ne sont pas communs en Kabylie. Si l'on n'a pas sous la main cet instrument de terreur, on emprisonne  le thorax du captif dans un gilet rouge artistiquement cousu, et cette livrée de servitude produit sur les singes le même effet que l'uniforme de gendarme sur les maraudeurs bimanes. Ils se tiennent dans un repos à peu près absolu tant que la faim ne les presse pas trop."
Ce que l'on a omis de dire dans cette courte et véridique narration, c'est l'entente intelligente qui règne parmi les singes maraudeurs. Arrivés en troupe dans un champ, ils se gardent en général de le piller tumultueusement (nous l'avons remarqué surtout à l'île de France) . Ils s'échelonnent sur une longue file qui leur permet de gagner leurs bois solitaires, et ils passent de main en main, soit les fruits que convoitent leur gourmandise, soit les épis de maïs qu'ils viennent de dérober, et dont ils font une provision parfois assez abondante dans le lieu de leurs rassemblements.
Les moyens de transport employés par cette race larronnesse, comme eût dit Montaigne, varient, du reste, selon les espèces, et la singulière activité des personnages qui les pratiquent fait qu'elle est presque toujours suivie de succès. Parfois cependant la gourmandise l'emporte sur l'instinct de la prudence. On raconte, au Brésil, qu'à l'époque où le sapacuya (Lecithys ollaria) se revêt de ses petites marmites remplies d'amandes savoureuses, les singes hurleurs (Simia Beelzebuth) savent à merveille enlever le tampon qui ferme l'orifice du vase végétal que porte cet arbre, de même que le Bertholletia excelsa. Leur main se fourre avec frénésie dans l'intérieur du pot ligneux qu'elle vient de décapiter; elle se remplit des châtaignes qu'il s'agit de dérober; mais le poing de l'animal est gonflé outre mesure, et ne peut plus sortir par l'orifice qu'il a traversé si subtilement. Qu'arrive-t-il alors? Si un chasseur survient, il trouve sa proie comme enchaînée. Avec un peu de raisonnement, le guariba pourrait se dégager; il ne le fait, dit-on, que bien rarement, et sa gourmandise le prive ainsi de sa liberté. Bien des singes succombent ainsi. Selon les fabulistes, les enfants ne montrent pas toujours plus d'esprit.

Magasin pittoresque, 1877.

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