Les hommes libres de Savoie.
En dehors des chemins qui conduisent en Italie, dans le Chablais et le Faucigny surtout, qu'entourent, en les isolant, les grandes voies commerciales de la vallée de l'Isère, du lac Léman, de la vallée du haut Rhône, s'ouvrent des vallées profondes, où les fugitifs et les échappés du servage trouvèrent un asile et vécurent oubliés.
Les moines y abritèrent d'abord la religion; les paysans y cachèrent ensuite la liberté. Le droit de se faire justice est le signe de l'indépendance civile et politique; ces populations perdues au pied des neiges, héritant de leurs pères les traditions des Allobroges et des Burgondes, traversèrent le moyen âge sans se laisser absorber par les seigneurs juridictionnels qui les enserraient de toutes parts.
On lit avec surprise, parmi les titres du seizième siècle, des "jugements sans appel, rendus par des chefs de famille assemblés en communauté d'hommes libres." Les sentences prononcées le 10 septembre 1502 et le 23 janvier 1562, la première pour crime d'hérésie (texte latin) contre Claudine Jorand, la seconde pour vol d'une cavale (texte français) contre Antoine Brelaz, prouvent que, jusqu'aux dernières années du seizième siècle, la justice criminelle était rendue dans la vallée d'Abondance "par les scindiques, prohommes et communiers procédant comme en tel cas avons eu coustume et icelle suivant, ayant Dieu et ses Saintes écritures devant nos yeux, etc."
Dans le même ordre d'idées, au quatorzième siècle, les habitants de la vallée d'Aulps adressaient à l'abbé du monastère de ce nom une série de demandes où l'on voit se réveiller le souvenir traditionnel d'une indépendance longtemps défendue. Un article surtout est significatif: "Requérons qu'aucun ban ou amende ne soit perçu par les familiers de l'abbaye sans qu'au préalable nous ayons connu la cause et rendu notre sentence."
Victor de Saint-Genis, Histoire de Savoie.
Magasin pittoresque, 1870.
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