Origine de notre fabrique d'acier.
La fabrique d'acier est assurément beaucoup moins importante, en France, que la fabrique de fonte et de fer: cependant elle emploie assez de bras et elle obtient d'assez beaux produits pour occuper un des premiers rangs parmi les industries françaises. Il n'est donc pas sans intérêt de connaître son origine.
Cette origine ne va pas se perdre dans la nuit des temps. On ne fabriquait pas encore d'acier, en France, vers la fin du seizième siècle. Nos forges ne donnaient alors que diverses espèces de fer plus ou moins chargées de parties hétérogène, entre lesquelles celle qu'on estimait davantage était le fer fort de Brie ou de Saint-Dizier. On l'appelait, il est vrai, petit acier: mais ce n'était qu'une qualification honorifique; tout l'acier qu'on employait alors en France venait à grands frais de Piémont, d'Allemagne ou de Hongrie, et coûtait de cinq à six sous la livre, tandis que le petit acier de Brie n'était jamais payé plus de deux à trois sous.
En 1602, un français nommé Bailly se présente devant le conseil de commerce institué par Henri IV, déclare qu'il a sous ses ordres un ouvrier instruit de tous les procédés de l'industrie étrangère, et demande un privilège pour établir, à Paris même, une fabrique d'acier. Il n'était pas, il paraît, le premier à réclamer ce privilège; mais jusqu'alors, on avait fait beaucoup de promesses sans en tenir aucune. Les experts et maîtres-jurés de Paris se rendent, avec les commissaires du roi, dans les ateliers de Bailly; les épreuves sont faites en leur présence, et le résultat en est favorable: Bailly va donc obtenir un privilège, quand peu de temps après, le conseil est averti qu'il s'est laissé soustraire son opérateur, et qu'il n'est plus en mesure de recommencer ses heureuses expériences. On lui donne huit jours pour le retrouver, et, durant ce délai, toutes les négociations déjà faites auprès du roi sont suspendues. Mais les huit jours se passent sans que Bailly représente son homme. On crut donc qu'il fallait encore une fois renoncer à l'espoir de nationaliser en France la fabrication de l'acier.
Sur ces entrefaites, un sieur Camus établit promptement, avec l'espoir d'obtenir le privilège en vain réclamé par Bailly, un atelier de fonderie au faubourg Saint-Victor, sur l'embouchure de la rivière des Gobelins. Est-ce lui qui a détourné l'ouvrier de Bailly? On l'ignore; mais bientôt on rapporte qu'il fait un très-bel acier, qui peut remplacer avec avantage l'acier du Piémont. A quelques temps de là, le 26 octobre 1604, Camus paraît devant le conseil porteur d'instruments fabriqués avec de l'acier sorti de ses forges, assure que c'est une bonne et loyale marchandise, et demande à faire justifier sa déclaration par quelques maîtres serruriers. Le conseil mande Jean le Moyne, maître de l’Épée couronnée, et son confrère Claude Perdriau, qui, tous deux, avaient converti l'acier de Camus en poignards, en couteaux et en ciseaux. Ils témoignent l'un et l'autre que cet acier est égal et semblable à celui qui vient d'Allemagne sous le nom de carmet. On appelait ainsi l'acier forgé dans les fabriques de Kerment, petite ville de la basse-Hongrie, sur le Raab, au-dessus de Sarwar. A cette nouvelle, la satisfaction des commissaires fut très-vive, et Camus obtint d'eux à peu près ce qu'il voulut. Ainsi fut introduite en France l'industrie de l'acier. C'est un événement mémorable, dont la date est restée mal connue.
Si Paris était un lieu bien choisi pour faire une expérience, on ne pouvait tarder à rapprocher les forges d'acier des forges de fer. Aussi vit-on bientôt l'industrie nouvelle se propager dans les provinces du centre, de l'est et du midi, signalées depuis longtemps comme fécondes en minerai de fer. Au milieu du siècle dernier, les fabriques d'acier de Rive et de Vienne en Dauphiné, de Saint-Dizier en Champagne, de Nevers, de Dijon, de la Charité-sur-Loire en Bourgogne, étaient les plus renommées de la France.
Magasin pittoresque, mars 1853.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire