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lundi 26 janvier 2015

Origine de notre fabrique de cristal.

Origine de notre fabrique de cristal.

On ne recherche plus à quelle époque le verre fut inventé. Les anciens ne savaient pas comme nous l'employer à mille usages, mais ils connaissaient, du moins, quelque unes des propriétés principales de la matière vitrifiée. C'est ce que nous prouvent divers passages plusieurs fois cités d'Aristote, d'Aristophane et de Pline l'Ancien. L'abbé Jaubert suppose que la découverte du verre n'est pas moins ancienne que celles des briques et de la poterie. C'est une supposition qui paraît bien fondée. Il est en effet impossible qu'en tirant leurs briques des fourneaux ardents, les plus anciens potiers n'aient pas remarqué les scories transparentes que produit la fusion du sable, des cendres et de l'argile.
L'invention du cristal est plus moderne. Ce qui distingue, on le sait, le cristal du verre, c'est tout simplement la perfection de la matière. Cette perfection est obtenue par certaines combinaisons chimiques dont les anciens ne possédaient pas le secret. Mais nous avons dit à tort, suivant en cela l'opinion généralement reçue, que la France avait reçu des Anglais cette précieuse industrie. Au treizième siècle, il existait à Paris même une corporation de cristalliers, dont les statuts ont été publiés par H. Depping dans le recueil d'Etienne Boileau. Cependant, il paraît certain que sous ce nom de cristalliers on désignait alors les lapidaires, qui vendaient de belles gouttes de verre fin enchâssées dans des montures d'or ou d'argent. On n'avait pas encore appris à rendre le verre plus blanc, plus pur, plus solide, en mêlant aux substances vitrifiables des produits minéraux à base de plomb. Eh bien, ce ne sont pas des Anglais qui nous ont appris à faire ce mélange. Un document récemment mis à jour, le procès-verbal du conseil du commerce de l'année 1602, fait connaître que des ouvriers italiens, originaires de Mantoue, nous enseignèrent les premiers l'art de fabriquer le cristal et de l'employer aux usages domestiques.
La verrerie française, si célèbre au moyen âge, avait perdu, dans les dernières années du seizième siècle, tout son crédit. Vainement les gentilshommes autorisés à pratiquer cette industrie employaient-ils tous leurs soins, à perfectionner les produits de leurs fours antiques, ces produits étaient délaissés ou se vendaient à vil prix; dans toutes les maisons où le goût de la belle vaisselle s'était introduit avec le raffinement des mœurs, on ne buvait plus que dans les beaux verres de cristal fabriqués par les verriers de Mantoue. La concurrence de ces artisans étrangers était d'autant plus préjudiciable à l'industrie française, que certains d'entre eux étaient venus s'établir à Paris même, au centre principal de la consommation.
Quand fut réuni le conseil de commerce de l'année 1602, les verriers français s'empressèrent de lui porter leurs plaintes. Leur trafic n'allait plus: malgré les ordonnances qui l'avait anobli, malgré toutes les précautions que les anciens rois avaient prises pour assurer à la France l'honneur et le profit de cette belle industrie, des étrangers allaient bientôt en avoir le monopole. Ces plaintes parurent très-sérieuses au conseil. Mais pouvait-il interdire, dans l'intérêt d'une fabrication justement décriée, la vente de ces produits étrangers qui devaient leur succès à une incontestable supériorité? Il ne le pouvait pas. Le conseil prit un parti plus sage. Ayant appelé l'un des chefs des verriers mantouans, le sieur Sérode, il lui donna l'ordre de recevoir des apprentis français et de les initier à tous les procédés de sa fabrique. Mais celui-ci déclara sur le champ qu'il ne pouvait obéir à cet ordre. En lui permettant de venir fonder un établissement en France, le prince de Mantoue l'avait obligé par serment, et sous la menace des peines les plus sévères, à conserver précieusement tous les secrets de l'art italien. Si, d'ailleurs, ajoutait Sérode, il consentait à faire ce que le conseil lui demandait, ses ouvriers allaient immédiatement l'abandonner pour retourner à Mantoue, et sa fabrique était perdue. Cette résistance ayant fait rechercher les privilèges obtenus par les maîtres italiens, on apprit que ces privilèges les avaient totalement affranchis de l'autorité du prince de Mantoue, en les naturalisant citoyens français. Si donc ils refusaient plus longtemps d'obtempérer aux ordres du conseil, ils se mettraient en révolte. Leur affaire fut porté devant le chancelier. Ils murmurèrent encore, mais, toute réflexion faite, ils se soumirent, et le conseil, avant de se séparer, put s'exprimer en ces termes, dans son rapport au roi: "Les anciennes verreries en France, de si longtemps ordonnées pour les pauvres gentilshommes nécessiteux, qui s'y peuvent adonner et faire trafic sans déroger à noblesse, à présent supprimées par les Italiens, qui ont introduit de nouvelles verreries de cristal sans les communiquer à autres que de leur nation, seront rétablies en faveur de la pauvre noblesse françoise, en ce qu'il est ordonné que désormais lesdits Italiens seront tenus apprendre l'industrie et l'invention de leurs verres de cristal aux François qu'ils prendront pour apprentis."
Telle fut la véritable origine de notre fabrique de cristal, et qu'elle avait même pris d'assez rapides développements quand les Anglais faisaient encore des verres communs. Il est même assez vraisemblable qu'ils vinrent apprendre en France le secret transmis par les ouvriers mantouans. C'est ainsi qu'au huitième siècle, au témoignage de leur historien Béda le vénérable, on les avait vu traverser la mer pour aller demander à la France l'art d'enchâsser les vitraux dans des lames de plomb.

Magasin pittoresque, mars 1853.

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