Logements à Paris en 1853.
La maison noire.
La maison noire.
Ce n'est pas tout d'admirer Paris dans les beaux quartiers, sur les quais, aux boulevards, aux environ de la Madeleine ou du Louvre. Ces splendeurs éblouissent; on est frappé de cette profusion d'hôtels, de palais, d'équipages, de toilettes fastueuses; et le visiteur venu de la province éprouve peut-être à cet aspect une confusion secrète, s'il pense en même temps à sa modeste ville, à son humble village! Mais il gagnerait une instruction bien plus complète et des idées plus justes, s'il prenait la peine de visiter certaines parties de la ville généralement moins connues (1).
Voici, aux environs du Collège de France, dans une sombre ruelle formant issue de la cour Saint-Jean de Latran dans la rue Saint-Jean de Beauvais, une vieille maison qu'on appelle la Maison noire. On l'appelle ainsi à cause de son aspect, peut-être aussi en raison de ses habitants; car elle est tout entière occupée par des ramoneurs.
Ces ramoneurs vivent par chambrées de douze à seize habitants, dont la moitié sont des enfants de dix à quinze ans; car cette profession exige, comme on sait, la réunion d'un enfant avec un adulte. Donc la chambrée contient cinq ou six lits, et ils couchent au moins deux, quelquefois trois dans le même lit.
Dans chaque chambrée, il y a un maître qui répond du loyer. Le prix varie de 80 à 100 francs; il est également supporté par chaque couple de ramoneurs; chaque couple aussi possède sa part de mobilier, ce qui, à la vérité, n'est pas considérable, consistant en une sorte de bois de lit tel quel; plus une paillasse et quelque vieille tapisserie comme couverture; quelquefois un drap, lequel est invariablement de la couleur de la maison. Outre cela, quelques ustensiles de cuisine en commun, car le repas du soir se fait ensemble, chaque ramoneur, avec son aide, étant chargé à son tour de confectionner la soupe.
Voici quelques dimensions exactes de ces logements:
- Une chambre au premier étage, contenant cinq lits, était habitée, à la fin de l'hiver dernier, par douze personnes. Cette chambre a 4 mètres de large sur 6,50 m. de profondeur, et 2,70 m. de hauteur; c'est un peu plus de 70 mètres cubes; donc moins de 6 mètres cubes par habitant
- Une autre, au troisième étage, a quatre lits et huit personnes; elle a 3,50 m. de large sur 5 de profondeur, et une hauteur de 2,30 m.; c'est ici un peu moins de 5 mètres cubes. Or il y a une instruction du conseil général de salubrité de la ville de Paris qui en demande 14 au minimum.
Mais les 14 mètres cubes prescrits pour chaque habitant par le conseil de salubrité supposent un régime de vie ordinaire, et il y a dans la condition des habitants de la Maison noire des circonstances toutes particulières à noter. Comme le ramonage des cheminées ne procure pas un travail régulier, il ne leur suffirait pas d'être ramoneurs. Ils sont en outre brocanteurs, marchands de peaux de lapins, etc. En cette qualité, ils payent 18 francs de patente à la ville de Paris pour avoir le droit d'acheter dans les rues et dans l'intérieur des maisons tout espèce de débris: vieilles chaussures de cuir, vieilles laines, vieux linge, vieux habits. Ils recueillent aussi les os et la graisse de cuisine, et jusqu'aux coulures de suif, mise de côté par les ménagères soigneuses. De tout cela, chaque couple de ramoneur a son tas qui est distinct de celui des autres. C'est le dessous du lit qui sert de magasin, et, à cet effet, le lit est toujours fort exhaussé, soit qu'on l'ait formé de quelques planches soutenues par des étais élevés d'un mètre à 1,20 m., ou bien d'un vieux bois de couchette placé sens dessus dessous, les pieds en l'air. L'espace ainsi formé étant presque toujours comble, il faut au visiteur quelque effort d'attention pour pouvoir distinguer ce qui est, à proprement parler, la garniture du lit, c'est à dire le coucher des ramoneurs, d'avec ce monceau de débris qui déborde en-dessous. De plus, une infinité d'autres débris encore, ceux-ci réunis en forme de paquets, sont accrochés le long des murs et au plafond. Avec toutes les exhalations sorties de ces ordures, n'oublions pas de porter en compte le contingent de miasmes fournis par les innombrables peaux de lapins suspendues de toute part pour acquérir le degré de sécheresse convenable avant d'être livrées à l'épileur. Sur tous les objets règne une teinte uniforme de suie; tout est noir, surtout l'aire qui forme le sol de la chambre, et dont le carrelage, s'il exista jamais, a depuis longtemps disparu. Cet intérieur est éclairé par une fenêtre tirant son jour de la sombre ruelle, à travers des vitres encroûtées d'une épaisse couche de poussière. Surtout n'oublions pas un des traits essentiels du tableau: c'est, à l'autre bout de la pièce, l'âtre où se fait la cuisine des douze personnes qui habitent cette chambre de 12 pieds sur 19 ou 20 de profondeur.
Tel est, avec quelques légères différences, l'intérieur des quinze chambrées de la Maison noire. On y compte en outre neuf chambre à un ou deux locataires; de plus, tout le rez-de-chaussée et quelques chambres encore des divers étages, servent de magasins à un maître chiffonnier. Mais si nous tenons à bien savoir comment on est logé ici, il ne faut pas dédaigner de faire l'inspection des corridors et de l'escalier.
L'escalier s'élève, par une suite droite et roide de vingt-quatre marches, jusqu'à la hauteur d'un premier étage au-dessus d'entre-sol. Cette hauteur marque la différence de niveau entre le sol de la ruelle du clos Saint-Jean, dans laquelle l'escalier s'ouvre au nord, et celui du terrain auquel la maison est adossée du côté du midi. C'est de ce côté du midi que règne à chaque étage un long corridor éclairé par de larges baies munies de forts barreaux, mais sans aucun vestige de vitre, ni de châssis. Cette circonstance de corridors tout ouverts au midi, avec un escalier droit qui s'ouvre au nord à 20 pieds plus bas, produit un appel d'air de la plus grande violence. Ceci a son avantage et voici comment. La maison n'ayant aucune sorte de cour ni dépendance, on a dû prendre au milieu et dans la largeur du corridor du troisième étage l'emplacement de deux tambours, d'ailleurs mal fermés, destinés à la satisfaction de certaines nécessités. Or il arrive que cette disposition est peu de chose pour la nombreuse population de la maison. Les habitants se font donc, des corridors et des escaliers, un supplément à ces deux tambours insuffisants. On comprend, d'après cela, sans qu'il faille pousser plus loin une peinture devenue impossible, que l'extrême violence de la ventilation puisse avoir une utilité réelle. Quoi qu'il en soit, s'il y a danger de fièvre typhoïde dans les chambres, il y a imminence de pleurésie sur l'escalier.
Après cela, il ne faut rien outrer. Cette maison n'est pas des pires qu'on puisse voir. Les rues des Clos-Bruneau et Traversine avec leurs aboutissants, et aussi plusieurs qui tiennent à la rue Mouffetard, présentent dans plusieurs habitations des conditions bien plus déplorables. Nous en donnerons la preuve. Disons seulement, pour terminer ce qui se rapporte à la Maison noire, que tous ces ramoneurs sont des Auvergnats, que tous ou presque tous passent une partie de l'année seulement à Paris. Ils vont au pays dans la belle saison, porter chez eux le fruit des économies péniblement amassées pendant l'hiver. Des habitudes d'ordre, un travail régulier, une perspective de l'avenir, les tiennent en joie et conservent leur force morale.
L'escalier s'élève, par une suite droite et roide de vingt-quatre marches, jusqu'à la hauteur d'un premier étage au-dessus d'entre-sol. Cette hauteur marque la différence de niveau entre le sol de la ruelle du clos Saint-Jean, dans laquelle l'escalier s'ouvre au nord, et celui du terrain auquel la maison est adossée du côté du midi. C'est de ce côté du midi que règne à chaque étage un long corridor éclairé par de larges baies munies de forts barreaux, mais sans aucun vestige de vitre, ni de châssis. Cette circonstance de corridors tout ouverts au midi, avec un escalier droit qui s'ouvre au nord à 20 pieds plus bas, produit un appel d'air de la plus grande violence. Ceci a son avantage et voici comment. La maison n'ayant aucune sorte de cour ni dépendance, on a dû prendre au milieu et dans la largeur du corridor du troisième étage l'emplacement de deux tambours, d'ailleurs mal fermés, destinés à la satisfaction de certaines nécessités. Or il arrive que cette disposition est peu de chose pour la nombreuse population de la maison. Les habitants se font donc, des corridors et des escaliers, un supplément à ces deux tambours insuffisants. On comprend, d'après cela, sans qu'il faille pousser plus loin une peinture devenue impossible, que l'extrême violence de la ventilation puisse avoir une utilité réelle. Quoi qu'il en soit, s'il y a danger de fièvre typhoïde dans les chambres, il y a imminence de pleurésie sur l'escalier.
Après cela, il ne faut rien outrer. Cette maison n'est pas des pires qu'on puisse voir. Les rues des Clos-Bruneau et Traversine avec leurs aboutissants, et aussi plusieurs qui tiennent à la rue Mouffetard, présentent dans plusieurs habitations des conditions bien plus déplorables. Nous en donnerons la preuve. Disons seulement, pour terminer ce qui se rapporte à la Maison noire, que tous ces ramoneurs sont des Auvergnats, que tous ou presque tous passent une partie de l'année seulement à Paris. Ils vont au pays dans la belle saison, porter chez eux le fruit des économies péniblement amassées pendant l'hiver. Des habitudes d'ordre, un travail régulier, une perspective de l'avenir, les tiennent en joie et conservent leur force morale.
(1)Une partie des faits que nous allons décrire seraient destinés à disparaître dans un avenir peu éloigné si, comme il y a lieu de l'espérer, l'administration si éclairée de la ville de Paris se décide à adopter la continuation du tracé de la nouvelle rue des Ecoles, sur l'emplacement actuel des rues Clos-Bruneau, Traversine et des Boulangers, conformément aux vœux souvent exprimés par la population du douzième arrondissement.
Magasin pittoresque, juillet 1853.
Magasin pittoresque, juillet 1853.
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