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jeudi 29 janvier 2015

Une diligence en Espagne.

Une diligence en Espagne.

On a fait l'appel des voyageurs; le postillon a enfourché la dixième mule de devant; le mayoral et le zagal se sont fraternellement partagé le siège; le coup de fouet du départ a retenti, et nous roulons vers Aranjuez. 
La route est triste, nous n'y voyons pas un arbre, et comme il faut lever les glaces pour se défendre d'une infernale poussière, je vais employer ce temps à vous décrire notre équipage.
D'abord huit, dix, quelquefois douze mules sans guides, attelées deux à deux; sur une des deux du devant, le postillon; sur le siège de la voiture, le mayoral qui dirige les deux mules du brancard; à côté de lui est le zagal. Le zagal est le Pylade, l'Euryale du mayoral; c'est son bras droit, son aide de camp. Si un trait casse, vite le zagal est à bas du siège; si une mule rue ou se détourne, s'il faut fouetter l'attelage et le pousser au galop, le zagal est à terre; il suit les mules, les fouette, les exhorte, leur fait des discours, comme jadis Automédon aux coursiers d'Achille; il les appelle par leur nom, les pique d'honneur, les invective; il s'adresse tantôt à la capitana, tantôt à la coronela, et quand il les a lancé au grand galop, il empoigne une courroie et s'enlève d'un bond à côté du mayoral, qui, majestueux et impassible, l'a regardé faire en silence. 


Le zagal est propre à l'Espagne, et ne fleurit que sur son sol; il est ordinairement petit, vigoureux, alerte; il passe sa vie à monter, à descendre, à courir, et je ne crois pas que depuis les jeux Olympiques, où les lutteurs se frottaient de sable, on n'ait vu rien de plus poudreux, de plus crasseux, des cheveux plus inextricablement collés par la sueur et la poussière que ceux du zagal, après avoir couru avec ses mules pendant un quart d'heure, il s'élance sur son siège, haletant et glorieux. (1)

(1) Lettres sur l'Espagne, par Adolphe Guéroult.

Magasin pittoresque, juin 1853.

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