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samedi 24 janvier 2015

La médecine d'autrefois.

La médecine d'autrefois.


Lorsqu'on parcourt les livres médicaux d'autrefois, on ne tarde pas à remarquer que nos pères avaient sur la manière de se soigner des idées bien bizarres. Et cela sans remonter aux Anciens, chez lesquels nous trouverions parfois de grossières superstitions. Mais, dans des temps assez rapprochés de nous, nous rencontrons parfois des médications baroques, qui ne peuvent manquer de provoquer notre étonnement, voire même notre rire. En cela nous avons souvent tort. Qui sait si, dans quelques siècles, ce qui nous semble aujourd'hui le plus solidement établi ne paraîtra pas profondément ridicule à nos arrières-neveux?
Aussi bien, certains traitements de jadis, longtemps considérés comme bizarres et mêmes absurdes, sont-ils de nouveaux employés actuellement, leur action s'expliquant maintenant fort bien. C'est ce qui a lieu, par exemple, pour l'ingestion d'organes d'animaux dans les maladies des organes correspondants chez l'homme, méthode employée fort anciennement d'une façon empirique, et de nouveau en vogue depuis quelques années sous le nom d'opothérapie.
En parlant des médications anciennes, nous entendons désigner celles utilisées par les médecins de la docte Faculté, et non pas les remèdes populaires, qui persistent encore dans les campagnes tels qu'ils étaient il y a plusieurs siècles, se transmettant religieusement de génération en génération. C'est ainsi que nous trouvons une série de remèdes extraordinaires indiqués dans les ouvrages de Lémery, qui vivait au commencement du dix-huitième siècle, et dont les travaux jouissaient à cette époque d'une grande autorité. 
Cet auteur s'étend longuement sur les lavements et les clystères, qui sont, dit-il, "des meilleurs et des plus salutaires remèdes de la médecine". En cela, du reste, il a raison, et, aujourd'hui que la grande vogue du lavement est passée, nous ne sommes plus au temps de M. Purgon, il est considéré pourtant comme une excellente méthode de traitement, à la condition de ne pas en abuser.
Mais savez-vous quel est l'inventeur de ce moyen de traitement? C'est, au dire de notre auteur, " une espèce de cigogne qui, avec son bec, se met de l'eau de mer dans le fondement quand elle est constipée". comme quoi l'homme, malgré son intelligence, n'a pas fait cette trouvaille, et a été obligé de prendre pour modèle un animal ingénieux!
Une forme pharmaceutique tombée en désuétude, et dont le nom et l'usage au moins sont pittoresques, ce sont les "cucuphes". Qu'est-cela? "Ce sont, dit Lémery, des bonnets piques garnis de poudres céphaliques, qu'on applique sur la tête des malades pour fortifier le cerveau". La composition en est très complexe, ne comportant pas moins de quatorze drogues. Mais ce qui est plus remarquable, ce sont les vertus de cette préparation. Je cite textuellement: "Ce bonnet est propre pour réjouir et fortifier le cerveau, pour l'épilepsie, pour la léthargie, pour la paralysie, pour l'apoplexie; il raréfie par parties subtiles qui entrent par les pores du crâne, la pituite trop condensée, et lui donne quelquefois cours par le nez ou par la bouche." Quelles propriétés merveilleuses, n'est-il pas vrai? Et n'est-il pas profondément regrettable qu'une telle panacée soit tombée dans l'oubli?
Pour les médicaments eux-mêmes, c'est encore plus curieux. Lémery n'a-t-il pas parlé des propriétés apéritives et fébrifuges... du pou. Le pou comme apéritif! Pouah! Il s'est étendu également, horresco referens!, sur les qualités de l'urine. Elle est, dit-il "incisive, atténuante, résolutive, détersive; elle dissipe les vapeurs, elle soulage et guérit la goutte, elle lâche le ventre, elle dessèche la grattelle; on s'en sert extérieurement et intérieurement; on en fait prendre cinq ou six onces à chaque dose pendant qu'elle est toute récente." Que de propriétés mirifiques! On devait garder avec soin une ordonnance aussi précieuse.
Ne vous récriez pas. On employait alors de façon courante l'Album grœcum, poudre constitués par des excréments de chien desséchés; cette poudre entrait dans un très grand nombre de formules.
Il semble d'ailleurs qu'à cette époque on avait une prédilection pour les substances naturelles les plus malpropres. C'est ainsi que, toujours d'après Lémery, "l'excrément de l'homme est digestif, résolutif, amollissant, adoucissant, propre pour l'anthrax, pour faire venir les bubons pestilentiels à suppuration, pour résoudre dans les squinancies étant appliqué. Quelques uns le recommandent sec, pulvérisé et pris par la bouche, pour l'épilepsie, pour les fièvres intermittentes". Sans commentaires!
En citerons-nous encore d'autres? "L'ordure jaune qu'on tire de dedans l'oreille avec une cure-oreille, et qu'on appelle cire de l'oreille, est résolutive et bonne pour les panaris qui ne sont que dans les commencements". "Les ongles des doigts et des pieds sont vomitifs, étant râpés et donnés intérieurement en substance au poids d'un scrupule, ou bien infusés dans du vin au poids de deux scrupules." Il nous semble que l'effet indiqué se produirait rien qu'en y pensant.
N'insistons pas plus longuement sur les remèdes aussi répugnants dont les effets mirifiques sont plutôt problématiques. Les médecins de cette époque devaient avoir, peut-on penser, une imagination quelque peu malsaine pour recourir à une telle thérapeutique. Il faut reconnaître d'ailleurs qu'ils n'employaient pas que ces remèdes. D'autres sont moins désagréables. "Le lait de femme est restaurant, adoucissant, pectoral, propre pour la phtisie et pour les autres maladies de consomption; on en met aussi sur les yeux pour en adoucir les âcretés et tempérer les inflammations". Ce dernier emploi a persisté dans les milieux populaires; il arrive encore assez souvent de voir une nourrice faire couler quelques gouttes de lait dans les yeux de son nourrisson atteint de conjonctivite; c'est d'ailleurs une manœuvre des plus pernicieuses et qu'on ne saurait trop réprouver.
Que d'autres médicaments extraordinaires dans cette ancienne pharmacopée! Médicaments délaissés aujourd'hui, fort heureusement, car il n'avaient pour eux que leur pittoresque! Les thérapeutes inventifs avaient trouvé moyen de tirer parti de tout, et surtout, semble-t-il, de ce qui nous paraît aujourd'hui le plus inutile.
Le rat, ce petit animal que nous considérons plutôt comme un fléau, est estimé "propre pour remédier à l'incontinence d'urine; on le fait manger à ceux qui pissent au lit".
Un bon remède contre la fièvre, dont la recette est oubliée, et que les médecins modernes, armés seulement, les pauvres, de la quinine et de l'antipyrine, seraient bien souvent heureux de posséder: appliquer un hareng salé sur la plante des pieds!
Il y a mieux; on utilisait, voilez-vous la face! la momie, que Lémery appelle "mumie". Oui, vous avez bien compris, une momie, c'est à dire un cadavre desséché et embaumé. Et le même auteur s'étend sur ses qualités: "Il faut, dit-il, choisir la Mumie nette, belle luisante, d'une odeur assez forte et qui n'est point désagréable. Elle est détersive, vulnéraire, résolutive, elle est propre pour les contusions et pour empêcher que le sang ne se caille dans le corps."
Avec ce remède macabre nous arrêterons notre énumération. Ces moyens de traitement fantaisistes ont, fort heureusement, disparu de la thérapeutique moderne. Et si, parfois, nous sommes obligés, pour recouvrer notre santé ébranlée, d'ingurgiter des préparations d'aspect ou d'odeur désagréable, du moins nous avons la certitude de ne pas absorber des drogues d'origine aussi répugnante.

Les annales de la santé, 15 août 1910.

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