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mercredi 21 janvier 2015

Aventure d'une jeune fille de Mortow.

Aventure d'une jeune fille de Mortow.

Après la chute de l'empire tartare-mongol, l'immense territoire qui s'étend au delà de la rive gauche du Volga resta désert pendant plusieurs siècles. Catherine II en concéda des parties aux émigrants allemands qui vinrent y fonder des colonies. Le succès de ces premiers colons engagea des propriétaires russes à se faire donner aussi des terres où ils envoyèrent une partie de leurs serfs.
Dans les premiers temps, les colonies allemandes eurent beaucoup à souffrir des incursions des nomades de la steppe, Baschkirs, Kalmouks et Kirghis. Ces derniers surtout étaient très-redoutables. Mais les Allemands, grâce à leur énergie, à l'esprit d'ordre qui les animait, et à leur habilité dans le maniement des armes à feu, apprirent à se protéger contre leurs incommodes et dangereux voisins.
Il n'en fut pas de même des habitants des villages russes établis, comme des avant-postes, sur les bords des rivières, dans l'intérieur des steppes. Ils se défendaient mal, et étaient souvent pillés, tués, ou conduits en Chine ou dans la Bucharie pour y être vendus comme esclaves.
Lors d'une de ces incursions au village de Morlow sur le grand Irgis, les Kirghis emmenèrent, parmi d'autres prisonniers, une jeune fille de quatorze ans et ses trois sœurs.
Pendant des mois entiers, les pauvres captives furent traînées à travers les steppes. On leur avait cruellement lié les mains avec de fortes cordes, elles étaient incessamment surveillées de près.
Si on épargnait leur vie, c'est qu'on espérait les vendre avec avantage aux frontières de la Chine.
Les jeunes filles pleuraient, se désolaient; mais elles n'avaient à attendre aucun secours. Enfin la Providence prit pitié d'elles.
Un jour, les Kalmouks, après avoir célébré une fête, gisaient ivres dans leurs tentes. La plus jeune des sœurs se glissa près de l'âtre et fit consumer ses liens par le feu. Elle détacha ensuite ses sœurs, et les invita à fuir avec elle.
Mais ses sœurs lui répondirent avec tristesse:
- Où irions-nous? Si nous avançons dans la steppe, nous mourrons de faim, ou bien nous serons bientôt reprises et tuées.
La jeune fille les supplia d'avoir plus de confiance dans la Providence; mais voyant qu'elle ne pouvait les persuader, elle s'écria:
- Restez donc, je partirai seule; car, au milieu de ces brigands et à la pensée de la captivité, je me meurs de chagrin et de regrets. Je veux revoir notre pays bien-aimé et notre mère; si je n'ai pas ce bonheur, si je dois périr dans le désert, je souffrirai moins qu'en vivant dans l'esclavage.
Elle courut toute la nuit, se dirigeant toujours vers l'ouest.
Le matin, elle se reposa pendant quelques heures. 
Elle vécut ainsi plusieurs jours, errant la nuit dans la steppe, se cachant avec l'aurore pour dormir.
L'herbe était sa seule nourriture; la rosée humectait faiblement ses lèvres desséchées.
Enfin, après bien des tortures, elle atteignit, vers la fin d'août, les rives du Jaik.
Là, au moins, elle eut à manger les fruits sauvages des ronces, et elle eut de l'eau pour étancher sa soif.
Mais il fallait traverser la rivière. Comment faire? Elle construisit à l'aide de roseaux un petit radeau et le couvrit de sa robe: elle s'exposa sur ce frêle appui. Le courant du Jaik l'enleva, et elle eut grand'peine à revenir au rivage.
Cependant la courageuse jeune fille ne se découragea pas; elle en construisit un autre avec beaucoup de peine, mais enfin avec succès.
Sur l'autre rive, des pécheurs cosaques la recueillirent, lui donnèrent des vêtements et des aliments. Ils voulurent la retenir près d'eux: ce fut en vain. On lui prédisait qu'elle ne parviendrait jamais à traverser le grand steppe qui s'étend entre le Jaik et le grand Irgis, et qu'infestaient les nomades.
Rien n'arrêta la jeune héroïne. Elle reprit ses courses nocturnes à la lueur des étoiles. Ses efforts surhumains furent enfin récompensés. Elle revit son village et serra dans ses bras sa mère.
Depuis, elle vécut aimée et heureuse. De temps à autre, elle eut des nouvelles de ses sœurs, qui étaient mariées en Chine et y avaient de nombreux enfants. En 1840, elle mourut à l'âge de soixante-dix ans.

Magasin pittoresque, 1870.

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