Une école.
Je n'ai pas lu les rapports de M. l'inspecteur, mais je suis persuadé que voici une bonne école. Ce vieux maître m'inspire confiance: j'aime à lui supposer un grand fonds de bonté sans faiblesse. Sa fille, qui l'aide, est aussi pour moi, à première vue, une garantie morale: elle est charmante, et son aimable physionomie, où je lis un accord sympathique de raison et de douceur, me paraît témoigner en faveur du père. Qui a su bien élever ses enfants a déjà un titre sérieux pour élever ceux des autres.
"C'est par l'exemple de sa propre vie, dit excellemment M. Jules Simon (1) , c'est par sa tenue dans l'école, par la réserve, par la douceur et de la fermeté de sa parole; par le bon choix des modèles d'écriture, des sentences inscrites sur les murs de l'école, des livres de lecture et de classe; par des anecdotes citées à propos, par de bons conseils que l'occasion fait naître; c'est, en un mot, par l'ensemble de sa conduite que l'instituteur, en vrai père, fait l'éducation de ses élèves. Il n'y a rien à lui prescrire pour cela, il suffit qu'il soit homme sensé et honnête homme."
La chambre est modestement meublée, mais on y voit clair et on y respire; la discipline ne paraît pas bien sévère, mais ce petit monde a l'air heureux et paisible. Ce bras levé là-bas, au fond, vous inquiète? non, regardez mieux: c'est un jeune moniteur qui ne bat que la mesure; il enseigne le chant à ses condisciples rangés en cercle devant lui. On a quelque méfiance dans notre pays à l'égard des écoles mixtes: on peut avoir raison. Les Américains pensent, au contraire, qu'on ne saurait habituer de trop bonne heure les enfants des deux sexes à se connaître, à se lier d'amitié: "Ils grandiront ensemble, disent-ils, et il y aura moins d'inconnu et de hasard dans les mariages." L'argument a du bon: je ne crois pas cependant qu'il suffise pour rassurer tous les esprits. Le mieux, quand, faute de ressources, les écoles mixtes sont inévitables, est non-seulement de bien choisir le maître, mais de regarder de très-près ce que peuvent être sa mère, sa femme ou ses filles.
J'entends d'ici une femme sage dire à son mari:
"- Tu soupçonnes? c'est assez; pas de brebis galeuses! Je veux répondre de mes petites filles comme toi de tes garçons.
- C'est une grosse affaire que de chasser un élève!
- C'en serait une bien plus grosse sur notre conscience que de laisser la méchanceté et le vice corrompre le troupeau tout entier.
- On criera!
- Les honnêtes gens, en apprenant la vérité, nous défendrons, et de toute manière nous aurons fait notre devoir. A la grâce de Dieu!"
C'est ainsi que, certainement, penseront et agiront les instituteurs et institutrices de l'enfance, lorsque l'on fera entrer en ligne de compte, avant de leur confier une école, leur caractère autant que leur savoir-faire.
Il faudrait, de plus, habituer la population de nos campagnes à quelque considération pour les maîtres d'école, malgré la médiocrité de leur rémunération. Comment? en donnant l'exemple. Je voudrais voir l'instituteur invité de temps à autre à s'asseoir à la table de M. le maire, même à celle de M. le sous-préfet. Les maîtres d'école ne seront jamais riches: que du moins ils soient honorés, si l'on veut qu'ils soient respectés des parents, des élèves, et surtout qu'ils se respectent toujours eux-mêmes!
(1) L'école.
Magasin pittoresque, 1870.
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