De l'esclavage des nègres II.
Dans un précédent article, nous avons commencé l'historique de la traite des nègres et nous nous proposions d'en donner la suite dans ce numéro, mais depuis que la grande question de l'esclavage a été débattue devant les chambres, on a tant répété que le sort des nègres était entièrement opposé à celui qu'on leur faisait jadis, et même que depuis quelques années il avait reçu quelques adoucissemens, que nous croyons devoir mettre de suite sous les yeux de nos lecteurs un tableau de l'esclavage à Rio-Janeiro, extrait d'un voyage récemment publié. On verra que dans cette partie du monde le sort des noirs est tout aussi digne de pitié qu'à la Nouvelle-Orléans et dans les lieux où on les traite avec le plus de mépris.
"Le premier endroit que nous visitâmes fut le bazar aux esclaves. Il y avait là dans les boutiques plusieurs centaines de ces infortunées créatures. Leur corps presque entièrement nu n'était recouvert qu'à la ceinture par une mince pièce d'étoffe. La plupart avaient les cheveux rasés. A les voir en longues rangées sur de misérables bancs ou couchés négligemment par terre, le cœur se soulevait d'indignation.
Les enfans surtout s'y trouvaient en grande proportion, tous marqués d'un fer chaud sur les parties les plus nobles, comme des galériens. Aux jeunes filles on applique cet affreux stigmate au-dessus même du sein. Cela fait frémir.
"Après avoir langui long-temps au milieu des ordures d'un bâtiment négrier, après avoir été réduits aux pitoyables rations d'un ordinaire qui consiste en viande salée, en lard et en farine avariée, ils sont amenés là dans l'état le plus déplorable, sous le rapport de la santé comme de la propreté. Leur corps est tatoué en quelque sorte par le scorbut. Le mal, une fois qu'il s'est déclaré, étend petit à petit ses ravages, et creuse des ulcères dont la contagion ronge sans pitié la chair qui les entoure. Grâces aux tourmens de la faim, grâce aux souffrances en tout genre, ces malheureux ont perdu jusqu'à cette teinte noire et lustrée que vivifiait le soleil d'Afrique. Ils sont là, avec leur tête chauve, les yeux éteints, leur peau terne, leurs membres semés de taches blanches et purulentes, semblables à des pièces de mauvais bétail que l'humanité, peut à la première impression se croire en droit de renier comme n'appartenant point à sa race. Quand on vient à les marchander, on les examine avec soin, ainsi qu'on ferait pour des chevaux ou des bœufs. Il est d'usage, afin de secouer leur apathie, de distribuer aux victimes, le jour même de la vente, d'énergiques stimulans, du gingembre ou même du tabac, en guise de nourriture. Alors leurs regards s'animent de façon à les faire suffisamment valoir. Si cela ne suffit point, le propriétaire ne manque pas de prodiguer à sa troupe les soufflets et les coups de pieds; il faut qu'ils attirent le chaland à force de gentillesses.
"Arrivez-vous dans le bazar, ces honnêtes négocians viennent à vous d'un air affable; ils vous tendent la main, ils vous accablent de prévenances et ils exaltent la valeur de la chair dont ils trafiquent. Pour vous plaire et vous séduire, ils décocheront plus d'un coup de fouet aux malheureux qui ne sauraient trop gambader à faire montre de leur agilité. Mais, s'ils s'aperçoivent que la curiosité seule vous a conduit parmi eux, oh! la scène change aussitôt. Ces messieurs deviennent insolens d'obséquieux qu'ils étaient. Ils ont, tout prêt de la bouche, un vocabulaire de grossières injures qu'ils vomissent contre l'étranger malencontreux, contre l'Anglais surtout qui, disent-ils, se mêle de leurs affaires dans l'unique but de les dépouiller pour s'enrichir à leurs dépens. Pauvres hommes!
"Long-temps avant le jour et jusqu'au coucher du soleil, la ville est inondée en quelque sorte par des milliers et des milliers d'esclaves. A peine si, dans les marchés et sur le port, on peut avancer, tant leur foule se presse autour de vous, sollicitant du travail et de l'emploi. Ces malheureux sont obligés de subvenir à leur propre subsistance, et de remettre en outre à leurs maîtres une contribution fixée à tant par jour. Quand ils ne peuvent fournir la somme totale, ils sont passés aux verges; ont-ils au contraire amassé quelque monnaie en sus; elle leur reste pour compenser le déficit d'une autre journée. J'ai vu tel esclave qui payait quotidiennement un dollar à son maître. Il y en a que l'on envoie travailler dans les carrières du voisinage, d'autres qu'on expédie à la chasse des insectes et des coquillages; car les insectes et les coquillages sont un article de commerce à Rio-Janeiro.
"La soif du gain a bien imaginé d'autres moyens pour s'assouvir plus rapidement. Me croira-t-on si je dis qu'on a dressé des négresses pour remplir les mêmes fonctions que les étalons ou les jumens de nos haras? Quelque hideux qu'il soit, ce fait est exact. On achète de jeunes négresses tout exprès pour en accaparer la progéniture. L'esclave enceinte vaut 50 piastres (250 fr.) de plus qu'en son état ordinaire. On arrache les enfans du sein de leur mère pour les vendre à raison de 30 ou 40 piastres (150 à 200 fr.) par tête. Le maître dispose à son gré des esclaves. Il noue et rompt les mariages, il trafique les enfans, il vend l'époux et la femme de manière à les séparer pour jamais: tout lui est permis. Jusqu'au lait des négresses qu'on livre au commerce comme le lait des vaches. C'est au point que, dans les maisons européennes à Rio, on s'abstient de l'usage du lait si l'on n'a point de vaches à demeure."
Quelle monstrueuse description!
Magasin universel, juin 1835.
"Le premier endroit que nous visitâmes fut le bazar aux esclaves. Il y avait là dans les boutiques plusieurs centaines de ces infortunées créatures. Leur corps presque entièrement nu n'était recouvert qu'à la ceinture par une mince pièce d'étoffe. La plupart avaient les cheveux rasés. A les voir en longues rangées sur de misérables bancs ou couchés négligemment par terre, le cœur se soulevait d'indignation.
Les enfans surtout s'y trouvaient en grande proportion, tous marqués d'un fer chaud sur les parties les plus nobles, comme des galériens. Aux jeunes filles on applique cet affreux stigmate au-dessus même du sein. Cela fait frémir.
"Après avoir langui long-temps au milieu des ordures d'un bâtiment négrier, après avoir été réduits aux pitoyables rations d'un ordinaire qui consiste en viande salée, en lard et en farine avariée, ils sont amenés là dans l'état le plus déplorable, sous le rapport de la santé comme de la propreté. Leur corps est tatoué en quelque sorte par le scorbut. Le mal, une fois qu'il s'est déclaré, étend petit à petit ses ravages, et creuse des ulcères dont la contagion ronge sans pitié la chair qui les entoure. Grâces aux tourmens de la faim, grâce aux souffrances en tout genre, ces malheureux ont perdu jusqu'à cette teinte noire et lustrée que vivifiait le soleil d'Afrique. Ils sont là, avec leur tête chauve, les yeux éteints, leur peau terne, leurs membres semés de taches blanches et purulentes, semblables à des pièces de mauvais bétail que l'humanité, peut à la première impression se croire en droit de renier comme n'appartenant point à sa race. Quand on vient à les marchander, on les examine avec soin, ainsi qu'on ferait pour des chevaux ou des bœufs. Il est d'usage, afin de secouer leur apathie, de distribuer aux victimes, le jour même de la vente, d'énergiques stimulans, du gingembre ou même du tabac, en guise de nourriture. Alors leurs regards s'animent de façon à les faire suffisamment valoir. Si cela ne suffit point, le propriétaire ne manque pas de prodiguer à sa troupe les soufflets et les coups de pieds; il faut qu'ils attirent le chaland à force de gentillesses.
"Arrivez-vous dans le bazar, ces honnêtes négocians viennent à vous d'un air affable; ils vous tendent la main, ils vous accablent de prévenances et ils exaltent la valeur de la chair dont ils trafiquent. Pour vous plaire et vous séduire, ils décocheront plus d'un coup de fouet aux malheureux qui ne sauraient trop gambader à faire montre de leur agilité. Mais, s'ils s'aperçoivent que la curiosité seule vous a conduit parmi eux, oh! la scène change aussitôt. Ces messieurs deviennent insolens d'obséquieux qu'ils étaient. Ils ont, tout prêt de la bouche, un vocabulaire de grossières injures qu'ils vomissent contre l'étranger malencontreux, contre l'Anglais surtout qui, disent-ils, se mêle de leurs affaires dans l'unique but de les dépouiller pour s'enrichir à leurs dépens. Pauvres hommes!
"Long-temps avant le jour et jusqu'au coucher du soleil, la ville est inondée en quelque sorte par des milliers et des milliers d'esclaves. A peine si, dans les marchés et sur le port, on peut avancer, tant leur foule se presse autour de vous, sollicitant du travail et de l'emploi. Ces malheureux sont obligés de subvenir à leur propre subsistance, et de remettre en outre à leurs maîtres une contribution fixée à tant par jour. Quand ils ne peuvent fournir la somme totale, ils sont passés aux verges; ont-ils au contraire amassé quelque monnaie en sus; elle leur reste pour compenser le déficit d'une autre journée. J'ai vu tel esclave qui payait quotidiennement un dollar à son maître. Il y en a que l'on envoie travailler dans les carrières du voisinage, d'autres qu'on expédie à la chasse des insectes et des coquillages; car les insectes et les coquillages sont un article de commerce à Rio-Janeiro.
"La soif du gain a bien imaginé d'autres moyens pour s'assouvir plus rapidement. Me croira-t-on si je dis qu'on a dressé des négresses pour remplir les mêmes fonctions que les étalons ou les jumens de nos haras? Quelque hideux qu'il soit, ce fait est exact. On achète de jeunes négresses tout exprès pour en accaparer la progéniture. L'esclave enceinte vaut 50 piastres (250 fr.) de plus qu'en son état ordinaire. On arrache les enfans du sein de leur mère pour les vendre à raison de 30 ou 40 piastres (150 à 200 fr.) par tête. Le maître dispose à son gré des esclaves. Il noue et rompt les mariages, il trafique les enfans, il vend l'époux et la femme de manière à les séparer pour jamais: tout lui est permis. Jusqu'au lait des négresses qu'on livre au commerce comme le lait des vaches. C'est au point que, dans les maisons européennes à Rio, on s'abstient de l'usage du lait si l'on n'a point de vaches à demeure."
Quelle monstrueuse description!
Magasin universel, juin 1835.
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