Boissieu.
Lorsque Jean-Jacques de Boissieu vint au monde à Lyon, en 1736, l'afféterie et la convention régnaient dans les beaux arts, comme dans les mœurs de la haute société. C'était l'époque du fard et de la poudre, des paniers et des mouches. Depuis quinze ans Watteau n'existait plus; Pater, son disciple, mourut cette même année 1736; mais Laucret, son autre élève, faisait encore minauder ses femmes coquettes, et Boucher devait bientôt mettre à la mode un genre aussi funeste à l'art qu'à la morale. Dorat, Bernis, Colardeau, Bernard, le chevalier de Parny, allaient suivre en poésie une tradition du même genre. Tous les sentiments semblaient se rapetisser. Le siècle de Louis XIV avait fait prévaloir l'imitation des anciens sur l'étude de la nature; le dix-huitième siècle substituait les caprices de l'imagination et les fantaisies d'une civilisation corrompue à l'étude des anciens. Une fois sorti de la vérité, l'homme tombe de plus en plus profondément dans l'erreur par une progression logique et inévitable. Mais si étendu que soit l'empire du mal, jamais il ne corrompt tous les citoyens d'un Etat. L'isolement protège les uns contre sa pernicieuse influence; la vigueur de l'esprit, l'originalité des vues et la force du caractère en préservent d'autres; un petit nombre doivent leur salut à l'ingénuité avec laquelle ils suivent leurs penchants et se laissent guidés par leurs inspirations.
C'est dans ce dernier groupe qu'il faut ranger Boissieu. Il appartenait à une famille noble et ancienne, qui était originaire d'Auvergne. Son aïeul paternel, Jean de Boissieu, avait été secrétaire de Marguerite de Valois, et devint son exécuteur testamentaire lorsqu'elle légua ses biens à Louis XIII. Notre artiste manifesta de bonne heure sa vocation: "M. Vialis, son aïeul maternel, nous dit un de ses biographes (1), possédait de très beaux tableaux: Boissieu cherchait à les imiter, même avant d'avoir reçu aucun principe de dessin; et déjà dans ces premiers essais on pouvait apercevoir les germes de son talent."
Ce goût décidé pour les beaux-arts contrariait sa famille; elle le destinait à la magistrature. On le mit cependant chez un peintre nommé Lombard, qui lui eut bientôt appris tout ce qu'il savait, c'est à dire peu de chose. Il fallut lui donner un maître plus habile; mais Frontier, pas plus que Lombard, ne pouvait le guider longtemps sans être dépassé par lui. Boissieu fut donc obligé de demander aux princes du coloris l'instruction dont il avait encore besoin. Les œuvres de Ruisdael, Berghem, Jean Miel, des frères Both, devinrent ses précepteurs. Ses imitations obtinrent un grand succès: un dessin fait par lui, d'après un tableau de Wouwermans ayant été acheté mille écus à la vente publique d'une collection, les parents du jeune artiste commencèrent à être ébranlés dans leur résolution. Boissieu menait d'ailleurs une vie exemplaire, ne montrait que de nobles sentiments; ils crurent pouvoir l'abandonner à lui-même. Il s'achemina en conséquence vers Paris, où il désirait depuis longtemps aller se perfectionner. Il avait alors vingt-quatre ans.
Dans la capitale, Boissieu pouvait être séduit par la mesquinerie et le faux goût de l'école régnante: il ne le fut pas. Riche et ne tenant pas à vendre ses ouvrages, modeste et ne cherchant point l'approbation publique, travaillant au contraire pour lui-même, pour exercer son imagination, pour satisfaire un besoin moral et se procurer des plaisirs intellectuels, il ne se préoccupa ni de la mode ni du succès. Il n'eut même pas besoin de se tenir en garde contre les fausses théories, contre le style licencieux et affecté de l'époque. Sans vouloir les combattre, il étudiait les maîtres qui lui plaisaient, prenait conseil de la nature et se laissait inspirer par ses sentiments. Mais précisément parce que sa manière s'éloignait de celle qui était en vogue, on remarqua bien vite ses tableaux. Les connaisseurs en apprécièrent le mérite, lui ouvrirent leurs galeries et lui permirent de copier les morceaux qu'il préférait. M. Tolosan, son compatriote, fut au nombre de ces amateurs. Les artistes les plus célèbres ne se montrèrent pas moins empressés à son égard: Vernet, Soufflot, Watelet, Greuze, voulurent être de ses amis, et recherchèrent ses dessins. Mais nul ne lui témoigna autant d'affection que le duc de la Rochefoucault; ils ne tardèrent pas à vivre familièrement ensemble. Un jour, dans la conversation, l'aimable seigneur lui proposa de faire un voyage en Italie. Boissieu n'eut garde de refuser; mais comme le duc n'avait pu fixer l'époque de leur départ, il continua ses études.
Tantôt il dessinait les compositions des grands maîtres, tantôt il errait dans les environs de Paris et copiait les plus beaux sites. Les forêts de Marly, de Saint-Germain et de Fontainebleau devenaient alors pour lui de grands ateliers où la nature lui offrait des modèles sans nombre. L'imposante majesté des grands arbres, la grâce en quelque sorte juvénile des taillis, les formes capricieuses des buissons et des ronces, les vieilles pierres où la mousse trace des arabesques, les chemins creux où pousse la menthe sauvage, les perspectives légèrement azurées par la brume, les hautes avenues, les terrains accidentés, charmaient tour à tour son esprit et occupaient son crayon. Il emporta dans son pays un grand nombre d'études qui enrichirent plus tard ses eaux fortes de mille détails précieux.
Ce fut alors l'occasion de faire ses premiers essais de gravure. Un marchand de tableaux, lui apportant des cuivres tout préparés, lui demanda, comme un acte de complaisance, de vouloir bien y dessiner quelques sujets de fantaisie. Boissieu se mit à l'oeuvre, et entra ainsi, par hasard, dans la carrière où il devait obtenir ses plus beaux triomphes. Ces premières gravures étaient encore imparfaites, mais on y voyait poindre déjà le talent soigneux et original de l'artiste.
Enfin le duc de la Rochefoucault se trouva libre de commencer son pèlerinage d'amateur. Il vint chercher Boissieu à Lyon, en 1765, et ils franchirent les Alpes. Ce fut pour tous deux un grand plaisir de voir cette région fameuse où une si douce lumière embellit tant de chefs-d'oeuvre, où la nature n'est pas moins attrayante que les productions des hommes. Souvent, lorsqu'un paysage magnifique enchantait leur vue, M. de la Rochefoucault faisait arrêter sa voiture pour que Boissieu pût en prendre une esquisse. Florence, Rome et Naples furent les trois villes qui les retinrent le plus longtemps. Le jeune artiste dessina l'arc de Titus, le Colysée, le tombeau de Cecilia Metella; les cascatelles de Tivoli, la maison ruinée de Mécène. Il se lia, d'une manière assez intime, avec Winckelmann, qui vivait alors en protégé dans le palais du cardinal Albani. L'admirateur passionné des Grecs et des Romains crut avoir trouvé un disciple: le peintre écoutait ses raisonnements avec la plus vive attention; peut être lui-même se figurait-il être converti aux idées un peu exclusives de l'archéologue; mais, de retour à Lyon, il n'en continua pas moins d'imiter les peintres flamands, et pour le choix des sujets et pour le coloris.
Boissieu, ne voulant pas que le manque de soins l'empêchât d'égaler ses modèles, broyait lui-même ses couleurs et préparait ses vernis. Sa constitution était assez débile; une trop grande application, des fatigues corporelles, le firent tomber dangereusement malade: il fut contraint d'abandonner la peinture à l'huile. Depuis ce moment, il n'exécuta plus que des dessins au lavis, à la mine de plomb, à la sanguine, et des eaux-fortes; mais il employa ces ressources avec une habilité supérieure. "Ses portraits à la sanguine, nous dit M. Dugas-Montbel, sont d'un fini dont lui seul a pu donner l'idée, et n'ont point encore trouvé d'imitateurs; ses paysages à la mine de plomb obtinrent bientôt la plus grande célébrité." Le comte d'Artois, les premiers seigneurs de la cour, recherchaient passionnément ses nouvelles productions; les étrangers ne tardèrent pas à s'en montrer aussi avides: l'Angleterre, la Russie, le nord de l'Allemagne, ne négligèrent aucun moyen pour se les procurer. C'était assez difficile car Boissieu ne les vendait point. M. Artaria, de Manheim, qui faisait un grand commerce d'objet d'art, ne pouvaient les obtenir qu'en les achetant de seconde main, ou en les échangeant contre des tableaux précieux qu'il offrait à l'artiste.
En 1772, étant âgé de trente-six ans, il épousa Mlle Anne Roch de Valoux, née, comme lui, dans la ville de Lyon. Un homme aussi doux, aussi rangé, devait être un bon mari: son union fut tranquille et heureuse; elle ne changea rien à ses habitudes. Sans cesse préoccupé de son art, il utilisa les nombreuses esquisses faites pendant son voyage et s'adonna plus particulièrement à la gravure. Après avoir obtenu ses principaux effets au moyen de l'eau forte, il complétait son oeuvre, il l'adoucissait et y répandait l'harmonie avec la pointe sèche et la roulette.
Il vécut ainsi, sans ambition, sans trouble et sans regrets, jusqu'au moment où éclata la révolution française. Les passions de l'époque agitèrent peu son cœur. Tandis que la France, donnait le jour à une société nouvelle, tressaillait dans les douleurs de l'enfantement, Boissieu fuyait le bruit, cherchait les calmes plaisirs de la solitude. Mais le malheur l'atteignit dans la campagne où il vivait retiré depuis vingt ans. Un artiste, membre de la Convention, fut expédié au bord du Rhône, avec la mission particulière de protéger sa vie (2); mais il perdit sa fortune, et son fils aîné, contraint d'abandonner sa patrie après le siège de Lyon, mourut en Suisse des fatigues du voyage, et probablement aussi du chagrin de l'exil.
Boissieu gagna amplement par son travail de quoi subvenir à ses besoins. Lorsque la nation, en convalescence, reprit goût aux plaisirs de l'imagination, l'Institut de France, les Académies de Bologne, Florence, Grenoble, Lyon, le nommèrent un de leurs membres correspondants. Toutefois, malgré les instances de M. Denon, il ne voulut pas quitter sa province natale pour le séjour plus brillant de Paris.
La vieillesse ne diminua pas son talent; sa dernière gravure est une des plus belles qu'il ait faite. Il mourut dans toute sa force. Depuis longtemps, il supportait avec peine la dure épreuve des hivers: les froids rigoureux de 1810 pénétrèrent pour ainsi dire jusqu'à son cœur. Il expira le 1er mars, âgé de soixante-quatorze ans.
L'oeuvre de Boissieu nous semble révéler parfaitement son origine avernoise; on y trouve de la patience, un caractère un peu lourd, mais cet amour vrai de la nature qu'inspirent aux montagnards les beaux paysages dont ils sont environnés. Son portrait complète ces indications: la finesse s'y joint à la vulgarité; les pommettes sont saillantes, le nez gros, les lèvres épaisses, le bas du front charnu, le menton volumineux; cela rappelle immédiatement les types campagnards; mais l’œil est observateur et sagace, quoique sans élévation. Il manque à cette figure la dignité des esprits supérieurs. Ses personnages ont peut-être moins de noblesse, moins d'intelligence encore; Les moines au chœur, les enfants que bénit Pie VIII, la femme qui les a amené, les acolytes placés dans le fond, les pères du désert, les petits garçons jouant avec un chien, le professeur de botanique et ses élèves, la famille devant le feu, et bien d'autres individus soigneusement dessinés, étonnent désagréablement par l'expression banale, par l'inertie de leurs traits. Cet engourdissement léthargique, cette insignifiance de visage, est un défaut que l'on ne remarque peut-être chez aucun peintre ou graveur fameux. Il trouble le plaisir que fait éprouver la belle et savante exécution de l'artiste. Quelques têtes, au contraire, ont une physionomie des plus vivantes: les deux enfants qui regardent le joueur de flûte, ceux qui s'amusent à gonfler des bulles de savon, le portrait du frère de Boissieu, une figure masculine vue de trois quarts, deux autres dans la feuille où l'on fait la barbe à un homme, surprenant par leur relief, par leur animation. Tel est encore le vieux drôle coiffé d'un bonnet qui atteint presque ses sourcils protubérants: sous cette double saillie, ses yeux méchants, profonds et perfides ont une redoutable expression. Mais ces têtes mêmes, si frappantes, si admirables, sont dépourvues de noblesse et de grandeur; aucun sentiment élevé ne s'y reflète. L'attention, la finesse ou la méchanceté, voilà tout ce que le graveur a su rendre; voilà pour lui toutes les formes de la vie morale. Son saint Jérôme dans le désert, par exemple, écrit très-attentivement, mais aucune inspiration n'éclaire son regard et n'idéalise ses traits. Le paysage, d'une beauté sévère, a plus d'expression que sa figure; l'homme ne vaut pas les objets inanimés qui l'entourent. Boissieu vivait trop dans la solitude et cherchait trop de calme: pour un artiste, comme pour un poëte, il est bon de voir luire, en des yeux intelligents, les éclairs des grandes passions. Goethe lui-même, à force de s'isoler, perdit la verve de ses beaux jours; il finit par écrire des ouvrages presque dénués de sens et pleins de visions chimériques.
Boissieu a plus habilement reproduit la nature que la face humaine. ses paysages sont très-beaux; la vigueur s'y trouve unie à la délicatesse, l'élégance à la vérité. Le dessin a de l'énergie dans les masses, de la finesse dans les détails. Ici de grands effets de clair-obscur donnant la saillie des objets; là des lumières fugitives, des dégradations ménagées avec soin, des fonds d'une légèreté charmante. Aucune trace de négligence ou de précipitation, tout est d'un fini merveilleux. Le feuillage des arbres, le mouvement ou l'immobile splendeur des eaux, les coupures, les formes du terrain, les lignes sinueuses ou abruptes des rochers, la magie de la perspective, sont rendus de la façon la plus heureuse comme la plus variée. Quelques artistes lui reprochent d'avoir exagéré dans ses feuillages le brillant des parties claires, au point de produire des effets neigeux; mais ce défaut n'existe guère que dans les mauvaises épreuves, où les détails des endroits lumineux ont disparu. Les nuages, il faut bien le dire, ne sont pas toujours réussis; on dirait souvent des barbouillages plutôt que des vapeurs errantes.
Mais quoique les ouvrages de Boissieu donnent prises à certaines critiques, ce n'est pas moins le graveur à l'eau forte le plus habile que la France ait produit. Ses dessins ont une si grande perfection que beaucoup valent des tableaux, et sont vendus jusqu'à deux et trois mille francs. L'exécution est d'une délicatesse merveilleuse; et cependant il les faisait très-vite. Un habile dessinateur de l'époque l'ayant vu travailler en resta confondu, il ne croyait point que l'on pût obtenir un tel fini avec une pareille promptitude, et eut un accès de découragement qui dura quinze jours.
L'oeuvre de Boissieu, d'après M. Dugas-Montbel, se composerait de cent sept pièces seulement. M. Guichardot, l'homme qui a le mieux étudié les travaux du célèbre graveur, possède ou connait de lui cent quarante deux estampes. Comme il s'occupe de ce maître depuis quarante ans, son opinion doit faire autorité.
Boissieu gagna amplement par son travail de quoi subvenir à ses besoins. Lorsque la nation, en convalescence, reprit goût aux plaisirs de l'imagination, l'Institut de France, les Académies de Bologne, Florence, Grenoble, Lyon, le nommèrent un de leurs membres correspondants. Toutefois, malgré les instances de M. Denon, il ne voulut pas quitter sa province natale pour le séjour plus brillant de Paris.
La vieillesse ne diminua pas son talent; sa dernière gravure est une des plus belles qu'il ait faite. Il mourut dans toute sa force. Depuis longtemps, il supportait avec peine la dure épreuve des hivers: les froids rigoureux de 1810 pénétrèrent pour ainsi dire jusqu'à son cœur. Il expira le 1er mars, âgé de soixante-quatorze ans.
L'oeuvre de Boissieu nous semble révéler parfaitement son origine avernoise; on y trouve de la patience, un caractère un peu lourd, mais cet amour vrai de la nature qu'inspirent aux montagnards les beaux paysages dont ils sont environnés. Son portrait complète ces indications: la finesse s'y joint à la vulgarité; les pommettes sont saillantes, le nez gros, les lèvres épaisses, le bas du front charnu, le menton volumineux; cela rappelle immédiatement les types campagnards; mais l’œil est observateur et sagace, quoique sans élévation. Il manque à cette figure la dignité des esprits supérieurs. Ses personnages ont peut-être moins de noblesse, moins d'intelligence encore; Les moines au chœur, les enfants que bénit Pie VIII, la femme qui les a amené, les acolytes placés dans le fond, les pères du désert, les petits garçons jouant avec un chien, le professeur de botanique et ses élèves, la famille devant le feu, et bien d'autres individus soigneusement dessinés, étonnent désagréablement par l'expression banale, par l'inertie de leurs traits. Cet engourdissement léthargique, cette insignifiance de visage, est un défaut que l'on ne remarque peut-être chez aucun peintre ou graveur fameux. Il trouble le plaisir que fait éprouver la belle et savante exécution de l'artiste. Quelques têtes, au contraire, ont une physionomie des plus vivantes: les deux enfants qui regardent le joueur de flûte, ceux qui s'amusent à gonfler des bulles de savon, le portrait du frère de Boissieu, une figure masculine vue de trois quarts, deux autres dans la feuille où l'on fait la barbe à un homme, surprenant par leur relief, par leur animation. Tel est encore le vieux drôle coiffé d'un bonnet qui atteint presque ses sourcils protubérants: sous cette double saillie, ses yeux méchants, profonds et perfides ont une redoutable expression. Mais ces têtes mêmes, si frappantes, si admirables, sont dépourvues de noblesse et de grandeur; aucun sentiment élevé ne s'y reflète. L'attention, la finesse ou la méchanceté, voilà tout ce que le graveur a su rendre; voilà pour lui toutes les formes de la vie morale. Son saint Jérôme dans le désert, par exemple, écrit très-attentivement, mais aucune inspiration n'éclaire son regard et n'idéalise ses traits. Le paysage, d'une beauté sévère, a plus d'expression que sa figure; l'homme ne vaut pas les objets inanimés qui l'entourent. Boissieu vivait trop dans la solitude et cherchait trop de calme: pour un artiste, comme pour un poëte, il est bon de voir luire, en des yeux intelligents, les éclairs des grandes passions. Goethe lui-même, à force de s'isoler, perdit la verve de ses beaux jours; il finit par écrire des ouvrages presque dénués de sens et pleins de visions chimériques.
Boissieu a plus habilement reproduit la nature que la face humaine. ses paysages sont très-beaux; la vigueur s'y trouve unie à la délicatesse, l'élégance à la vérité. Le dessin a de l'énergie dans les masses, de la finesse dans les détails. Ici de grands effets de clair-obscur donnant la saillie des objets; là des lumières fugitives, des dégradations ménagées avec soin, des fonds d'une légèreté charmante. Aucune trace de négligence ou de précipitation, tout est d'un fini merveilleux. Le feuillage des arbres, le mouvement ou l'immobile splendeur des eaux, les coupures, les formes du terrain, les lignes sinueuses ou abruptes des rochers, la magie de la perspective, sont rendus de la façon la plus heureuse comme la plus variée. Quelques artistes lui reprochent d'avoir exagéré dans ses feuillages le brillant des parties claires, au point de produire des effets neigeux; mais ce défaut n'existe guère que dans les mauvaises épreuves, où les détails des endroits lumineux ont disparu. Les nuages, il faut bien le dire, ne sont pas toujours réussis; on dirait souvent des barbouillages plutôt que des vapeurs errantes.
Mais quoique les ouvrages de Boissieu donnent prises à certaines critiques, ce n'est pas moins le graveur à l'eau forte le plus habile que la France ait produit. Ses dessins ont une si grande perfection que beaucoup valent des tableaux, et sont vendus jusqu'à deux et trois mille francs. L'exécution est d'une délicatesse merveilleuse; et cependant il les faisait très-vite. Un habile dessinateur de l'époque l'ayant vu travailler en resta confondu, il ne croyait point que l'on pût obtenir un tel fini avec une pareille promptitude, et eut un accès de découragement qui dura quinze jours.
L'oeuvre de Boissieu, d'après M. Dugas-Montbel, se composerait de cent sept pièces seulement. M. Guichardot, l'homme qui a le mieux étudié les travaux du célèbre graveur, possède ou connait de lui cent quarante deux estampes. Comme il s'occupe de ce maître depuis quarante ans, son opinion doit faire autorité.
(1) Éloge historique de M. de Boissieu, par Dugas-Montbel, Lyon, 1810, brochure in-8.
(2) Notice historique sur M. de Boissieu, par M. de Chazelle, brochure in-8, Lyon, 1810.
Magasin pittoresque, janvier 1853.
Magasin pittoresque, janvier 1853.
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