Déménagement du pauvre.
Je voyais la petite charrette à bras rouler devant moi, chargée de ce ménage du pauvre si difficilement acquis, et qui tient si peu de place. Le père, attelé au brancard, tirait vigoureusement, aidé par un jeune apprenti, son fils sans doute; à côté marchaient deux sœurs: l'aînée portant un panier chargé de provisions, quelques lithographies encadrées, galerie de tableaux du pauvre ménage, et un pot de fleurs, son parterre; la plus petite chargée du chat du logis, enveloppé dans son tablier. Ils avançaient lentement sur le pavé glissant, et, ralentissant le pas, je les suivais de l’œil en réfléchissant.
Certes, ce déménagement de la pauvre famille était triste à voir, et cependant combien il révélait de progrès accomplis? Aux siècles barbares, il ne se fût point fait ainsi paisiblement sous le soleil, mais de nuit, à travers les campagnes désolées; alors le pauvre ne quittait sa cabane que chassé par la violence; le déménagement était une fuite. Au lieu de ce père et de ces enfants transportant leurs pénates avec efforts, vous aviez des familles éperdues sauvant leurs misérables ressources sur des chariots qu'emportaient des bœufs effrayés; où je voyais de la sueur, autrefois j'aurais vu du sang!
Ainsi les bienfaits de la civilisation se font sentir aux plus humbles et aux plus déshérités. Là où nous apercevons tant de privations, elle a déjà amoindrie les épreuves; l'adoucissement des mœurs, la souveraineté toujours mieux sentie du droit, le développement de la fraternité chrétienne, ont fait un pauvre de la victime, un ouvrier du vaincu. Les sociétés sont donc en marche sous l’œil de Dieu. Les lois de la perfectibilité humaine suivent leur cours; loin de laisser derrière nous l'âge d'or, nous marchons incessamment à sa rencontre; chaque siècle essuie une larme et guérit une plaie.
Je fus interrompu au milieu de ces réflexions par la chute d'un tabouret de paille qui avait glissé de la charrette et était venu tomber à mes pieds.
Je le relevai en appelant; le jeune garçon accourut, et nous nous reconnûmes: c'était un des apprentis imprimeurs qui m'apportent mes épreuves.
Il toucha de la main sa calotte grecque et me salua par mon nom en souriant. Pendant que je l'aidais à rattacher le tabouret et à fixer sur la charrette quelques étagères près de glisser, il m'apprit qu'il allait habiter l'extrémité du faubourg où son père avait trouvé du travail. Veuf depuis plusieurs années, il avait longtemps vécu à grand'peine, mais le plus dur était fait; maintenant la sœur aînée pouvait tenir le ménage, la plus petite allait à l'école, où elle apprenait à lire et à coudre; lui-même venait de finir son apprentissage et allait passer parmi les travailleurs.
- C'est heureux que nous déménagions maintenant ajouta-t-il avec gaieté, vu que dans quelques mois le ménage aurait été plus lourd. Mes premières économies seront pour acheter un fauteuil au père et un lit à rideaux à la petite sœur; mais pardon, Monsieur, voilà qui est paré; en vous remerciant.
-Ohé! me voilà, père; enlevons!
Il avait repris la corde qui servait de bricole, et la charrette repartit.
Je la suivis quelque temps du regard dans le long faubourg où elle venait d'entrer. Les deux hommes continuaient à tirer courageusement tandis que les sœurs marchaient à quelque distance, l'aînée doucement, sérieuse comme une jeune mère, la petite obéissante et attentive.
- Allez, pensai-je tout bas, honnête famille du pauvre, vous qui devriez être pour nous une leçon de courage et de patience! Allez, et puissiez-vous emporter avec ce chétif ménage les vrais trésors domestiques: l'amour du travail, le contentement de l'âme et la santé du corps. Ah! quelque humble que soit votre destinée, Dieu ne vous a point abandonnée, car il vous a donné dans ce père la force dévouée qui protège; dans le fils, l'espérance qui rassure; dans les deux sœurs, la grâce qui charme et la tendresse qui console.
Magasin pittoresque, avril 1853.
Je le relevai en appelant; le jeune garçon accourut, et nous nous reconnûmes: c'était un des apprentis imprimeurs qui m'apportent mes épreuves.
Il toucha de la main sa calotte grecque et me salua par mon nom en souriant. Pendant que je l'aidais à rattacher le tabouret et à fixer sur la charrette quelques étagères près de glisser, il m'apprit qu'il allait habiter l'extrémité du faubourg où son père avait trouvé du travail. Veuf depuis plusieurs années, il avait longtemps vécu à grand'peine, mais le plus dur était fait; maintenant la sœur aînée pouvait tenir le ménage, la plus petite allait à l'école, où elle apprenait à lire et à coudre; lui-même venait de finir son apprentissage et allait passer parmi les travailleurs.
- C'est heureux que nous déménagions maintenant ajouta-t-il avec gaieté, vu que dans quelques mois le ménage aurait été plus lourd. Mes premières économies seront pour acheter un fauteuil au père et un lit à rideaux à la petite sœur; mais pardon, Monsieur, voilà qui est paré; en vous remerciant.
-Ohé! me voilà, père; enlevons!
Il avait repris la corde qui servait de bricole, et la charrette repartit.
Je la suivis quelque temps du regard dans le long faubourg où elle venait d'entrer. Les deux hommes continuaient à tirer courageusement tandis que les sœurs marchaient à quelque distance, l'aînée doucement, sérieuse comme une jeune mère, la petite obéissante et attentive.
- Allez, pensai-je tout bas, honnête famille du pauvre, vous qui devriez être pour nous une leçon de courage et de patience! Allez, et puissiez-vous emporter avec ce chétif ménage les vrais trésors domestiques: l'amour du travail, le contentement de l'âme et la santé du corps. Ah! quelque humble que soit votre destinée, Dieu ne vous a point abandonnée, car il vous a donné dans ce père la force dévouée qui protège; dans le fils, l'espérance qui rassure; dans les deux sœurs, la grâce qui charme et la tendresse qui console.
Magasin pittoresque, avril 1853.
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