Les oiseaux voyageurs de la Manche.

Les oiseaux voyageurs de la Manche.

Ce dessin eût fait sourire Grandville; c'est un de ces jeux où se complaisait son esprit.

Il aimait à saisir ces rapports singuliers ou comiques entre nous et les autres créatures qui peuplent la terre, entre l'humanité et l'animalité. Souvent, où l'on découvrait une intention presque misanthropique, il n'avait vu simplement qu'une fine et délicate analogie. Aussi souffrait-il de la plupart des explications écrites que l'on donnait de ses dessins. Il était rare qu'à son gré on eût interprété fidèlement sa pensée; et ce mot de pensée même, il ne le trouvait pas juste. La faculté particulière d'observation ou de poésie qui conduit le crayon ou le pinceau n'est-elle point, en effet, plutôt trahie que servie lorsqu'on s'efforce de transformer en un sentiment précis ce qu'il y a le plus souvent de vague délicatesse et d'incertaine philosophie dans l'oeuvre de l'artiste?

En même temps, par ces explications parfois arbitraires, ne nuit-on point plus que l'on aide à celui qui regarde, ne fût-ce que parce qu'on lui ôte le plaisir de chercher et de deviner? Ces réflexions mêmes nous avertissent de ne pas commenter cette planche humoriste, et de laisser nos lecteurs promener en liberté leurs regards parmi toutes ces classes de voyageurs qui, en temps de paix, traversent la Manche, pauvres et riches, artistes du chant ou de la danse, grands seigneurs et leur suite, graves magistrats, gros bourgeois et leur famille, simples curieux en blouse le cigare à la bouche, tous en route pour s'abattre sur cette côte où les attendent l'aubergiste et le douanier, tandis que de plus rares et plus modestes touristes, mais aussi faciles à reconnaître, viennent du continent.
Volez, volez, esprits curieux! Voir, c'est avoir, a dit le poète. Reviendrez-vous plus riches? Oui, sans doute, plus riches d'expérience et surtout, si vous êtes sages, plus riches d'affection pour votre patrie et votre foyer domestique.

Magasin Pittoresque, 1849.