La femme de ménage.
De la femme de ménage dépendent la prospérité intérieure, la santé des enfants, le bien-être du mari. Elle s'occupe du beau comme du bon, car l'arrangement de sa demeure est comme une oeuvre d'art qu'elle crée et renouvelle chaque jour.
La bonne femme de ménage a besoin de toutes les qualités féminines, l'ordre, la finesse, la bonté, la vigilance, la douceur. Elle répare les fortunes ébranlées; elle sait transformer l'aisance en richesse, le strict nécessaire en aisance. Elle gouverne enfin, elle gouverne pour sauver, et son empire est plus réel que celui des ministres et des rois. Un roi, si habile soit-il, peut-il faire que ce qu'on appelle son royaume demeure à l'abri des intempéries du ciel? que la pluie, la grêle, la guerre, ne viennent pas ravager ses routes et ses moissons? Un roi a-t-il quelque autorité sur les âmes? peut-il commander à ses sujets de parler, de se taire? Êtres et choses, tout lui échappe.
La femme de ménage, au contraire, tient dans sa main, pour ainsi dire, chacun des habitants qui animent et chacun des objets qui composent son empire. Elle exile de sa maison les paroles grossières, les actes violents; elle améliore ses serviteurs comme ses enfants, et nul n'est frappé d'une souffrance qu'elle ne puisse aller à son aide. Par elle, les meubles sont toujours propres, le linge toujours blanc. Son esprit remplit cette demeure, la façonne à son gré, et rien ne manque à ce gouvernement domestique, pas même le charme idéal. Qui de nous, passant le soir dans un village, devant quelque demeure de paysan, et apercevant à travers les vitres le foyer flambant, le couvert mis sur une nappe rude mais sans tache, et la soupe fumante sur la table, n'a point pensé, avec une sorte d'attendrissement que j'appellerai poétique, à ce pauvre ouvrier, bientôt de retour, qui, après un long jour employé à remuer la terre ou le plâtre et à frisonner sous la pluie, allait rentrer dans cette petite chambre si nette et reposer ses yeux et son cœur fatigués de tant de travaux rebutants?
Peut-être ne se rend-t-il pas compte de ce sentiment de bien-être, mais il l'éprouve. L'homme de pensée lui-même, après de longues et arides méditations, ne trouve-t-il pas une sorte de repos qu'il idéalise dans la vue des occupations ménagères? La laiterie où le beurre s'arrondit en mottes brillantes et parsemées de gouttes de rosée, la grande cuve où bout le linge, la bassine où cuisent les fruits mêlés de sucre, sont autant d'objets qui calment, qui touchent même d'une certaine émotion sereine, comme tout ce qui tient à la nature et à la famille, comme à la vue d'une vache qui broute, d'une plaine où se fait la moisson. Les anciens sentaient et exprimaient admirablement cette poésie domestique. L'Odyssée ne nous charme jamais davantage que quand elle nous offre, dans Nausicaa et dans Pénélope, la princesse unie à la femme de ménage; et Xénophon n'a rien écrit de plus exquis que le tableau des joies de la jeune mère de famille.
Histoire morale des femmes, par E. Legouvé.
Magasin Pittoresque, 1849.
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