Le bétel.
On sait de quelle faveur le mélange masticatoire appelé bétel jouit dans l'Asie méridionale, depuis les îles de la Malaisie jusqu'en Turquie, où il est connu sous le nom arabe de tembul. Nous rappellerons que ce mélange se compose de feuilles hachées du poivrier nommé Piper betle ou celles du Piper siriboa, de noix d'arec, et enfin de chaux préparée ordinairement avec des coraux ou des écailles d'huîtres. On y ajoute souvent du tabac, quelquefois du bois d'aloès ou d'autres substances odoriférantes.
Le bétel est une plante sarmenteuse qui s'enlace, comme notre houblon, en longues spirales autour des arbres, ou, dans les plantations régulières, autour des bâtons de bambous qu'on a soin de lui offrir comme appuis. Elle monte à une hauteur de sept à huit pieds. Sa culture exige de grands soins. Les plants doivent être protégés contre l'excessive ardeur du soleil. On en voit dans l'Inde des champs couverts d'un dôme impénétrable et qui paraissent noirs en plein midi. Quand la récolte réussit, elle rapporte des bénéfices considérables.
Même dans les îles sauvages de l'océan Indien, les habitants sont munis de calebasses qui contiennent le bétel et l'arec, et d'une spatule pour porter la chaux à leurs gencives. A Java ou à Sumatra, en Cochinchine et dans les pays environnants, on est plus raffiné. Chacun porte avec lui ses feuilles hachées, enfermées dans une boite ou dans une bourse assez semblable aux blagues à tabac des Européens, et quelque fois des ciseaux d'une forme particulière pour renouveler sa provision.
Ce sont des ciseaux de ce genre, en fer damasquiné d'or et d'argent, que représente la gravure.
Ils appartiennent au Musée de Cluny. Il va sans dire que tout le monde ne possède pas des instruments d'un travail aussi riche et aussi précieux. Bien des gens se contentent, pour couper le bétel, de même que pour gratter la noix d'arec, d'un petit couteau de forme commune. La chaux est conservée dans un étui de cuivre ou de porcelaine orné avec plus ou moins d'élégance. Une petite spatule servant à opérer le mélange complète cet appareil. On le porte à côté des personnages de haut rang, dans les audiences les plus solennelles, avec le crachoir qui en est l'indispensable accessoire. Loin de voir dans cet usage rien de répugnant, il est la bienséance, dans les pays où l'on mâche le bétel, d'en avoir dans la bouche quand on parle à quelqu'un; on l'offre aux personnes que l'on aborde ou dont on se sépare. Le bétel et l'arec font partie des présents que l'on échange en certaines circonstances, et de ceux qu'adressent à une future épouse les parents et les amis du fiancé. Les deux sexes, en effet, en font également usage. Les femmes même en sont, s'il est possible, plus avides que les hommes, car elles y trouvent une ressource de leur coquetterie. Elles ne renonceraient pas aisément à ce moyen de donner à leurs lèvres le rouge vif qui passe pour une de leurs grandes beautés.
Quant à la couleur noire de leurs dents, nous devons rectifier, d'après des observations récentes, l'opinion qui attribue à la mastication de bétel cette couleur d'ébène si affreuse pour les yeux d'un Européen, mais qu'admirent les habitants de l'Indo-Chine ou de la Malaisie. Un voyageur raconte (1) qu'un mandarin du Tonquin, devant qui s'était présenté un homme de Penang aux dents blanches, demanda à ceux qui l'entouraient quel était cet homme à la bouche si laide, qui avait les dents semblables à celles d'un chien. Les dents des enfants sont laquées quand ils sont encore très-jeunes: cette opération se fait au moyen d'une plante; elle est complète en une seule fois. Le bétel, au moins quand on n'y mêle pas de chaux, rend seulement les dents jaunes et n'en attaque pas l'émail; au contraire, il semble les préserver de la carie. L'évêque de Tonquin a mâché du bétel pendant plusieurs années, et ses dents n'ont pas souffert.
Le bétel a d'autres effets qui le rendent précieux pour la santé dans ce climat brûlant. Par son astringence énergique, il rend au canal intestinal et à la peau le ton que la chaleur excessive tend à leur enlever. Il prévient aussi des dysenteries et la débilitation qui résultent d'une transpiration trop abondante. Enfin, il fortifie l'estomac et communique à l'haleine une odeur agréable. La première fois que l'on en goûte, il est nécessaire d'en user avec précaution; car il agit comme un narcotique assez puissant, et jette dans une sorte d'ivresse; mais, comme tous les excitants de la nature, il devient une nécessité pour celui qui en a pris l'habitude.
"Les Annamites, dit encore le voyageur que nous citions tout à l'heure, lorsqu'ils enlèvent l'enveloppe fibreuse de la noix d'arec, ont la lenteur et la physionomie particulières aux gens qui bourrent leur pipe, l'air de complaisance qui annonce un plaisir assuré et qu'on savoure en imagination. Quelques-uns ajoutent de la chaux vive. J'ignore comment leur bouche peut y résister."
Du bétel préparé est servi au dessert chez les Birmans et chez d'autres peuples de l'Inde, avec le thé confit et mariné, avec le gingembre salé en tranches minces, l'ail frit, etc.; Ils sont surtout friands des deux premiers de ces mets.
(1) Le Tour du monde, 1861, deuxième semestre. (Extrait d'une correspondance privée.)
Magasin Pittoresque, 1870.
Ce sont des ciseaux de ce genre, en fer damasquiné d'or et d'argent, que représente la gravure.
Ils appartiennent au Musée de Cluny. Il va sans dire que tout le monde ne possède pas des instruments d'un travail aussi riche et aussi précieux. Bien des gens se contentent, pour couper le bétel, de même que pour gratter la noix d'arec, d'un petit couteau de forme commune. La chaux est conservée dans un étui de cuivre ou de porcelaine orné avec plus ou moins d'élégance. Une petite spatule servant à opérer le mélange complète cet appareil. On le porte à côté des personnages de haut rang, dans les audiences les plus solennelles, avec le crachoir qui en est l'indispensable accessoire. Loin de voir dans cet usage rien de répugnant, il est la bienséance, dans les pays où l'on mâche le bétel, d'en avoir dans la bouche quand on parle à quelqu'un; on l'offre aux personnes que l'on aborde ou dont on se sépare. Le bétel et l'arec font partie des présents que l'on échange en certaines circonstances, et de ceux qu'adressent à une future épouse les parents et les amis du fiancé. Les deux sexes, en effet, en font également usage. Les femmes même en sont, s'il est possible, plus avides que les hommes, car elles y trouvent une ressource de leur coquetterie. Elles ne renonceraient pas aisément à ce moyen de donner à leurs lèvres le rouge vif qui passe pour une de leurs grandes beautés.
Quant à la couleur noire de leurs dents, nous devons rectifier, d'après des observations récentes, l'opinion qui attribue à la mastication de bétel cette couleur d'ébène si affreuse pour les yeux d'un Européen, mais qu'admirent les habitants de l'Indo-Chine ou de la Malaisie. Un voyageur raconte (1) qu'un mandarin du Tonquin, devant qui s'était présenté un homme de Penang aux dents blanches, demanda à ceux qui l'entouraient quel était cet homme à la bouche si laide, qui avait les dents semblables à celles d'un chien. Les dents des enfants sont laquées quand ils sont encore très-jeunes: cette opération se fait au moyen d'une plante; elle est complète en une seule fois. Le bétel, au moins quand on n'y mêle pas de chaux, rend seulement les dents jaunes et n'en attaque pas l'émail; au contraire, il semble les préserver de la carie. L'évêque de Tonquin a mâché du bétel pendant plusieurs années, et ses dents n'ont pas souffert.
Le bétel a d'autres effets qui le rendent précieux pour la santé dans ce climat brûlant. Par son astringence énergique, il rend au canal intestinal et à la peau le ton que la chaleur excessive tend à leur enlever. Il prévient aussi des dysenteries et la débilitation qui résultent d'une transpiration trop abondante. Enfin, il fortifie l'estomac et communique à l'haleine une odeur agréable. La première fois que l'on en goûte, il est nécessaire d'en user avec précaution; car il agit comme un narcotique assez puissant, et jette dans une sorte d'ivresse; mais, comme tous les excitants de la nature, il devient une nécessité pour celui qui en a pris l'habitude.
"Les Annamites, dit encore le voyageur que nous citions tout à l'heure, lorsqu'ils enlèvent l'enveloppe fibreuse de la noix d'arec, ont la lenteur et la physionomie particulières aux gens qui bourrent leur pipe, l'air de complaisance qui annonce un plaisir assuré et qu'on savoure en imagination. Quelques-uns ajoutent de la chaux vive. J'ignore comment leur bouche peut y résister."
Du bétel préparé est servi au dessert chez les Birmans et chez d'autres peuples de l'Inde, avec le thé confit et mariné, avec le gingembre salé en tranches minces, l'ail frit, etc.; Ils sont surtout friands des deux premiers de ces mets.
(1) Le Tour du monde, 1861, deuxième semestre. (Extrait d'une correspondance privée.)
Magasin Pittoresque, 1870.
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