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mercredi 2 juillet 2014

Les Ursulines.


Les Ursulines.

Une jeune fille, en Italie, et une jeune veuve, en France, formèrent presque en même temps le projet d'élever des jeunes filles et des institutrices de jeunes filles. Ce n'était rien moins qu'un révolution; et, chose assez rare, celles qui la firent le comprenaient:"Il faut, disaient-elles, renouveler par la petite jeunesse ce monde corrompu; les jeunes filles réformeront les familles, les familles réformeront leurs provinces, leurs provinces réformeront le monde." Nouvelle par son but, cette institution le fut dans ses règles. Pas de rigueurs excessives, pas de jours consacrés tout entiers à la prière et aux oisives extases. Une de leurs patronnes fut Marthe la travailleuse
Mademoiselle de Sainte-Beuve, première fondatrice des Ursulines de France, acheta au faubourg Saint-Jacques une maison où elle installa des sœurs avec deux cents externes; puis elle se logea dans un appartement contigu à son cher couvent, avec une porte qui y conduisait, un parloir ouvrant sur le jardin, et une fenêtre d'où elle pouvait suivre de l’œil toute cette jeune parenté sortie, comme elle le disait, non de ses entrailles, mais de son cœur. S'il venait quelques nobles visiteurs (elle avait dans sa jeunesse brillé à la cour) , sa plus vive joie était de les conduire à cette fenêtre et de leur montrer ses chères filles travaillant. Le choix des maîtresses n'était réglé ni par la noblesse ni par la position; même à mérite égal, mademoiselle de Sainte-Beuve nommait de préférence, comme institutrices, les plus destituées de biens et de naissance. Son caractère répondait à ses actions; elle était gaie et ne s'en cachait pas, elle aimait la vie et ne s'en défendait pas. Il n'y a que les misérables et les désespérés, disait-elle, qui puissent avoir en horreur ce qui est un présent de Dieu. 
Quand elle mourut, ses religieuses, par une touchante habitude, qui semble une idée venue d'elle-même (nos regrets prennent souvent quelque chose du caractère de ceux que nous regrettons) , ses religieuses continuèrent pendant un an à mettre son couvert au réfectoire et à servir, devant la place qu'elle occupait, sa part accoutumée, pour la distribuer ensuite aux pauvres. Enfin, quand on fit son portrait, ses filles voulurent qu'elle fût représentée devant sa fenêtre, ses yeux fixés sur un jardin rempli de ruches, et qu'au bas l'on écrivit ces mots: Mère d'abeilles. Ce nom dit tout: mère d'abeilles, fondatrice des travailleuses. Ne semble-t-il pas que le contraste d'une vie si paisible et si sensée avec les fougueuses et douloureuses vocations de Sainte-Thérèse annonce une régénération bienfaisante, et que cette existence s'empreint, dans sa douleur, du calme et de la sérénité du nouveau dieu intronisé parmi les femmes, le travail?
Bientôt, en effet, ainsi que tous les établissements sur lesquels repose l'avenir, la fondation des Ursulines prit un développement immense, les ruches essaimèrent. Mademoiselle Sainte-Beuve avait jeté les bases de la première maison vers 1594; en 1668, la France en comptait déjà trois cents dix, toutes s'élevant avec mille intéressants détails de vocation irrésistible, de luttes cruelles et de triomphes.

                                                                                       Legouvé, Histoire morale des femmes.

Magasin Pittoresque, 1849.

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