De la religion chez les Wahabites. (1)
M. Palgrave, déguisé en marchand syrien, eut un jour à Riad, capitale du Nedjed, un entretien sérieux avec le prince Abd-el-Kercem sur la religion wahabite, qui est une secte de l'islamisme. Ce prince est un personnage très-versé dans la théologie et les lettres.
M. Palgrave. Prince, quels sont, selon votre croyance, les plus grands péchés?
Le Prince. Il y en a deux.
M. Palgrave. Quel est le premier?
Le Prince. Le plus grand des péchés est de rendre à une créature humaine les honneurs qui ne sont dus qu'à Dieu.
M. Palgrave. Et le second?
Le Prince. Le second péché est de "boire le honteux" (c'est à dire fumer le tabac).
M. Palgrave, étonné. Comment se peut-il que ce soit un si grand péché de fumer le tabac?
Le Prince. Le tabac enivre, et toutes les substances enivrantes sont prohibées par le Coran.
M. Palgrave, en sa prétendue qualité de médecin voulut contester le fait; mais le prince soutint avec énergie que beaucoup d'hommes tombaient ivres seulement pour avoir aspiré une seule fois le tabac d'Oman. Il est vrai que ce tabac est un narcotique d'une énergie singulière, et que M. Palgrave, très-grand fumeur, n'avait pu en user sans souffrance.
M. Palgrave. Mais que dites-vous des autres péchés, le meurtre, le vol, le faux témoignage, etc.?
Le Prince. Dieu est plein de miséricorde.
M. Palgrave. Où vont après la mort ceux qui ont commis les grands péchés?
Le Prince. Dans le purgatoire.
M. Palgrave. N'avez-vous point d'enfer?
Le Prince. L'enfer est réservé aux infidèles.
M. Palgrave. Qui sont les infidèles?
Le Prince. Ceux qui ne sont pas mahométans. Tous les chrétiens iront certainement en enfer.
M. Palgrave fait observer que par là les Wahabites n'entendent pas une foule de damnés; ils sont persuadés, avec beaucoup d'autres musulmans d'Asie ou d'Afrique, que tous les chrétiens sont, en Europe, contenus avec leurs six ou sept chefs dans une enceinte de murailles assez peu étendue, et qu'ils vivent là, prisonniers ou peu s'en faut, sous l'autorité du sultan. On faisait même quelque fois cette question aux voyageurs: "Est-ce qu'il y a encore des chrétiens?"
Les pécheurs musulmans les plus pervers n'ont pas d'ailleurs à craindre de rester longtemps en purgatoire. Tout musulman n'a-t-il pas un droit assuré au paradis? N'a-t-il pas fait avec Dieu un traité dont M. Palgrave réduit le sens à peu près en ces termes:
"Je vous reconnaîtrai, vous seul, pour mon Créateur, mon Protecteur, mon Maître, mon Seigneur, et je m'acquitterai de ce que je vous dois en faisant par jour cinq prières; je me prosternerai trente quatre fois; je réciterai dix-sept chapitres du Coran, et je m'inclinerai un nombre égal de fois, sans oublier auparavant les ablutions totales ou partielles, et en ayant soin de répéter souvent ces mots: La Allah illa Allah. De votre côté, vous me laisserai libre de faire ce qui me plaira pendant le reste des vingt-quatre heures, et vous ne vous mêlerez pas trop de ma vie publique ou privée. Vous ne pourrez faire moins ensuite que de m'admettre dans le paradis, où vous me pourvoirez abondamment de "la véritable chair des oiseaux que les hommes aiment" (expressions tirées du Coran) , de beaux ombrages, de rivière de nectar, de coupes de vin; et, lors même que j'aurai failli dans mes pensées ou mes actions, ma foi en vous et en vous seul, et l'invocation de votre nom à mon lit de mort, devront me tenir quitte du purgatoire."
(1) Voy. Narrative of a year's journey through central and eastern Arabia (1962-64), by William Gifford Palgrave.
Magasin Pittoresque, 1866.
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