Recherches sur les anciens théâtres.
Si l'on se rappelle ce que nous avons dit de l'incommodité des salles de spectacle de la ville de Paris au dix-septième siècle, on comprendra la répugnance que la cour, les grands seigneurs, et même les grandes familles bourgeoises devaient éprouver à se réunir dans ces lieux infects. Le public qui les fréquentait était moqueur, bruyant et querelleur; ses sarcasmes n'épargnaient pas plus les spectateurs des loges que les comédiens, il raillait indifféremment, d'une voix haute et libre, et toujours impunie, les duchesses aussi bien que les actrices. Ainsi les nobles et les gens riches, au lieu d'aller au spectacle, préféraient le faire venir chez eux, et se donner dans leurs propres hôtels le plaisir de la comédie. Les registres de la Comédie française contiennent des notes presque journalières de Visites (tel est le nom que l'on donnait à ces sortes de représentations) que Molière et sa troupe allait faire ainsi chez le roi, les princes ou les particuliers. Nous transcrivons quelques-unes de ces notes manuscrites qui nous ont paru curieuses, et qui constatent les titres des pièces ou farces que Molière a dédaigné de faire imprimer.
"Le 15 avril 1659, la troupe a recommencé ses représentations par une visite au château de Chilly, à quatre lieues de Paris, où monseigneur le grand-maître donnait un régal au roy; la troupe joua le Despit amoureux et reçut 400 liv."
"Le 18 may, joué au Louvre deux petites comédies, Gros-René escolier et le Médecin volant pour le roy."
"La mardi gras, le Docteur pédant et le Grand benêt de fils chez M. Le Tellier; reçu 330 livres."
"Le 4 février, on avait joué Gorgibus dans le sac, et les Trois docteurs chez M. de Guénégault: reçu 220 livres."
"12 mars, il y eut une visite chez M. le chevalier de Grammont, la Jalousie du Gros-René: 220 livres."
" Le mardy, 26 octobre 1660, l’Étourdi et les Précieuses au Louvre chez son Éminence le cardinal Mazarin, qui était malade dans sa chaise. Le roy vit la comédie incognito, debout, appuyé sur le dossier de la chaise de son Éminence; (Nota) qu'il rentrait de temps en temps dans un grand cabinet. Le roy gratifia la troupe de 3.000 livres."
"Le lundy 11e de juillet la troupe est partie de Paris pour aller à Vaux pour monsieur Fouquet, surintendant; l'Ecole des maris et Plan-plan: 334 livres 10 sous."
"Le mercredy, 13 à Fontainebleau, l'Ecole des maris et Gros-René devant le roy."
"Et le même soir on a joué chez madame la surintendante la même chose."
"Le jeudy, 14e, monseigneur le marquis de Richelieu arresta la troupe pour jouer l'Ecole des maris devant les filles de la reine, entre lesquelles était mademoiselle de La Motte d'Argencourt: il donna à la troupe quatre-vingt pistoles d'or, cy 880 livres. Monsieur le surintendant donna 1.500 livres. La troupe revint à Paris, la nuit, arriva à Essonne le vendredi 15e à la pointe du jour, et arriva à midy au Palais-royal pour jouer Huon de Bordeaux et l'Ecole des maris; il y avait neuf loges louées 857 livres."
"Lundy 15 août, la troupe est partie pour aller jouer à Vaux-le-Vicomte pour M. le surintendant et a joué Les Fascheux devant le roy dans le jardin, et est revenue le samedy 20e dudit mois: reçu..."
La place du chiffre est restée en blanc. On sait le sort de Fouquet à la suite des fêtes qu'il donna à Louis XIV, à son château de Vaux. Molière et sa troupe en ressentirent quelque contre-coup: cette visite ne leur fut pas payée.
"Le vendredy 12 juin 1665, la troupe est allés à Versailles par ordre du roy; on a joué le Favory dans le jardin sur un théâtre tout garni d'orangers. M. de Molière fit un prologue en marquis ridicule, et eut une conversation risible avec une actrice qui fit la marquise ridicule placée au milieu de l'assemblée."
"Vendredy 14 août 1665, la troupe alla à Saint-Germain-en-Laye; le roy dit au sieur de Molière qu'il voulait que la troupe dorénavant lui appartint et la demanda à Monsieur. Sa Majesté donna en même temps six mille livres de pension à la troupe qui prit congé de Monsieur, lui demanda la continuation de sa protection et prit ce titre: la troupe du roy.
Louis XIV, en attachant plus étroitement à son service, se réserva la première représentation de toutes les pièces qui serait jouées sur le théâtre du Palais-Royal. Cette coutume fut presque toujours suivie par ses successeurs, et les auteurs eurent ainsi deux jugements à subir sur les deux théâtres de la cour et de la ville; jugements parfois bien opposés, car le public de Paris se plaisait à casser les arrêts de celui de Versailles, lequel pourtant éclairait quelquefois l'auteur sur le mérite réel de son oeuvre, et lui épargnait par cette épreuve préalable les sifflets qu'il aurait infailliblement subis.
Le succès d'une pièce de théâtre dépend essentiellement du genre d'esprit des spectateurs devant lesquels on la représente; telle pièce applaudie dans un quartier de la ville peut être sifflée dans un autre, aussi ne doit-on pas s'étonner des chances si diverses que le même ouvrage rencontrait à peu de jours de distance devant deux publics d'opinions si opposées. Sans parler des différences du langage et de sentiments, sans parler des préjugés particuliers aux gens de la cour, si contraires à l'esprit général de la nation, la manière même dont une pièce était représentée et écoutée sur les deux théâtres de la cour et de la ville influait sensiblement sur sa réussite. A la cour les acteurs jouaient leurs rôles entre deux gardes du corps de Sa Majesté; aucun signe d'approbation ou d'improbation ne venait échauffer ou stimuler leur jeu; ainsi l'exigeait le respect dû à la personne du monarque; lui seul parfois riait, applaudissait ou blâmait, au milieu du profond silence qui régnait dans toute la salle; c'était seulement sur sa physionomie que l'acteur pouvait à la dérobée saisir un encouragement ou son arrêt. Nous avons vu, pendant le règne du dernier roi, quelques-unes de ces représentations d'apparat, et quoique la tradition de l'étiquette y fut moins observée que par le passé, nous pouvons affirmer que certaines pièces ainsi représentées devenaient méconnaissables. L'acteur ne peut jouer sans un public. Il a besoin que l'on réponde à ses accents, que sa gaieté ait un écho, il faut qu'il sache s'il plaît ou intéresse, sinon, il se consume en efforts impuissants, sa voix se fausse et s'altère, sa joie grimace, ou bien il se met au diapason du public, il devient froid, glacé, et l'un des plus délicats plaisirs de l'esprit dégénère en fatigue et en insupportable ennui.
Notre gravure reproduit un de ces répertoires du temps de Louis XV, que l'on envoyait à toutes les personnes invitées aux spectacles de la cour.
Magasin Pittoresque, 1849.
Louis XIV, en attachant plus étroitement à son service, se réserva la première représentation de toutes les pièces qui serait jouées sur le théâtre du Palais-Royal. Cette coutume fut presque toujours suivie par ses successeurs, et les auteurs eurent ainsi deux jugements à subir sur les deux théâtres de la cour et de la ville; jugements parfois bien opposés, car le public de Paris se plaisait à casser les arrêts de celui de Versailles, lequel pourtant éclairait quelquefois l'auteur sur le mérite réel de son oeuvre, et lui épargnait par cette épreuve préalable les sifflets qu'il aurait infailliblement subis.
Le succès d'une pièce de théâtre dépend essentiellement du genre d'esprit des spectateurs devant lesquels on la représente; telle pièce applaudie dans un quartier de la ville peut être sifflée dans un autre, aussi ne doit-on pas s'étonner des chances si diverses que le même ouvrage rencontrait à peu de jours de distance devant deux publics d'opinions si opposées. Sans parler des différences du langage et de sentiments, sans parler des préjugés particuliers aux gens de la cour, si contraires à l'esprit général de la nation, la manière même dont une pièce était représentée et écoutée sur les deux théâtres de la cour et de la ville influait sensiblement sur sa réussite. A la cour les acteurs jouaient leurs rôles entre deux gardes du corps de Sa Majesté; aucun signe d'approbation ou d'improbation ne venait échauffer ou stimuler leur jeu; ainsi l'exigeait le respect dû à la personne du monarque; lui seul parfois riait, applaudissait ou blâmait, au milieu du profond silence qui régnait dans toute la salle; c'était seulement sur sa physionomie que l'acteur pouvait à la dérobée saisir un encouragement ou son arrêt. Nous avons vu, pendant le règne du dernier roi, quelques-unes de ces représentations d'apparat, et quoique la tradition de l'étiquette y fut moins observée que par le passé, nous pouvons affirmer que certaines pièces ainsi représentées devenaient méconnaissables. L'acteur ne peut jouer sans un public. Il a besoin que l'on réponde à ses accents, que sa gaieté ait un écho, il faut qu'il sache s'il plaît ou intéresse, sinon, il se consume en efforts impuissants, sa voix se fausse et s'altère, sa joie grimace, ou bien il se met au diapason du public, il devient froid, glacé, et l'un des plus délicats plaisirs de l'esprit dégénère en fatigue et en insupportable ennui.
Notre gravure reproduit un de ces répertoires du temps de Louis XV, que l'on envoyait à toutes les personnes invitées aux spectacles de la cour.
Magasin Pittoresque, 1849.
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